Kent
Il fut avec Starshooter l'un des rares porte-parole du rock français. Depuis qu'il travaille en solo, Kent a développé d'autres facettes de sa personnalité, plus poétiques, mais toujours aussi attachantes. Kent a réussi une reconversion musicale que peu d'artistes peuvent se permettre. Pour cela, il faut beaucoup de talent.
Artiste qui revendique haut et fort ses origines lyonnaise, Hervé Despesse/Kent est né en 1957 à Lyon, mais est élevé dans l'Ain, à quelques kilomètres. Fils d'ouvriers, Kent travaille lui-même à l'usine après le lycée. Rien ne le prédestine à une carrière artistique dans ce milieu où l'usine est le centre vital. Grand lecteur de bandes dessinées et de magazines, Hervé pense beaucoup à la musique et réussit à s'acheter une première guitare vers 14 ans. Vers 1965, ses parents divorcent et Hervé suit sa mère à Lyon, dans le quartier de la Croix-Rousse qu'il chantera plus tard. En 72, il monte un premier groupe au lycée avec deux copains, Phil et Jello. C'est en 75 que le groupe devient Starshooter et connaît ses premiers succès dans la cour du lycée.
Starshooter
En 1977, Kent devient le leader de Starshooter, pionnier de la vague rock qui submerge la France à la fin des années 70. En pleine mouvance punk, les quatre membres du groupe hurlent leurs colères à travers un répertoire qui navigue entre provocation et humour. Un organisateur de spectacles leur offre la première partie de Jacques Higelin en 77 à Grenoble. C'est le déclic.
Un premier album sort en 78. Le groupe tourne dans toute la France et leurs concerts sont souvent agités. Kent (qui se fait appeler à l'époque Kent Hutchinson) signe l'essentiel des textes. Le groupe signe chez EMI, est pris en main par Philippe Constantin, directeur artistique. Rock, punk, le groupe s'essaie aussi à la variété mais avec un total insuccès. Après quatre albums et quelques hits ("Betsy Party", "Get baque", un hommage ironique aux Beatles ou "Le Poinçonneur des Lilas", un hommage très sérieux à Gainsbourg), le groupe disparaît en 1982.
Seul rescapé, Kent tente dès lors de se lancer dans une carrière solo en sortant dès 1982 un 45 tours encore inspiré des années Starshooter, "Partout c'est la merde". Parallèlement, il développe ses dons de dessinateur et publie quelques bandes dessinées dont "Sales amours" en 82. Le dessin lui permet de traverser ces années de vache maigre après la période faste de Starshooter.
Suit cependant un premier 33 tours solo, "Amours propres", entièrement composé en solitaire. Kent signe désormais du nom de Kent Cokenstock (inspiré d'une bande dessinée de Tintin) après avoir découvert que Hutchinson était une marque déposée et donc inutilisable. Le succès de l'album est très mitigé, même si Kent rassemble dès ses débuts solo un public fidèle. Hésitant encore entre la révolte des années précédentes et la chanson qui marquera fortement son travail futur, Kent continue de sortir quelques 45 tours. Ce sont "Tiny Tinto" en 83 puis "Tout petit doute" en 84. Le succès n'étant toujours pas au rendez-vous, sa maison de disques CBS se sépare de lui. Durant ces quelques années, Kent continue de dessiner et travaille même quelques temps comme dessinateur de mode. En outre, il pratique ardemment le karaté.
Pas très à l'aise dans cette période de transition, Kent prend le large et s'installe quelques temps au Cameroun. Il revient en 1985 avec un nouvel album au titre africain, "Embalao", sur son nouveau label Barclay. Il publie également cette année-là son album de bande dessinée le plus connu soit "Les aventures de Bob Robert l'aviateur".
C'est sur son troisième album, "Le Mur du son" en 1987, que l'on découvre le guitariste Jacques Bastello, dont le nom est désormais indissociable de celui de Kent. Toujours présent sur scène aux côtés du chanteur, Jacques Bastello est aussi le compositeur d'un grand nombre de ses titres. C'est à cette époque que Kent quitte Lyon pour Paris.
A la fin des années 80, Kent commence à composer pour d'autres artistes, dont en 1989, Hervé Paul pour qui il écrit tous les textes de l'album "Une autre vie".
1990 : "A nos amours"
En 1990, la décennie démarre sur l'album "A nos amours", dont le titre phare, "J'aime un pays", connaît un certain succès et reste un des plus célèbres titres du chanteur. Outre quelques participations de François Bréant et d'Hervé Paul, l'album est entièrement co-écrit avec son complice Jacques Bastello. Titre après titre, on découvre la verve poétique de Kent, et son sens de l'observation et de la description de ses contemporains. Avec cet album, Kent trouve enfin son identité.
Dès décembre 91, il sort un nouvel album, "Tous les hommes". On y trouve encore quelques beaux textes comme "Je suis un kilomètre", titre inspiré d'un petit garçon croisé sur une route roumaine. Cette année-là, Kent adapte un titre anglo-saxon pour le chanteur Johnny Hallyday, "Tout pour te déplaire".
Enzo bis
Ses concerts et ses tournées se multiplient. Le 10 février 1994, il monte sur la scène de l'Olympia, le plus fameux des music-hall parisiens qui représente pour tous les artistes l'entrée dans la cour des Grands. En juillet, il est invité aux Francofolies de Montréal, grand festival dont l'édition principale se déroule chaque année à la Rochelle, en France. Enfin, du 13 au 15 octobre, Kent s'installe toujours avec succès à la Cigale. Cette année de tournée se retrouve sur un album enregistré en public, "Kent en scène", qui sort le 14 février 1994. Sur ce disque, on peut écouter le duo entre Kent et sa complice, la chanteuse Enzo Enzo sur le titre "Juste quelqu'un de bien". Composé par le chanteur pour Enzo Enzo, ce titre obtient un triomphal succès à sa sortie la même année.
En 1995, Kent co-écrit une chanson avec Michel Fugain pour l'album "Ici-bas" de ce dernier. Mais cette année-là, année de la naissance de son enfant, Kent devient acteur devant la caméra de Diane Bertrand pour le film "Un samedi soir sur la terre" qui sort l'année suivante. De plus, il sort son troisième roman "Des gens imparfaits" (après "Les Nouilles froides" en 89, et "Un été pourri").
Mais la musique reste primordiale dans sa vie. En juin 1996 paraît son huitième album, "Nouba", qui mélange l'accordéon de Belleville à des couleurs plus moyen-orientales ("Nouba", "Est-ce que tu m'aimeras"). Produit par l'Américain Mitchell Froom, l'album fait pour la première fois une large place aux chansons d'amour, dont "Ainsi va l'amour", sur laquelle l'américaine Suzanne Vega fait les chœurs. Quant aux problèmes de société, il les évoque en duo avec Rachid Taha sur "La Haine est là".
A l'automne, Kent repart en tournée et s'arrête du 23 au 26 octobre au Trianon, petite salle parisienne à quelques mètres de la Cigale.
Enfin en 96, très sensible aux problèmes écologiques, Kent offre un concert à l'association française, la Crii-Rad, laboratoire indépendant spécialisé dans la mesure de la radioactivité.
Expériences
Le 14 juillet 97, on le retrouve sur la grande scène des Francofolies de la Rochelle. Puis, privilégiant les petites salles chaleureuses, il investit le Café de la Danse à Paris du 1er au 13 décembre 1997. Une courte tournée termine l'année.
Le public qui aurait pu classer Kent dans la catégorie chanteur de variété, se trouve quelque peu désorienté avec le mini-album "Métropolitain" qui sort de façon assez confidentielle en 98. L'artiste flirte ici avec la techno, courant musical assez éloigné de sa production habituelle. Alan Gac, jeune producteur et fondateur du label rennais Rosebud, est venu apporter sa contribution à ce qui ressemble pour l'artiste, à une belle parenthèse.
Chanteur mais aussi écrivain, Kent sort cette même année, un roman "Quelque chose de beau". Puis à l'automne, le 1er octobre, il retrouve Enzo Enzo pour un nouveau spectacle en duo, "Enfin seuls !", créé avec le musicien François Bréant. C'est en province, à Mâcon, que les deux chanteurs présentent leur nouvelle mise en scène. Rondement mené, avec quelques pas de danse et un numéro de claquettes à l'appui, le tour de chant est d'abord présenté à travers le pays pour faire une escale parisienne en mai 99 au théâtre des Abbesses.
Après quelques mois de silence et de labeur dans son atelier mais aussi loin de chez lui, aux Etats-Unis, Kent sort un nouvel album en septembre 2000, "Cyclone". L'artiste continue d'aller de l'avant et d'innover. Cet album le prouve par sa richesse mélodique, ses influences rock, sa diversité.
Malheureusement, ce disque ne rencontre pas le succès escompté. De plus un certain nombre de chamboulements dans sa vie artistique interviennent pendant l'année 2001 : il se sépare de son compère Jacques Bastello après douze ans de collaboration, puis de l'ensemble des musiciens qui l'accompagnent sur la tournée "Cyclone". Il quitte aussi sa maison de disques Barclay.
2002 : "Je ne suis qu'une chanson"
Désireux de retrouver des sonorités plus acoustiques, notamment grâce à l'accordéoniste Arnaud Mithivier, il imagine de nouvelles chansons. Il les enregistre trois soirs de suite, avec son nouveau groupe en les jouant devant un public réduit. Il retravaille ensuite les bandes en studio. Décidé à produire ses disques, il signe un contrat de distribution avec AZ. Le nouvel album intitulé "Je ne suis qu'une chanson" sort en octobre 2002. Plus personnel, il rend compte du virage artistique qu'a pris Kent. Du 25 février au 15 mars 2003, il se produit dans une petite salle intimiste parisienne, l'Européen, puis part en tournée.
Kent reste un auteur apprécié. Il écrit ainsi des chansons pour Enrico Macias ("Oranges amères", 2003) ou pour Enzo Enzo ("Paroli", 2004).
Fort de ces expériences de collaboration avec d'autres artistes, Kent se met en tête de proposer à quelques collègues de composer des musiques pour de nouvelles chansons. Il fait appel à Laurent Voulzy, la Grande Sophie, Michaël Furnon de Mickey 3D et M. Ceux-ci participent ainsi à l'écriture de "Bienvenue au club", opus qui sort en février 2005. Enregistré avec de jeunes musiciens, les Playback Boys, l'album propose un son vraiment rock. Kent a ressorti pour l'occasion, sa guitare électrique et s'amuse beaucoup de ce retour aux sources. Les concerts confirment cette nouvelle orientation.
Cette même année sort chez EMI "Inoxydable : 1977/1982", une compilation de feu Starshooter, le groupe avec lequel Kent a commencé.
Toujours aussi multi-cartes, Kent continue à illustrer des pochettes de disques, à créer des bandes dessinées (dont deux sur l'environnement) et à prêter sa plume à des artistes plus ou moins connus : Nolwenn Leroy ("l'Enfant cerf-volant") en 2005, les Tit'Nassels ("Alone") ou Enrico Macias ("Sur les flots gris et les flots bleus") en 2006. Il travaille aussi sur un roman, l'histoire de Jacky Bonaventure, employé d'une maison de disques tentaculaire, à qui il est demandé de retrouver une rock-star égarée pour reformer un duo à succès… "Vibrato" paraît en 2007 aux éditions Jacques Lattès.
2008 : "L'homme de Mars"
Le 17 mars 2008, Kent présente "L'homme de Mars". Un CD-BD composé et illustré par ses soins (avec l'aide, pour le volet musique, du bassiste et compositeur Fred Pallem, tête pensante du groupe Le Sacre du Tympan). "L'Homme de Mars" raconte le périple d'un martien venu sur terre pour jouer les anthropologues. Un double de Kent, en fait, puisque le chanteur déclare ne pas se sentir chez lui dans le monde actuel. Violence sociale, société de consommation, relations amoureuses, sentiment d'inadaptation ou peur de la mort : la variété des thèmes abordés se double d'un riche habillage musical. En effet, l'instrumentation est marquée par l'influence d'une pop "sixties" matinée des cordes et de cuivres. Côté images, les coups de crayons en noir et blanc de Kent se rapprochent de l'âge d'or de la BD de science-fiction des années 1950.
2009 : "Panorama"
Après "L'homme de Mars", Kent se lance dans une tournée à deux avec Fred Palem. Armés de guitares électriques et acoustiques, les deux artistes s'embarquent dans ce qu'ils appellent un "Panorama tour". Le but : revisiter les chansons de Kent en laissant libre cours à la spontanéité et à l'improvisation. Au fur et à mesure de leur périple musical, l'idée d'enregistrer ces versions et d'en faire un disque germe. Kent et Fred Palem rentrent en studio et convient plusieurs chanteurs à se joindre à eux. Arthur H intervient sur "Betsy Party", Dominique A sur "Je suis un kilomètre", Barbara Carlotti sur "Tous les mômes", Agnès Jaoui sur "Paroles d'homme", Suzanne Vega revisite "Juste quelqu'un de bien"…
L'album, logiquement intitulé "Panorama", sort le 12 octobre 2009. Il donne lieu à une nouvelle salve de concerts, dont un à la Cigale, à Paris, le 19 novembre 2009, où Kent est entouré de tous ses invités.
Au printemps 2011, Kent s'envole pour la Chine où il joue sur plusieurs scènes en formule duo : lui au chant et à la guitare acoustique, Jacques Bastello à la guitare électrique. L'expérience est fructueuse. Il y retourne en juillet et se produit à Shanghaï ou encore à Qingdao. Cette tournée chinoise ravit Kent, qui dit entrer dans des "délires hallucinés" tant le public chinois est enthousiaste et réceptif à ses chansons. Il décide d'en produire à ses frais un album live, très brut, dans l'esprit de la "liberté débridée du début des années 1970". "Made in China" sort le 11 juillet 2011, il est vendu uniquement sur Internet.