Line Renaud
Qui pouvait imaginer que la "Mademoiselle from Armentières" des années cinquante allait devenir un jour la doyenne du music-hall français ? Des brumes du Nord aux enseignes lumineuses de Las Vegas, Line Renaud promène depuis plusieurs décennies son cœur d’or sous un tempérament de feu.
Le 2 juillet 1928, Jacqueline voit le jour chez les Enté, une famille modeste de Pont de Nieppe, près d’Armentières dans le nord de la France. Si le père est camionneur la semaine, il est aussi trompettiste dans la fanfare municipale. La petite fille montre des dispositions pour le chant et elle remporte un concours amateur à l’âge de sept ans.
La guerre menace et, après la mobilisation de son mari pour cinq ans, la maman de Jacqueline s’installe sa mère. La jeune fille aux cheveux d’or fait la joie des clients, pour la plupart des soldats alliés qui campent dans la région, dans l’estaminet que tient sa grand-mère.
Les études ne la passionnent guère et elle n’a que 14 ans quand elle passe devant le jury du Conservatoire de Lille, ignorant que les auditions ne concernent que les chanteurs classiques. Cette erreur lui permet de faire la connaissance du directeur de la radio régionale qui recherche une chanteuse populaire. Elle interprète deux chansons de Loulou Gasté, un compositeur à succès de l’époque, et décroche ainsi son premier contrat.
1949 : "Ma cabane au Canada"
A la fin de la guerre, Jacqueline rêve de conquérir la capitale. Suite à une audition devant le manager d'Édith Piaf en 1945, elle est engagée par les Folies-Belleville, une prestigieuse salle de spectacles parisienne. La vedette de la revue lui permet de rencontrer son idole, Loulou Gasté. Le compositeur a 21 ans de plus que la jeune chanteuse, mais entre eux, c’est le coup de foudre professionnel et amoureux… Il lui impose un régime strict, un nouveau style vestimentaire, lui trouve une personnalité artistique et un nom de scène. Désormais, elle sera Line Renaud, du nom de sa grand-mère maternelle.
Line Renaud est engagée par Radio-Luxembourg pour une émission dominicale. Elle signe son premier contrat chez Pathé-Marconi et reçoit le Grand Prix du disque pour "Ma cabane au Canada". Premier disque, premier succès pour la révélation de l’année 1949, qui se produit en première partie d’Yves Montand au Théâtre de l’Étoile.
"Ma petite folie", "Etoile des neiges", "Le chien dans la vitrine" : ces adaptations de succès américains par la jeune artiste sont sur toutes les lèvres en 1950. Line Renaud fait une première tournée en Europe, en Afrique, et revient à Paris pour triompher en vedette à l’A.B.C., le grand music-hall de l’époque. En fin d’année, elle devient Madame Loulou Gasté devant Monsieur le Maire.
Les chansons de Line Renaud s’exportent bien et l’Angleterre lui fait les yeux doux. En 1951, elle participe à des émissions outre-Manche. La jeune mariée est aussi courtisée par le septième art et elle tourne les années suivantes plusieurs rôles chantants dans "Ils sont dans les vignes", "Paris chante toujours" ou encore "La route du bonheur".
1954 : année américaine.
En 1954, Line Renaud joue à guichets fermés pendant quatre mois au Moulin-Rouge. Le célèbre comique américain Bob Hope la découvre un soir et, enthousiasmé, l’invite pour cinq émissions dans son show télévisé que tout le monde regarde outre-Atlantique. Dès la première diffusion, elle est aussitôt engagée pour chanter au palace new-yorkais Waldorf Astoria, qu’elle quittera pour le Coconut Grove de Los Angeles. Cette année américaine l’amène à rencontrer les plus grands et elle enregistre un duo avec le crooner Dean Martin, "Relaxez-vous".
De retour en France, elle reçoit le Prix du Prestige de la France pour sa performance dans le film "La Madelon" de Jean Boyer. L’Europe la réclame. Elle est acclamée au Deutsches Museum de Munich, anime une émission hebdomadaire "Paris-Picadilly" sur une radio britannique, découvre l’Espagne et le Portugal. Elle revient en France où elle se produit pour la première fois avec ses boys et s’envole pour un nouveau séjour aux États-Unis et au Canada.
"Mister Banjo","Tes yeux bleus", "Où vas-tu Basile" ou "Printemps d'Alsace" sont autant de succès plébiscités par le public français qui retrouve Line Renaud sur la scène du Moulin-Rouge en 1958. L’année suivante, un des rois de la nuit parisienne, Henri Varna, lui propose de devenir meneuse de revues au Casino de Paris. Le spectacle intitulé "Plaisirs de Paris" tiendra l’affiche pendant quatre ans.
En descendant le grand escalier
Le directeur d’un grand casino de Las Vegas découvre l’énergie de la chanteuse française et l’engage pour un spectacle de six mois dont elle sera la vedette. Au-delà des prévisions les plus optimistes, Line Renaud s’installe dans la capitale du jeu américaine pour plus de deux ans. Son nom côtoie ceux de Frank Sinatra ou de Louis Armstrong sur les enseignes lumineuses.
Dans les années soixante, elle multiplie les allers-retours entre les deux continents. En 1966, elle présente la nouvelle revue du Casino de Paris, "Désirs", enregistre un album dont un titre figure toute la saison au sommet des classements, "Cours, cours, regarde et vois".
Elle repart en 1968 pour Las Vegas, où elle assure la direction artistique et la mise en scène de son prochain spectacle qui trouve une nouvelle fois les faveurs du public américain. Reconnue comme une vraie professionnelle, on lui propose désormais de produire les shows: "Flesh 69" au Bonanza Hotel et "Flesh 70" au Caesar's Palace. En 1971, elle produit "Love in" à Reno, puis "Fantaisie of love" à Miami, avant de rentrer en France.
Line Renaud est aussi très appréciée à la télévision française où elle anime l’émission de variétés "Line Direct", en 1973. Pour ses retrouvailles avec le public français, elle monte un spectacle à l’américaine qu’elle présente en tournée avec succès dans tout le pays pendant deux ans.
Un autre défi l’attend, sauver le Casino de Paris, menacé de fermeture. En 1976, une nouvelle grande revue attire les foules. Prévue au départ pour deux ans, "Paris-Line" se poursuit jusqu’en 1980, avec une dernière devant le Tout-Paris, pour ses trente ans de carrière.
Puis, la meilleure ambassadrice de la France à l’étranger joue les guides pour un célèbre show télévisé américain qui consacre une semaine à la capitale. Quelques enregistrements de chansons en français et en anglais plus loin, Line Renaud entame une nouvelle carrière.
Line sous de nouveaux projecteurs
Au début des années quatre-vingt, Line Renaud se lance sur les planches pour jouer le rôle-titre de "Folle Amanda", une comédie de boulevard. "Une grande actrice est née" titre France-Soir en 1982. Elle reçoit d’ailleurs un prix d’interprétation et adapte la pièce pour son public américain qui la réclame encore.
Un autre combat l’attend, loin des paillettes ses revues de music-hall. Le Sida fait des ravages et Line Renaud s’implique en créant l'Association des Artistes Contre le Sida. Désormais, elle s’engage dans la lutte contre ce fléau, organisant des concerts, des émissions télévisées événementielles, pour aider les scientifiques français dans leurs recherches.
Pour célébrer ses quarante ans de carrière, Line Renaud publie son autobiographie, "Les brumes d'où je viens", qui devient une des meilleures ventes en 1989. Elle célèbre le Bicentenaire de la Révolution française au Japon, où elle se produit dans onze villes devant un public enthousiaste.
Depuis les années 90, Line Renaud privilégie ses talents de comédiennes. Au cinéma, on la retrouve dans "Ripoux contre ripoux", "Belle-Maman" ou "Chaos". La télévision lui offre de très beaux rôles, tels "Polly West" ou "La Grande Béké". Elle retourne régulièrement sur les planches, s’exprimant avec talent dans le répertoire classique ("La Visite de la Vieille Dame" en 1995) ou lors de créations ("Poste restante" avec Jean-Claude Brialy en 2002).
Line Renaud trouve dans le travail et la défense d’une cause noble les moyens de surmonter la disparition de Loulou Gasté, son mari et mentor depuis 45 ans, en janvier 1995. En 1999, c’est au tour de sa mère de disparaître, une femme qui lui était si proche qu’elle lui avait déclamé tout son amour dans un livre, "Maman", trois ans plus tôt.
En 2002, elle publie "Loulou, envoie-moi un arc-en-ciel", et réunit de nombreux artistes (Garou, Pascal Obispo, Charles Aznavour, etc.) pour le disque "Feeelings", en ultime hommage à son mari disparu. En novembre 2003, elle participe à l’opération "Ensemble contre le Sida" pour récolter des fonds destinés à l'achat de médicaments antirétroviraux pour l’Afrique.
Dans les années qui suivent, Line s'implique toujours plus dans la lutte contre le Sida et continue ses activités de comédienne, jonglant entre théâtre, télévision et cinéma. On la voit d'ailleurs dans le film de Danny Boon "Bienvenue chez les Ch'tis", l'immense succès cinématographique de 2008. En 2009, elle est faite grand officier de l'Ordre national du Mérite par le président de la République.
2010 : "Rue Washington"
Mais en 2010, Line Renaud surprend tout le monde avec un retour à la chanson. La dernière fois qu'elle avait sorti un disque, c'était en 83 : une chanson en hommage à son mari, intitulée très à propos "Loulou".
La voici donc de retour en studio, réussissant à dépasser l'absence de Loulou Gasté qui l'avait toujours accompagné dans sa carrière musicale. Pour l'occasion, elle s'entoure de grands noms de la chanson française : Julien Clerc, Alain Chamfort, Adamo, Michel Delpech, Jean-Loup Dabadie, Christophe Maé ou encore Grand Corps Malade ont écrit et composé pour cet album intitulé "Rue Washington", qui paraît en novembre.
Line s'offre même deux duos, l'un avec Johnny Hallyday, son filleul dans le métier, sur une reprise en français de "What a Wonderful World", l'autre, plus inattendu, avec Mylène Farmer sur une composition de Mylène et Laurent Boutonnat ("C'est pas l'heure"). Tous ont su capter l'énergie et la joie de vivre de la demoiselle d'Armentières, et cela se ressent dans cet album chaud, jazzy, dans la grande tradition de la variété française.
Pour la première fois de sa carrière, Line Renaud se produit à l'Olympia à Paris les 24 et 25 mai 2011 et donne plusieurs concerts à travers la France.
Elle continue par ailleurs, sa carrière de comédienne à la télévision et au théâtre, avec notamment la pièce de Colin Higgins, "Harold et Maud" qu'elle joue en 2012 et 2013.
À l’âge de presque 85 ans, Line Renaud dévoile une partie de sa vie intime dans une autobiographie intitulée "Et mes secrets aussi", qu'elle a écrite avec Bernard Stora. Elle évoque notamment sa liaison de 18 ans avec le fondateur du célèbre Caesars Palace à Las Vegas, Nate Jacobson. Cela ne l'empêche pas dans ce livre, de réaffirmer "l'immense amour" qu'elle a porté à son mari, Loulou Gasté.
Pas vraiment décidée à prendre sa retraite, Line Renaud remonte sur les planches dans le rôle d'une comédienne qui refuse de raccrocher : en effet, elle se produit dans "Pleins feux", une pièce de l'Américaine Mary Orr, adaptée en français par Didier Kaminka, au théâtre Hebertot à Paris en janvier 2017. Une pièce qu'elle avait déjà jouée en 1991.
En septembre 2017, une rue "Line Renaud" est inaugurée en sa présence à Las Vegas, située non loin des Frank Sinatra Road et Dean Martin Road. Une consécration pour celle qui fit les beaux jours du Dunes, un hôtel-casino où elle fut meneuse de revues dans les années 60.
Entre 2017 et 2019, on la voit dans plusieurs fictions pour la télévision ainsi que dans trois films, dont "La Ch'tite famille" de Dany Boon. En milieu d'année 2019, la comédienne et chanteuse fait une chute qui la tient immobilisée 6 mois, ce qui ne l'empèche pas de lancer en fin d'année, le Fonds de dotation Line Renaud-Loulou Gasté destiné à soutenir la recherche médicale.
Janvier 2020