Valérie Lagrange
Vagabonde et rebelle pour toujours. Difficile de parler de carrière pour celle qui n’est jamais entrée dans la norme. Partie au bout du monde ou réfugiée près des siens, Valérie Lagrange revient sur le devant de la scène entre deux éclipses. Elle est de retour en 2003 pour une croisière enchanteresse sur le "Fleuve Congo".
Fille d’un couple de quincailliers parisiens, Danielle Charaudeau voit le jour le 25 Février 1942. Peu portée sur les études, elle cherche sa voie et se présente à des auditions de comédienne dès l’adolescence. Elle a 17 ans lorsque Claude Autant-Lara l’engage pour interpréter la fille de Bourvil, dans "La jument verte". Il obtient l’autorisation parentale qui permet à la jeune fille encore mineure de quitter le petit commerce familial de la Porte de la Chapelle.
Danielle adopte son pseudonyme sur les conseils de Claude Autant-Lara et Valérie Lagrange devient un nom familier des génériques de films populaires les années suivantes. On la retrouvera dans "La Française et l’amour" de Michel Boisrond, "Le gigolo" de Georges Lautner, ou encore fiancée à Jean-Paul Belmondo dans "Les tribulations d’un chinois en Chine" de Philippe de Broca.
1964 : ses débuts de chanteuse
En 1962, elle épouse le photographe Serge Beauvarlet et donne l’année suivante naissance à un petit Jérôme. La comédienne se lance dans la chanson, après sa rencontre avec Francis Lai et Pierre Barouh. Son premier disque paraît en 1964, avec les chansons "Paris-Wellington" et "La nuit de mon amour". Trois autres 45 tours à quatre titres, un format très en vogue dans les années soixante, sortent les mois suivants : "Encore un jour de notre amour", "Un jour sans toi", "Moitié ange moitié bête".
Elle croise le chemin de Serge Gainsbourg qui lui compose un air latino pour "La guérilla" en 1965. Un premier album réunit ses premiers succès avec "La chanson de Tessa", un texte de Jean Giraudoux mis en musique par Maurice Jaubert, qu’elle interprète avec le comédien Jean-Pierre Kalfon. Elle remporte un franc succès lors de son passage à Bobino en 1966, année où elle apparaît à l’écran dans "Un homme et une femme" de Claude Lelouch.
Sous les pavés, la plage
Deux autres films marquent la fin d’une époque : "Week-end" de Jean-Luc Godard et un film culte des années soixante, "Les idoles" de Marc’O. Inclassable, Valérie Lagrange représente alors un mystère pour beaucoup. D’autant plus qu’elle largue les amarres quand surviennent les événements de mai 68 en France. Persuadée de vivre une révolution qui va changer le monde, elle écrit à sa maison de disques pour leur annoncer que le show-business ne l’intéresse plus et qu’elle quitte la civilisation pour une durée indéterminée.
Avec une bande de copains artistes, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti, Tina Aumont et Bulle Ogier, elle part vivre en communauté sur une île au large de l’Italie. Un esprit de totale liberté les unit et Valérie apprend à jouer de la guitare et perfectionne son anglais en apprenant les textes de Bob Dylan. En 1970, le cinéaste Barbet Schroeder engage l’équipe pour tourner "La vallée", qui raconte les pérégrinations de jeunes Européens partis à la recherche d’un lieu de vie paradisiaque en Nouvelle-Guinée.
Après le suicide de son mari, Valérie éprouve le besoin de poursuivre l’aventure et part, avec son fils de neuf ans pour Bombay où vit un de ses amis. Elle s’installe chez lui quelques temps, puis découvre la vie des paysans près de Katmandou, avant de rejoindre une communauté hippie à Goa. Finalement, elle ressent le mal du pays et pense à l’éducation de son fils, si loin de ses racines.
Le retour au monde occidental n’est pas rose. Valérie Lagrange s’exile un temps dans un petit village de Provence investi par une communauté d’artistes dont fait alors partie Jacques Higelin. La vie de bohème est toujours de rigueur, loin des conventions. Un séjour d’un an et demi sur une île près d’Ibiza conclura le long épisode voyageur de Valérie Lagrange.
La fin de La parenthèse enchantée
C’est ainsi que certains appelaient alors les années qui suivirent mai 68. Sa rencontre avec Ian Jelfs, un auteur-compositeur anglais, au début des années soixante-dix, est une belle histoire d’amour et de musique. Ils accompagnent un temps Graeme Allwright, puis décident de se produire aux terrasses des cafés, lui à la guitare, elle au chant, loin des scènes et des mondanités parisiennes.
Valérie apparaît épisodiquement au cinéma, mais reste en marge de la profession, préférant la manche en chantant les Beatles, les Stones ou Bob Dylan, ou jouant pour le plaisir avec Jean-Louis Aubert et Louis Bertignac, bien avant Téléphone. Les quelques économies du couple sont investies dans des maquettes que les maisons de disques refusent régulièrement.
Transfuge du groupe Alice, Ian Jelfs est très attiré par les musiques du monde et fait découvrir le reggae à Valérie. Elle sera d’ailleurs la première en 1977 à le chanter en français pour un 45 tours qui connaît un certain succès "Si ma chanson pouvait". La même année, Valérie Lagrange prête sa voix à Alain Bashung pour le titre "Roman-photo". Sa rencontre avec le producteur Philippe Constantin annonce le véritable retour de la chanteuse après plus de dix ans d’absence.
1980 : "Faut plus me la faire"
En 1980, "Faut plus me la faire", mélange de rock et de reggae, sort chez les disquaires. Valérie est la première artiste française à signer chez Virgin. Cet album énergique devient son plus grand succès, grâce aux radios libres qui commencent à émettre en France.
Ce retour sur le devant de la scène s’installe dans la durée, puisque Valérie enchaîne l’année suivante avec "Chez mo"i et en 1983, avec "Les trottoirs de l’éternité" qui contient un nouveau tube, "La folie". Trois albums que la chanteuse fait découvrir lors de tournées en province et à l’étranger, sans oublier Paris, au théâtre Mogador ou au Forum des Halles. C’est l’aboutissement d’années de collaborations fructueuses du couple formé par Valérie et Ian, maître d’œuvre musical de l'ensemble.
En 1985, bouleversée par la situation humanitaire en Ethiopie, Valérie Lagrange est à l’origine, avec Renaud, du disque "Chanteurs sans frontières", au profit de la lutte contre la famine dans cette région du monde. En fin d’année, elle s’autoproclame "Rebelle", pour son dernier album chez Virgin.
Pour l’amour de Ian
Valérie Lagrange ne s’adapte pourtant pas aux années quatre-vingt si différentes de l’esprit de Mai. Valérie souffre dans une société qui s’éloigne chaque jour des idéaux qu’elle a défendu toute sa jeunesse. Son couple en souffre, son compagnon sombre dans la drogue. En 1989, c’est l’accident, une overdose qui rend Ian tétraplégique et muet, après trois semaines de coma. La vie de Valérie en est bouleversée, elle prendra soin désormais de lui au quotidien, un dévouement total pour lui redonner le goût à la vie, avec une volonté inébranlable.
Dès lors, elle s’éloigne à nouveau de la scène, consacrant toute son énergie à aider son compagnon qui connaîtra des progrès certains au fil des ans. En 1998 pourtant, elle se rappelle furtivement au souvenir de ses admirateurs avec la sortie d’une intégrale en deux CDs, accompagnée d’un nouveau titre "Au cœur de l’amour".
En 2000, elle participe à un concert au profit d’AIDES, une association de lutte contre le sida, à Paris. Puis, elle publie son autobiographie en 2002, "Une vie pour une autre", où elle se livre au travers du combat mené au jour le jour, auprès de son compagnon Ian Jelfs.
2003 : "Fleuve Congo"
Dix-sept ans après "Rebelle", Valérie Lagrange est de retour en 2003 avec l’album "Fleuve Congo", un mélange de succès d’autrefois réarrangés et de nouvelles chansons, sous la conduite de Benjamin Biolay. Le talentueux musicien l’accompagne d’ailleurs sur la nouvelle version de "La chanson de Tessa" et elle invite avec bonheur ses anciens complices, Jacques Higelin et Louis Bertignac, à la rejoindre le temps d’un refrain.
Elle dédie à celui qu’elle aime la très émouvante "Mon amour pour toi", reprend "La prière" de Georges Brassens sur un texte de Francis Jammes, évoque Rimbaud ou Kerouac, autres poètes de leurs temps. A l’automne 2003, la soixantaine rayonnante, elle revient sur scène pour ce qu’elle appelle "la troisième chance" de sa vie, avec une tournée en province et une première soirée à Paris, au Bataclan le 6 novembre.
Janvier 2004