Yves Simon
Yves Simon est-il un écrivain qui chante ou un chanteur qui écrit ? Il est autant inutile qu'impossible de répondre. Depuis ses débuts, Yves Simon entremêle les mots de ses chansons et ceux de ses livres dans d'incessants allers et retours entre littérature et musique. Si la forme varie, l'écriture demeure donc le fil rouge d'une carrière atypique et voyageuse.
C'est en Haute-Marne, à Choiseul, que naît Yves Simon le 3 mai 1944. Il passe une enfance rêveuse dans les Vosges entre un papa cheminot, André, et une mère infirmière, Yvonne. Le métier de son père lui permet de voyager gratuitement. Bourlingueur en herbe, il a ainsi l'occasion de découvrir Paris et de nombreux coins de France. Lorsqu'il a 15 ans, il navigue déjà entre musique et littérature. Ses passions et centres d'intérêt sont nombreux et d'essence plutôt artistique.
A 15 ans, avec quatre copains, Yves fonde les Korrigans, un groupe dans lequel il tient la guitare. Leur répertoire lorgne vers le rock'n'roll qui est alors en train de révolutionner la vie des adolescents du monde entier. Tous en costume sage, façon Beatles, ils jouent entre autres, au Casino de Contrexéville et de Vittel. Mais Yves écoute autant Brassens et Gréco que les Beatles ou les Stones qui surgissent à cette époque. Cependant, les mots et l'écriture restent ses passions les plus fortes. Après le baccalauréat en 61, il fréquente la faculté de Nancy en classe de théâtre parallèlement à des cours d'art dramatique au conservatoire local. C'est une période un peu dilettante ou Yves ne sait pas trop dans quelle direction s'orienter. Il écrit des chansons, gratte un peu sa guitare et lit assidûment.
Polyvalence
À l'automne 64, il s'installe à Paris dont l'activité culturelle le séduit. Inscrit à la Sorbonne, il prépare également le concours d'entrée en classe préparatoire pour l'IDHEC, le nec plus ultra des écoles de cinéma. En fac, il décroche un diplôme de lettres, mais laisse tomber l'IDHEC. Il préfère alors se consacrer à la musique qui très vite semble fort prometteuse. Ses chansons en poche, il participe en décembre 65 à un jeu télévisé "Le Jeu de la chance", qui le mène tout droit à une audition dans les studios des disques Pathé Marconi. Finalement, c'est chez Fontana qu'il décroche un contrat et enregistre deux 33 tours en 1967 ("Ne t'en fais pas petite fille) et en 69 ("La Planète endormie"). Mais ces deux premiers disques un peu brouillons passent inaperçus. Signalons aussi que certaines de ses chansons sont interprétées par Claudie Chauvet et Annabel Buffet. Mais rien qui ne retienne vraiment l'attention du public. Yves Simon abandonne alors Paris pour voyager. Il sillonne ainsi la Turquie et les Balkans avant de traverser les États-Unis de part en part.
Ecrit depuis 1969, Yves publie son tout premier roman en janvier 1971, "Les Jours en couleur", suivi de près par "L'homme arc-en-ciel" dès septembre. Ces premiers ouvrages sont des succès et le talent d'écriture du jeune homme est salué unanimement. À tel point qu'on lui propose dans la foulée de travailler dans la presse. C'est ainsi que dans les mois qui suivent, on le lit dans le magazine Actuel et on l'entend sur l'antenne radio d'Europe 1. Sa polyvalence fait déjà de lui un artiste à part et surtout, inclassable.
Au pays des merveilles
De l'écriture, Yves Simon revient tout naturellement à la chanson. En 1972, sort un 45 tours qui connaît un certain succès, "Les Gauloises bleues". Avant même qu'il ne sorte un "premier" album, il se retrouve en première partie de celui qu'il admire tant, Georges Brassens, à Bobino en novembre 72. À cette époque, on le voit aussi en première partie de Maxime Le Forestier et de Philippe Chatel, deux autres admirateurs de Brassens.
Déjà sur scène, son répertoire annonce le style de son album "Au pays des merveilles de Juliet" qui sort en 73. Yves Simon se révèle un auteur à la fois songeur et très éveillé sur le monde, pudique, mais précis dans ses mots. Le charme et la couleur originale de son travail sont récompensés par un succès critique et public indéniable. Ce 33 tours obtient le Grand Prix de l'Académie du disque. Quant à la chanson-titre de l'album, inspirée par la comédienne Juliet Berto, elle devient un des piliers de son répertoire. Les deux artistes se retrouvent à la même époque sur le film de Bertrand Van Effenterre, "Erica Minor".
Le disque suivant, "Respirer chanter" en 74, confirme le talent d'Yves Simon. L'ensemble très inspiré par les États-Unis, est marqué par le titre "J'ai rêvé New York", texte scandé comme un rap avant l'heure. Très intimiste, cet album remporte pourtant un vrai succès récompensé par un disque d'or en quelques semaines.
Première grande scène parisienne pour Yves Simon fin 1974 avec une série de concerts à l'Olympia. À cette occasion, il fait venir pour la première fois en France l'accordéoniste argentin Astor Piazzola. Cette même année, il donne sa toute première tournée au Japon, pays avec lequel il restera toujours très lié. En mai 75 paraît un des rares albums du chanteur enregistrés en concert, "Yves Simon en concert au Théâtre de la ville".
Écrire, chanter,...
En 1975, Yves Simon est plus que jamais dans l'actualité avec deux albums et un nouveau livre. Ce dernier, un roman, se nomme "Transit-Express", comme le nouveau groupe du chanteur. Et c'est ce groupe qu'on retrouve sur son premier disque enregistré en public, mais surtout sur son album "Raconte-toi". Toujours brillamment écrit, ce troisième opus renferme quelques perles telles "Les Films de Polanski" ou "Les Héros de Barbès".
Yves Simon est désormais un artiste largement reconnu. Les deux semaines qu'il passe au Théâtre de la Ville en mai ne font qu'affirmer cette réussite. Cependant, une légère lassitude se lit dans l'album suivant, "Macadam" en 76. Le ton est plus amer, plus désenchanté. Yves Simon est au sommet de la réussite. Les tournées sont incessantes, mais l'enthousiasme se ternit parfois. Sur ce disque, Yves est entouré de noms importants dans le paysage musical français, de Jacques Higelin à Laurent Voulzy en passant par les musiciens Jean-Jacques Milteau à l'harmonica ou Marcel Azzola au bandonéon.
Arrive enfin l'année 77, tournant dans la vie et la carrière d'Yves Simon. Après cinq ans d'un parcours sans faute, le jeune homme âgé de 32 ans, commence à juger son rythme de vie trop lourd. Les albums s'enchaînent et les tournées fort nombreuses ne laissent guère de temps à Yves Simon de se consacrer à ses passions parallèles, l'écriture, le voyage, la réflexion et l'observation du monde.
Cette année-là, un nouvel album est enregistré et distribué, "Un autre désir". On y retrouve des noms tels que Pierre Akendengué, Sapho ou Claude Engel. Mais l'enfilade des tournées du Japon à l'Allemagne en passant par le Canada et l'Elysée-Montmartre à Paris finissent de convaincre Yves Simon de faire une pause dans une carrière déjà fort riche, mais épuisante. Sans quitter la musique, il décide de quitter la scène.
Fin 77, sort la bande originale du film de Diane Kurys "Diabolo Menthe", énorme succès populaire tant au cinéma que grâce à la chanson-titre.
1979 : "Demain je t'aime"
C'est entre les tournées et les voyages plus personnels que Yves Simon finit d'écrire "L'Amour dans l'âme", son quatrième roman. Comme les précédents, il connaît un certain succès de librairie et est traduit dans plusieurs langues. Absent de la scène, Yves Simon retrouve du temps pour écrire et travaille à nouveau pour le magazine Actuel. Il écrit également pour le cinéma via le nouveau film de Diane Kurys, "Cocktail Molotov".
Dès 79, retour sur la scène musicale avec un nouvel album, "Demain je t'aime". Il participe également à l'album collectif destiné aux enfants, "Émilie Jolie" La barbe du chanteur est en train de disparaître. Les temps changent et cette évolution est nettement marquée avec le disque suivant, "Une vie comme ça", en 1981. Cette fois, le son, le ton, le look prennent le chemin des années 80. Le rock synthétique prend le pas sur les guitares des années 70. L'habillage général est plus urbain, plus inquiet, moins idéaliste. Yves Simon chante "Qu'est-ce que sera demain ?" et entre de plein fouet dans les années Mitterrand dont il devient un observateur très actif.
Très attaché au Japon, Yves Simon remonte exceptionnellement sur scène à Hiroshima le 6 août 1982 pour la commémoration de l'explosion atomique du 6 août 1945. Il chante à cette occasion devant 20.000 personnes. La même année sort la traduction japonaise de "L'Amour dans l'âme". La plupart de ses ouvrages seront d'ailleurs traduits en japonais.
Nouvel album en 83, "USA-USSR", marqué par plus de rudesse. L'ambiance est tropicale avec "Tropiques", "Amour-Sagaie" et surtout "Amazoniaque", titre phare de l'album et qui fait l'objet d'un clip vidéo très en vogue dans les années 80. C'est justement lors du tournage du clip d'un autre titre de l'album, "Barcelone" qu'il rencontre la comédienne Pascale Rocard qui va partager sa vie quelques années.
Parallèlement, paraît aussi un nouveau livre en 83, "Océans". Très inspiré de sa propre existence, cet ouvrage est son premier gros succès de librairie.
1985 : "L'Abyssinie"
Toujours très marqué par les terres étrangères, Yves Simon sort un neuvième disque en 1985, "L'Abyssinie". On y sillonne encore le monde via "Déplacement du centre du monde vers le Pacifique" et "Amour à Tokyo". D'une errance musicale, on file vers une errance littéraire avec un recueil de textes, "Tard dans la nuit" qui paraît peu après.
L'album "Liaisons" qui sort en 1988 connaît un vif succès grâce aux titres "Nés en France" ou "Deux ou trois choses que je sais d'elle". Parmi les invités, on distingue Jean-Jacques Goldman, ami du chanteur, et partenaire occasionnel pour deux duos de l'album. Année faste pour Yves Simon, il se voit décerner en 88 un prix littéraire, le Prix des Libraires, pour "Le Voyageur magnifique".
Les années 80 se terminent, mais les luttes sociopolitiques sont plus que jamais nombreuses. Yves Simon s'implique régulièrement dans tous les combats pour le respect des libertés. C'est ainsi que le 10 mars 89, il est signataire de l'Appel contre tous les intégrismes. Musique, littérature, politique, son nom est associé à de nombreux événements. Ses amitiés ont toujours été fortes et parfois prestigieuses de Simone Signoret à Serge Gainsbourg en passant par le Président Mitterrand. En 1991, il est un des héros des prix littéraires de l'automne. Un des plus fameux d'entre eux, le Prix Médicis, lui est décerné pour "La Dérive des sentiments", ce qui fait de lui un auteur définitivement consacré. Avec la sortie de son intégrale en 10 CDs fin 91, c'est l'auteur-compositeur Yves Simon qui est en quelque sorte couronné.
Amour
En 1992, Yves Simon signe la bande originale du film "Après l'amour", troisième collaboration avec la réalisatrice Diane Kurys. Mais au cours des années 80, il délaisse un peu la musique pour se consacrer aux mots seuls. Un recueil de textes paraît en 1993, "Sorties de nuit". Cette formule très réussie est récompensée par le Grand Prix de poésie de la Sacem (Société des Auteurs compositeurs) en 94.
Pas de récompense pour son roman suivant en 97, "Le Prochain amour", mais un excellent accueil critique. En revanche en 1998, son recueil de nouvelles "Un instant de bonheur" obtient le Grand Prix de la chanson de l'Académie française.
En 1999, dans le journal le Monde, Yves Simon publie un article inspiré de la guerre au Kosovo. Mais l'événement 99, c'est l'écriture et l'enregistrement d'un nouvel album, le premier en onze ans. Début juillet, sort "Sarah et Tobie", premier extrait de l'album, sort de "rap biblique" tel que le décrit l'artiste lui-même. Enfin, c'est le 24 août que paraît "Intempestives" qui marque le grand retour de Yves Simon sur la scène musicale. Comme il l'avait déjà fait dans son album précédent, Yves Simon aborde le métissage des genres musicaux, mais en douceur. Quelques envolées de violon arabisantes, une pincée de raï, un phrasé qui rappelle le rap. De plus, il confirme son intérêt pour les faits de son temps comme le prouvent les thèmes abordés : le fait divers et Florence Rey, jeune femme condamnée à 18 ans de prison après un raid sanglant en plein Paris ("Pardonnez"), l'art, la peinture, la création ("Basquiat") ou les droits de l'Homme et la condition des femmes ("Les Souffrantes").
L'interprète du titre "Au pays des merveilles de Juliet" retourne ensuite à sa chère littérature. Il publie un recueil de poésie ("Le Souffle du monde, 2000), trois romans ("la Voix perdue des hommes", 2001 ; "Les éternelles", 2004 ; "Je voudrais tant revenir", 2007) deux essais autobiographiques ("La Manufacture des rêves", 2003 et "Épreuve d'artiste", 2007).
Contre toute attente, Yves Simon remonte sur scène en juillet 2007, aux Francofolies de La Rochelle puis de Spa après trois décennies d'absence. L'accueil est triomphal. Il chante évidemment ses anciennes chansons, mais surtout en présente de nouvelles, événement qui préfigure la sortie d'un nouvel opus quelques semaines plus tard.
2007 : "Rumeurs"
Les treize titres de l'album "Rumeurs" qui sort en octobre ont été conçus dans une cuisine. En effet, en attendant que sa compagne prépare le dîner, Yves Simon écrivait des chansons. Une écriture classique et délicate caractérise ces petites pièces empreintes de sentiments divers et variés. L'auteur est un grand séducteur, amoureux des femmes : "Patrice" ("Elle porte un prénom/De garçon"), "Les filles ont des sentiments", "La Métisse", "Irène, Irène" et même "Marguerite" (hommage à Marguerite Yourcenar).
Le 12 mars 2018, il donne un concert à l’Olympia à Paris, un événement attendu par son public qui lui offre une standing ovation dès son entrée en scène. Yves Simon retrouve le goût de la scène et poursuit les mois suivants avec une tournée en France, Suisse et Belgique.
Puis retour à l’écriture avec la parution en novembre 2009 de "Jack London, le vagabond magnifique", un essai biographique sur l’écrivain américain. En février 2011, il publie son 13e roman, "La compagnie des femmes", s’inspirant des figures féminines qui l’ont marqué. En décembre de la même année, c’est à son père disparu qu’il consacre un portrait, "Un homme ordinaire".
2018 : "Générations(s) éperdue(s)"
Il faut attendre octobre 2017 pour retrouver Yves Simon, cette fois avec la publication de “Génération(s) éperdue(s)”, un recueil illustré rassemblant 140 textes de ses chansons sur 50 ans de carrière.
Quelques mois plus tard, en avril 2018, paraît l’album du même nom, un disque hommage interprété par la jeune garde de la chanson française. Partie prenante du projet, Yves Simon en a soigneusement choisi les interprètes avec le label Because Music : Christine & the Queens ("Amazoniaque"), Clou ("Les Gauloises bleues"), Soko ("Diabolo menthe"), Juliette Armanet ("Barcelone") ou encore Feu ! Chatterton ("Zelda") pour ne citer qu’eux.
Mai 2022