Francis Bebey
Poète, écrivain, compagnon du verbe, le chanteur et guitariste auteur-compositeur camerounais Francis Bebey fait partie des précurseurs dont le rôle dans la reconnaissance des musiques africaines s'est avéré primordial.
Né en 1929 à Douala, Francis Bebey est initié au chant par son père, pasteur protestant, joueur d’harmonium et d’accordéon, et élevé au son de la musique classique occidentale (Bach, Haendel), tout en gardant une oreille tendue vers les musiques enracinées sur le sol africain. Ces musiques, qu’il découvre d’abord en cachette de ses parents, chez un voisin, passant ses nuits à jouer de l’arc à bouche et de la harpe traditionnelle, vont devenir pour lui une passion absolue, un enjeu, un engagement.
Francis Bebey se met à la musique en jouant d’abord du banjo, puis il passe à la guitare en 1947. Trois ans plus tard, il quitte le Cameroun pour Paris où il s’inscrit à la Sorbonne pour préparer une licence d’anglais. Il fréquente entre autres, son compatriote Manu Dibango. Il décide ensuite de partir pour les États-Unis en vue d’étudier la communication et le journalisme. Il compose alors sa première pièce pour guitare, "L’Été du Lac Michigan".
Journaliste et écrivain
Journaliste, reporter radio, il travaille aussi en Afrique, notamment au Ghana, où il participe à la création d’une station française de radio, puis regagne la France où il entre comme reporter à la Sorafom (Société de Radiodiffusion de la France d’Outre-mer), la future RFI (Radio France Internationale).
Pendant quinze ans, il est ensuite responsable du département musique de l’Unesco. Tout en publiant parallèlement articles de presse, nouvelles, poèmes, romans, dont "Le Fils d’Agatha Moundio". L'ouvrage est récompensé par le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire, une distinction qu’il obtient en 1968. C'est aussi l'année de son premier concert parisien, au Centre américain, où il présente un répertoire chanté en douala, en français et en anglais, inspiré des chants bantous et des polyphonies pygmées.
Il publie l'année suivante une étude qui fait référence, "Musique", disponible aujourd'hui dans sa traduction anglaise, "African Music – A People’s Art". Outre cet essai, parmi d’autres, il invente aussi des contes ("L'Enfant pluie") et écrit des poèmes ("Concert pour un vieux masque").
Chanteur malicieux
En 1972, il sort son premier album, "Idiba". À partir de 1974, il décide de se consacrer uniquement à la composition musicale et à l'écriture. Toujours attentif à préserver l’essence de la tradition, il n’utilise les instruments électriques qu’avec parcimonie, préférant faire oeuvre de sobriété en mettant en avant les instruments traditionnels comme la flûte pygmée ou la sanza (lamellophone à pouce). Sans pour autant s’interdire l’audace et l’aventure.
Il n’hésite pas à entraîner parfois ses instruments fétiches vers des univers qui leur sont totalement étrangers. Ainsi compose-t-il "Kasilane", une commande du Kronos Quartet pour quatuor à cordes et flûte pygmée ou encore, à la demande de la jeune violoncelliste française Sonia Wieder-Atherton, une pièce pour sanza et violoncelle.
C’est surtout en 1980 qu’il rencontre le succès avec "Le Rire africain" qui contient "Agatha", une chanson pour rire, mais pas seulement. Cette histoire d’enfant "café au lait, qui n’est pas tout à fait comme les autres enfants du village", c’était aussi, déclare-t-il plus tard, sa façon à lui de lutter contre le racisme. D’"Agatha" à "Si les Gaulois avaient su", en passant par "La Condition masculine", Francis Bebey pratique l’humour avec une savoureuse malice.
Concertiste international
Si c’est d'abord à travers ses chansons humoristiques qu'il attire sur lui l'attention du public francophone à travers le monde (Prix Sacem de la chanson française en 1977), on découvre bientôt également à la fois le compositeur et le concertiste international.
Il se produit partout à travers les continents, dans des lieux d’importance, voire prestigieux (Maison de Radio-France à Paris, Carnegie Hall à New York, Radio Deutschland à Berlin, musée Edvard Munch à Oslo, Masonic Auditorium à San Francisco…). On le voit siéger dans les années 80 avec Léopold Senghor au Haut Conseil de la francophonie, créé par François Mitterrand. Il signe la musique du deuxième long métrage du réalisateur burkinabé Idrissa Ouedraogo, "Yaaba", réalisé en 1989 et primé au Festival de Cannes.
Au cours de l'été 2000, année où il publie l’album "M'Bira Dance", il fait l’une de ses dernières apparitions publiques au festival Les Suds à Arles. Le 28 mai 2001, il succombe à une attaque cardiaque à son domicile parisien.
Approcher Francis Bebey, c’était goûter au charme de la légèreté intelligente, prendre une leçon d’humilité, d’humanisme, de courtoisie. Une leçon de vie.
Une empreinte
En 2011, RFI et le label Celluloid coéditent le coffret de quatre CDs "Francis Bebey, la belle époque" avec un livret écrit par sa fille Kidi Bebey et le journaliste Olivier Rogez.
En 2012, l’association Francis Bebey annonce sa création. Avec pour but de préserver la mémoire du musicien, elle souhaite, outre la publication d'inédits de Francis Bebey, s'attacher à l'organisation de concerts de musique africaine et soutenir des programmes de recherche portant sur la littérature et la musique.
Un label français de rock radical, Born Bad, intéressé par les artistes pratiquant le DIY ("do it yourself") publie en avril 2012, la compilation "African Electronic Music 1975-1982" et en 2014, "Psychedelic Sanza 1982-1984" qui reprend notamment des morceaux de synthé de l’album "Akwaaba". Ces compilations offrent une deuxième vie à des titres qui paraissent intemporels. Le 5 juillet, une soirée "Hommage à Francis Bebey" est organisée au Musée du Quai Branly avec entre autres, un de ses fils, Patrick Bebey, lui aussi musicien.
En 2015, un énième hommage lui est rendu avec "La Boîte magique de Francis Bebey", une soirée orchestrée par l’équipe de l’émission de France Inter L’Afrique enchantée, dans le cadre du festival Africolor. Sous la direction de Christophe Cagnolari, les musiciens rejouent les chansons de Bebey, des pièces de guitare classique aux flûtes pygmées, en passant par de la sanza aux univers électroniques.
Sa fille Kidi publie en 2016 un récit de la vie de son père sous le titre "Mon royaume pour une sanza".
Janvier 2017