Geoffrey Oryema

© E.Sadaka/RFI
Passeport artiste
1953
Soroti (Ouganda)
22/06/2018
Lorient (France)
Pays:  Ouganda
Langue:  Anglais
Qualité:  Auteur / Chanteur / Compositeur

On peut voir flotter ses dreadlocks dans les vallons normands, du côté du village de Lillebone où il s’est installé en 1989. Mais rares sont ceux qui connaissent le passé de cet Ougandais que la presse surnomme aujourd’hui le "Leonard Cohen africain".

Biographie: 

Adopté par la France, figure marquante de la vague Realworld initiée par l’ex-Genesis Peter Gabriel, Geoffrey Oryema est né en 1953 à Soroti, dans l’Est de ce qui est encore le royaume de Buganda, futur Ouganda. Il est issu de la noblesse acholi, une ethnie nilotique que les colons britanniques considéraient comme une "race martiale" et qui prit les rênes de l’armée nationale ougandaise après l’indépendance du pays en 1962.

Découvertes privilégiées

Lorsqu'il n'est encore qu'un enfant, sa famille s’installe à Kampala, la capitale. Ses parents appartiennent à la nouvelle élite intellectuelle nationale et le plongent très tôt dans la culture traditionnelle. Il est entouré de nombreux poètes, conteurs, musiciens et son père, alors professeur d’anglais, lui enseigne l’art de la musique pentatonique, au son de la nanga (une harpe à sept cordes), et le laraka laka, musique de la séduction qu’il décrit comme le "vrai rock ougandais". De son côté, sa mère, à la tête de la compagnie de danse nationale, The Hearbeat of Africa, l’emmène en tournée à travers le pays. Adolescent, Geoffrey Oryema se plonge dans la culture rock anglo-saxonne (en premier lieu les Rolling Stones et la vague flower-power californienne) qu’il découvre dans les meilleurs lycées de la ville au côtés de la jeunesse expatriée américaine et britannique tout en continuant à s’initier à la flûte, au lukeme (le piano à pouces) et à la guitare.

Il songe d’abord à se lancer dans le théâtre et prend des cours à l'Ecole d’art dramatique d’Ouganda. Alors qu'en 1971, Idi Amin Dada prend le pouvoir détenu jusque là par Milton Obote, il commence à écrire ses premières pièces d’avant-garde inspirées par Brecht, Stanislavski et Grotowski. Dans ce théâtre de l’absurde, mêlant sons tribaux et bouffées d’onomatopées, improvisations et allégories, autant de traces que l’on retrouvera ultérieurement dans son œuvre discographique, percent aussi les premières inquiétudes liées à la dérive mortifère du régime du Maréchal Idi Amin Dada. Comme il le rappelle lui même : "Nous devions vivre au jour le jour avec, sous nos yeux, ce qui se passait dans la rue. Au vu et au su de tout le monde, des gens étaient abattus ou fourrés dans le coffre d’une voiture". Cette descente aux enfers trouve son apogée en février 1977 lorsque son père, devenu ministre de l’Eau et des Ressources, disparaît mystérieusement dans un accident de voiture qui a tout de l’assassinat maquillé.

Exil en Europe

Pendant que celui qu’on surnomme "l’Ubu noir" multiplie les exactions contre les Acholis et élimine systématiquement l’opposition, Geoffrey Oryema décide de quitter son pays. On le retrouve de l’autre côté du Lac Victoria, au Kenya ou il est accueilli par le Centre Culturel Français de Nairobi qui accueille sa dernière pièce, le Règne de la Terreur, dénoncée par le satrape ougandais. Alors que Kampala s’enfonce dans une terrible fin de règne sous le regard de la Tanzanie qui s’apprête à mettre fin au règne Idi Amin Dada, Oryema, par amour de la langue française qu’il considère comme une des plus belles du monde, décide de rallier Paris, alors la capitale de la nouvelle musique africaine. Il s'y installe en 1977.

Durant les premières années en France, dans les années 80, il multiplie les petits boulots. Finalement, ses premières maquettes de disques tombent dans les oreilles des programmateurs britanniques du Womad, premier festival marquant de musique de monde, initié par Peter Gabriel. Dans le moulin de Bath, quartier général du tout nouveau label Real World en Angleterre, Oryema enregistre son premier album, "Exile", en 1990. Alternant morceaux à la guitare et titres accompagnés de harpe nanga, de sanza et de flûte nyamuleré, l'album est produit par Brian Eno, grand metteur en son des Talking Heads et de U2. Cette première galette est remarquée par les critiques avant d’être consacré par le grand public via le tube "Ye Le Le" qui servira de générique à une célèbre émission télévisée des années 90, le Cercle de minuit.

Sobre et poignant, à l’avant garde d’une nouvelle vague d’artistes africains qui privilégient l’acoustique plutôt que les grands orchestres des années 80, "Exile" permet alors à Geoffrey Oryema de côtoyer la scène française (duo avec Alain Souchon, Catherine Lara, mais aussi l'Algérien kabyle, un autre exilé, Idir ou le pianiste de jazz Michel Petrucciani) et de s’installer parmi les meilleurs vendeurs du label Real World.

Succès discret

En 1994, "Beat The Border", second disque chez Real World élargit encore un peu plus son audience. Son audacieux mélange d'acoustique et de son synthétiques lui ouvre la porte des Etats-Unis. Geoffrey Oryema s'installe douze semaines au sommet du prestigieux Billboard World Music. On le voit à la télé sur le NBC Today show et sur les scènes américaines à l'occasion de plusieurs tournées au profit d'associations humanitaires ( Reebok Human Rights Awards, Rainforest Foundation International Benefit...). Oryema, qui explique que sa musique " vient de son cœur " et qu'il n'a nullement l'intention "d'être cantonné dans un ghetto musical " parce qu'il souhaite "être universel " poursuit son va et vient entre Nord et Sud, rock et tradition, en sortant en 1997 son troisième album pour Real World, "Night To Night". Serti de la présence du collègue zaïrois Lokua Kanza (qui intervient sur trois morceaux), hanté par les fantômes des Stones, des Shadows, de Roxy Music, mais aussi les réminiscences d'Ali Farka Toure et de Baaba Maal, cet album qui trouve moins son public que les précédents pousse à son paroxysme le grand écart entre les deux hémisphères cérébraux et musicaux de l'Ougandais.

Installé en Normandie, marié à une Française, celui qui continue à avoir une relation "d'amour et de haine avec l'Afrique" a attaqué le XXIe siècle au sein d'une nouvelle maison de disques (Sony) et avec un "Lost Spirit" qui ressemble à un exorcisme. Sur ce disque poignant, sorti début 2000, produit par Rupert Hines et appuyé par l'ancien clavier des Wailers Tyrone Downie, Geoffrey Oryema se penche enfin sur son passé ougandais en dédiant une de ses chansons à son père. Le moment, enfin, de renouer avec le pays natal ?

Comme il l'a toujours fait régulièrement, le chanteur donne une série de concerts à travers la France en 2002.

African pop

Geoffrey Oryema revient aux sources en 2004 avec "Words", disque produit par Adrian Chivers, ancien ingénieur du son de Real World. Sous des dehors très pop, l’album mêle toujours les instruments traditionnels, la nanga, le lukémé, aux guitares et aux programmations. Nadine Marchal et Mélanie Gabriel (la fille de Peter Gabriel) apportent leurs voix.

L’artiste, désormais naturalisé français, reste plus que jamais un citoyen du monde capable de chanter en français, en anglais, en swahili et en atcholi. Comme il l’écrit dans "Flying", le voyage est l’ouverture aux autres essentielle, un mode de vie. Il repart sur la route pour une tournée qui démarre en France au printemps 2004.

À partir de 2006, il est accompagné sur scène comme en studio par son fils, Oceng Oryema pour la batterie et les percussions, ainsi que par Chaek Sylla pour la guitare et le chant. Il donne régulièrement des concerts partout en France.

En 2007, il est invité au Festival international du film de Berlin. Et pour cause : l’artiste signe les musiques du documentaire "Les Invisibles", évoquant les mercenaires du nord de l’Ouganda. Le film de 90 minutes est réalisé par Fernando Leon de Aranoa, Wim Wenders, Javier Bardem et l’organisation Médecins sans frontières.

Le 12 octobre 2010, Geoffrey chante à New York "La lettre" devant l’Assemblée générale des Nations unies, montrant sa colère face à la tragédie des enfants-soldats. 

2010 : "From the Heart"

Après huit années d’absence, Geoffrey Oreyma est de retour avec l’album "From the Heart" enregistré à Paris, Moscou et en Angleterre avec Tony Levin et Alex Swift. Il a par ailleurs invité sur son disque deux musiciens attitrés de Peter Gabriel : le bassiste Tony Levin et le guitariste David Roads.

Après quelques dates de concerts en France, l’artiste s'absente pendant toute l'année 2014 pour des problèmes de santé. Le géant ougandais est de retour sur scène à partir de 2015 pour une série de concerts en France.

En mai 2016, il se retrouve à Cannes et monte les fameuses marches du Palais des festivals avec le réalisateur américain Sean Penn qui présente son nouveau film "The last face" car une des chansons de l'artiste a été retenue pour la bande originale.

Après plusieurs décennies d'exil, le chanteur d'origine ougandaise revient sur sa terre natale et donne un concert à Kampala le 17 décembre 2016 dans le cadre de l'Annual Bayimba Honors Event. Un moment chargé d'émotion, important pour lui, comme pour ses proches.

Le 22 juin 2018, l'artiste d'origine ougandaise et naturalisé français, décède des suites d'un cancer à Lorient en Bretagne. Une cérémonie a lieu le 30 juin à l'église Saint-Pierre de Ploemeur dans le Morbihan pour lui rendre hommage.

Juin 2018

Discographie
FROM THE HEART
Album - 2010 - Long Tale Record
WORDS
Album - 2004 - Sono/Next Music
THE AFRICAN ODYSSEUS
Compilation - 2002 - Saint George
SPIRIT
Album - 1999 - Sonodisc
NIGHT TO NIGHT
Album - 1996 - Real World Records
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