Kali
Lorsqu'on a eu un grand-père, Gaston, Président du Conseil, on peut difficilement s'affranchir du virus de la politique. Et Kali assume. Ses chansons sont rarement anodines, et dénoncent souvent l'ambiguïté des DOM (départements d'outre-mer). Côté musique, Kali est tout aussi intéressant. A contre-courant du zouk, il privilégie l'acoustique et la tradition, le banjo et le reggae.
Jean-Marc Monnerville naît à Fort-de-France le 21 février 1956 d'une mère écrivain et institutrice et d'un père musicien, ancien membre de l'African Band à Paris. Dès son jeune âge, il adopte le surnom de Kali un peu inspiré du dessin animé Calimero, le petit poussin noir. Au début des années 70, Mr Monnerville envoie son fils étudier la musique en métropole. Plus orienté vers les percussions, il fait alors partie de quelques groupes avant de créer le sien à 19 ans, Gaoule, du nom d'un massacre d'esclaves aux Antilles au XVIIe siècle.
En 1979, profondément inspiré par la philosophie rastafari, il se laisse pousser des dreadlocks (longues tresses), et surtout, il crée un second groupe, 6e continent, qui le fait connaître. Il joue alors une musique qui mélange reggae et airs antillais, et parmi les tubes du groupe, il faut citer une adaptation iconoclaste du célèbre "Adieu foulards", et un véritable hymne qui rallie la jeunesse insulaire, "Reggae dom-tom", titre qui aborde les problèmes d'identité du département français par rapport à la Métropole.
Banjo
À cette même époque, Kali adopte le banjo qui imprègne jusqu'à aujourd'hui toute sa musique.
En juin 1983, le groupe remplace au pied levé le Nigérian Femi à la Fête de la musique (manifestation qui a lieu tous les 21 juin en France) au Trocadéro, événement qui fait un peu découvrir la musique antillaise aux Français. Cependant, malgré le succès du groupe, et peut-être à cause de cela, des dissensions apparaissent entre les membres. Lorsque la maison de disques CBS leur demande de moderniser leur musique et de changer de look, Kali décide de dissoudre la formation.
En 1987, Kali rentre au pays et explore des sentiers musicaux à contre courant du zouk qui envahit alors tout le paysage musical des Antilles. Depuis toujours très inspiré par la musique traditionnelle antillaise et ses ambassadeurs tels Eugène Mona, Loulou Boislaville et surtout Alexandre Stellio, clarinettiste et compositeur légendaire de biguine avant-guerre, Kali reprend ce patrimoine à sa façon dans ses deux albums, "Racines I" en 89 et "Racines II" en 90. Au son du banjo et du piano acoustique, des percussions et de quelques légères touches de synthé, Kali compose une musique originale.
De retour à Paris, en tournée seulement puisqu'il s'est désormais installé à Saint-Pierre de la Martinique avec sa famille, il enregistre en concert un album enflammé dans la petite salle parisienne du New Morning. Mais c'est surtout en 92 qu'on parle beaucoup de lui en raison de sa participation au 37e Concours Eurovision de la chanson. Après la chanteuse franco-tunisienne Amina, la France choisit un Martiniquais pour la représenter. Le titre "Monte la rivié", tiré de l'album "Roots" (1992), arrive en 8e place et fait définitivement connaître Kali du grand public.
En 1993, sort le titre "Île à vendre" qui annonce "Lese la te tounen" (laissez la terre tourner), album plus engagé et au son plus actuel, mais auquel a été reprochée une certaine fadeur. Ce succès mitigé n'empêche pas Kali d'être couronné par la Sacem (Société des auteurs compositeurs) en 1994 pour la meilleure chanson de l'année dans la catégorie Antilles avec la chanson "Pan Patchew".
1995 : "Débranché"
Deux ans plus tard, en 95, Kali débranche à nouveau les amplis et retrouve un son acoustique dans l'album "Débranché". Il y reprend un certain nombre de succès de 6e continent parmi lesquels le fameux "Reggae Dom-Tom" dont voici un extrait qui explique la colère des conservateurs ainsi que celle de certains indépendantistes de l'époque : "Je suis vraiment d'une race très spéciale, j'suis un nègre départemental, passionné par le style colonial… Ils se sont penchés sur mon berceau et m'ont couvert de drapeaux, me prenant jusqu'à mon destin. J'aurais dû rester orphelin. Encore combien de générations subiront ces malédictions ".
Présent lors du Midem en janvier 1996, il se produit à Paris dans la petite salle du Hot Brass (fermée en juin 1997) le 22 février, avant d'entamer une tournée à la Réunion du 1er au 10 mars. Cette tournée tourne autour de son album "l'Histoire du zouk" paru cette année-là. Puis à l'automne, Kali est invité au Zimbabwé pour fêter le centenaire de la première insurrection anticoloniale. Pour cette rencontre entre culture africaine et culture antillaise, Kali et ses musiciens rencontrent un vif succès. De culture rasta, il ne se sent pas étranger dans ce pays qui accueillit Bob Marley pour son indépendance en 1980.
À son retour à Paris, il donne un concert en hommage à Léopold Sedar Senghor, grand homme politique et intellectuel sénégalais, le 19 octobre 96 à l'Unesco. Enfin, l'année 96 se clôt par un album consacré à Noël, "Racines 3".
Passant très vite d'un projet à un autre, Kali réapparaît dès juin 97 avec "La Biguine des enfants du Bon Dieu". Ce CD de 3 titres seulement obtient le Prix Sacem Martinique pour la plus belle chanson de l'année.
1998 : "Franc-Ô-Faunes"
Très impliqué dans l'histoire de son pays et de son peuple, Kali est tout naturellement présent dans les célébrations publiques des 100 ans de l'abolition de l'esclavage qui ont lieu tout au long de l'année 1998.
Mais cette année-là est aussi celle d'un nouvel album "Franc-Ô-Faunes" qui paraît le 2 décembre. Il célèbre en quelque sorte les 20 ans de carrière du chanteur et dès la première chanson "Brother Bob" en hommage à Bob Marley, il rend hommage au Jamaïcain qui selon lui, a ouvert une voie musicale à la fin des années 70 à de nombreux jeunes artistes caribéens comme Kali. En partenariat avec RFI, l'artiste fait escale à Paris pour un concert le 6 février 99 au New Morning.
Deux ans plus tard, le chanteur martiniquais fait paraître le quatrième volume de "Racines" sur lequel il reprend des compositions de Stellio, Leona Gabriel ou Eugène Mona, renouant ainsi avec le travail sur la musique traditionnelle des Antilles qu'il avait entrepris dès 1989. À 45 ans, Kali avoue être plus tranquille et moins révolté qu'auparavant. Conserver ses racines à l'heure de la mondialisation et de la surconsommation constitue son grand souci en tant qu'artiste. En tant qu'homme, il aspire à transmettre sa culture. Dans cette perspective, il monte des spectacles dans les écoles martiniquaises afin de faire partager la notion d'identité aux enfants qu'il rencontre.
En 2002, il prend part aux manifestations culturelles commémorant le centenaire de l’éruption de la montagne Pelée en Martinique. L’album "Bèlè Boum Bap", qu’il produit et qui sort en juillet, répond à son envie de faire le lien entre les générations et les genres musicaux. Les artistes qui figurent sur cette compilation sont pour certains issus de la mouvance rap tandis que les autres viennent du monde plus traditionnel des rythmes bèlè.
À la même époque, Kali est programmé en Espagne au festival Pirineos Sur. Sa prestation fait l’objet d’un enregistrement commercialisé en 2004 sous le titre "Live en Espagne".
L’année suivante, le chanteur participe à Pointe-à-Pitre à l'"Akoustik Kreyol project" : un concert acoustique exceptionnel qui réunit plusieurs artistes caribéens comme Dominik Coco, Kolo Barst, Beethova Obas et le groupe Soft. Il revient en Guadeloupe en juin 2006 à l’occasion du festival Créole Blues.
Le cinquième volume de "Racines Caraïbes" paraît en novembre 2007. Annoncé comme le dernier volet de cette série qui a débuté vingt ans plus tôt, le disque bénéficie de la collaboration de Jocelyne Beroard, Tanya Saint-Val, Emeline Michel ou encore Ralph Tamar. La même année, Kali apparaît en duo sur le second album de la chanteuse Raphaëlle Eva, "C’est meilleur quand c’est chaud", qu’il a contribué à réaliser. En juin et juillet 2008, on le voit à l’affiche de plusieurs festivals en France et en Espagne.
2013 : "C'est l'éveil"
Changeant de formule pour se produire sous la dénomination Kali Le trio, il sort un album live acoustique en 2010, dans lequel il revisite ses anciens titres. Puis il laisse de côté son banjo et s’empare des tambours nyabinghi de la culture rasta pour mener à bien le projet "C’est l’éveil", qui parait en 2013. Jouant davantage le rôle de maitre d’œuvre musicien que de chanteur, Il invite à cette occasion une dizaine d’artistes à prendre le micro, dont son fils Nazareken Tiken qui mène sa propre carrière sur la scène reggae antillaise.
Père et fils se retrouvent ensuite en 2015 pour un deuxième volet discographique de Kali Le trio, intitulé "Sacré combat". En parallèle, le chanteur martiniquais monte régulièrement sur scène, aux Antilles mais aussi en Guyane en 2016.
Pour célébrer ses 60 ans et 45 ans de musique, il donne un concert sur son île en février 2019 et à Paris en décembre, avant de recevoir en juin 2021 le Trophée Barel Coppet, du nom d’un célèbre clarinettiste antillais du XXe siècle, pour l’ensemble de sa carrière.
Février 2022