Kery James
Héraut d’un rap hardcore enragé dans les années 90 avec son groupe Ideal J, Kery James a radicalement changé de registre après le décès d’un ami en se convertissant à l’islam. Le rappeur apaisé prône en solo des valeurs d’amour et de respect. Aujourd’hui, il tente de défendre sa religion à travers la musique et s’engage avec citoyenneté dans la société.
Alix Mathurin, alias Kery James, est né en Guadeloupe le 28 décembre 1977 de parents d’origine haïtienne. Il passe les sept premières années de sa vie auprès de sa mère sur son île natale. Mais son père, qui nourrit de hautes ambitions pour ses enfants, décide de l’envoyer avec sa soeur en pension en France, afin qu’ils reçoivent une bonne éducation. Kery débarque donc en métropole en octobre 1985. Après quelque temps passé au pensionnat, sa mère, venue s’installer en France entre temps, réussit à les récupérer. Kery découvre alors son nouveau foyer : une pièce d'environ 30m² située dans un pavillon d'Orly, en banlieue parisienne. L'adaptation est difficile et l'adolescent se laisse rapidement entraîner par la rue ; c'est là qu'il découvre le rap.
Les débuts fracassants d’Ideal J.
A 11 ans, le jeune Kery se fait remarquer à la MJC d’Orly pour ses talents d’auteur, de danseur et de rappeur. Deux ans plus tard, il crée avec ses amis Harry et Teddy le groupe Ideal Junior, plus connu sous le nom d’Ideal J, baptisé ainsi en raison de leur jeune âge. Leur verve acerbe et provocante ne passe pas inaperçu dans le petit monde du rap français, et un producteur décide alors de les prendre sous son aile. En 1992, Ideal J sort ainsi son premier maxi intitulé "La vie est brutale", sur lequel Kery fait montre de ses talents de rappeur.
La même année, DJ Medhi – figure aujourd'hui reconnue dans le milieu du rap et de l'électro – rejoint la formation; c’est lui qui compose désormais tous les instrumentaux du groupe. Mais en 1993, les rappeurs se brouillent avec leur producteur et la sortie de leur premier album se retrouve bloquée pendant trois ans. "Original MC sur une nouvelle mission" sort donc en 1996, mais c’est avec "Le combat continue" en 1998 que le groupe connaît la consécration.
Considéré par beaucoup comme l’un des groupes de rap les plus hardcore de l’époque, les textes incisifs d’Ideal J font couler beaucoup d’encre. Kery James se place en agitateur virulent, prônant la rébellion contre l’état français et flirtant parfois avec un certain extrémisme. Pris dans l’engrenage de la rue et de ses vices, le rappeur manque de peu de basculer du mauvais côté. Mais en 1999, l’assassinat tragique d’un de ses meilleurs amis lui fait l’effet d’un électrochoc: il réalise subitement qu’il aurait pu être à sa place… Kery James décide alors d’arrêter le rap et trouve refuge dans la religion.
2001 : "Si c’était à refaire"
A l’instar de nombreuse stars du rap américain, Kery James choisit de se convertir à l’islam. Alix devenu Ali, change alors radicalement de vie et de discours en s’investissant pleinement dans la pratique et l’étude de la religion musulmane. Entre temps, ses proches sont parvenus à le convaincre de revenir sur sa décision d’abandonner la musique.
Maintes fois repoussé, son premier album solo intitulé "Si c’était à refaire" sort en octobre 2001. Fortement influencé par les valeurs prônées par le Coran, ses textes n’ont plus rien à voir avec les brûlots provocateurs d’Ideal J. Kery James prend même à contre-pied le discours rap habituel et tous ses clichés en cassant les mythes de l’argent facile et de la violence. Le jeune "sauvageon" d’Orly a mûri et regrette ses erreurs passées. Ses chansons délivrent désormais des messages d’amour, de paix et de respect. Celui que les médias surnomment le "rappeur repenti" dénote dans le paysage rapologique français. "Si c’était à refaire" est très bien accueilli par le public et la critique et se devient même disque d’or (100.000 exemplaires vendus) en à peine quelques semaines.
Attiré depuis quelque temps par la composition, Kery James a profité de l’occasion pour écrire lui-même la plupart des musiques de son album, en prenant bien soin de n’utiliser aucun instrument à vent ou à cordes, en respect d’un commandement religieux. Sur scène, le rappeur s’entoure d’un véritable orchestre acoustique (le James Band), chose rare dans le hip hop. Après être monté sur les planches du mythique Olympia à Paris en mars 2002, Kery clôt le plus grand rassemblent rap/r’n’b jamais organisé en France: Urban Peace au Stade de France le 21 septembre 2002.
Cependant, ces choix et ses prises de positions artistiques, guidées par la pratique d’un islam orthodoxe, dérangent sa maison de disques qui décide malgré son succès, de ne pas le suivre sur son nouveau projet discographique.
2004 : "Savoir et vivre ensemble"
C’est donc sur le label indépendant Naïve que sort en avril 2004 son nouveau disque intitulé "Savoir et vivre ensemble". Profondément affecté par la vague d’attentats sans précédent perpétrés dans le monde entier par des terroristes se réclamant de l'islam, Kery James a souhaité à travers la musique redonner à sa religion le visage qu’elle mérite: celui de la paix, de la fraternité et de la tolérance. Son second disque prend donc la forme d’une compilation réunissant des artistes de tous bords et de toutes confessions, mobilisés pour faire passer le message.
Tous les grands noms de la scène rap française ont d’ailleurs répondu présent: Kool Shen, Passi, Diam’s, Disiz La Peste, Rim’K du 113, et bien d’autres, se partagent le micro sur des morceaux de rap ou de musiques traditionnelles. Une partie des bénéfices de ce projet est reversée pour la construction d’un centre culturel ouvert à tous, et dans lequel sera dispensé un enseignement religieux loin de tout extrémisme. Mais pour ne pas se limiter à une action strictement religieuse, Kery James a tenu à ce qu’une autre part des bénéfices soit offerte à une association menant une action sociale ou médicale en France, en l’occurrence Combattre et Vivre son Handicap à Gennevilliers, liée au réseau Handisport.
2005 : "Ma vérité"
Après la sortie de "Si c’était à refaire", Kery James avait laissé entendre qu’il allait rapidement raccrocher le micro. Il semble pourtant que le rappeur ait retrouvé le plaisir de faire rimer les mots puisqu’il sort en avril 2005 un nouvel album intitulé "Ma vérité". A l’écoute du disque, on se rend tout de suite compte que Kery a retrouvé sa verve d’autrefois. Les instruments acoustiques font place aux synthétiseurs et à de gros sons bien lourds.
Le MC, qui se définit lui-même comme "Militant et Conscient", a mis de côté son côté moralisateur pour revenir vers des textes incisifs et sans concession qui n’épargnent personne. "Je n’avais pas envie que l’on m’enferme dans la case du rappeur musulman qui est là pour prêcher" confie-t-il. "Je ne suis pas toujours en boubou chez moi, assis en tailleur dans le noir. Je suis un artiste, je fais de la musique, j’ai des revendications sociales et j’ai aussi un regard critique sur le monde et la société". Avec "Ma vérité", Kery James s’éloigne donc de la religion et établit la symbiose parfaite entre la violence d’Ideal J et la sagesse de son premier album solo. Sans doute l’un de ses meilleurs disques.
En 2008, Kery James publie deux albums : "Thug Life" avec son groupe Mafia K'1 Fry et "A l'ombre du show-business", un quatrième album solo tissé de rythmes hip hop et sombres. On y entend le rappeur chanter avec le slameur Grand Corps Malade, mais aussi avec Zap Mama et Charles Aznavour. Sur les titres "Banlieusards" et "L'Impasse", Kery James évoque son travail au sein de l'association ACES (Apprendre, Comprendre, Entreprendre et Servir) qu'il a créée et qui propose du soutien scolaire. La semaine même de sa sortie, "A l'ombre du show-business" est propulsé à la troisième place des charts français. Le simple "XY" donne lieu au tournage d'un clip réalisé par Mathieu Kassovitz.
En octobre, avec le titre "Le prix à payer", Kery James participe à la compilation rap qui accompagne la sortie du film de Jean-François Richet, "Mesrine, l'instinct de mort".
2009 : "Réel"
Kery James opère un retour fracassant en avril 2009 avec l'album "Réel", qui se classe dès sa sortie numéro un des ventes en France. Les rappeurs Admiral T, Médine et Le Rat Luciano collaborent sur quelques titres, mais c'est avec "Le retour du rap français" et "Je représente" que Kery James gagne son succès. Dans le morceau "Lettre à mon public", il exprime une nouvelle fois son envie de faire une pause.
En juin, il annonce en effet vouloir s'éloigner de la scène rap pour deux ou trois ans. Le monde du rap n'est pas toujours tendre (il est alors en procès avec un autre rappeur à cause d'une violente altercation) et l'artiste explique avoir besoin d'un break afin de se concentrer sur sa spiritualité.
En attendant, Kery James poursuit la tournée qui accompagne la sortie du disque, et termine en beauté le 18 décembre lors d'un grand concert au Zénith de Paris, où il invite de nombreuses figures du rap français comme Diam's, Kool Shen ou Oxmo Puccino. Un album live et un DVD intitulé "A mon public" sortent l'année suivante.
Kery James fait néanmoins une nouvelle apparition publique après le séisme qui frappe Haïti en janvier 2010. Très touché par ce drame (il est d'origine haïtienne), il se mobilise pour aider les victimes. En février, il donne un concert au Bataclan et compose le simple "Désolé", interprété avec entre autres Youssou N'Dour, Diam's, Tiken Jah Fakoly ou Souad Massi. Tous les bénéfices sont reversés à l'organisation Action contre la faim pour venir en aide aux sinistrés.
Après deux années de silence, Kery James revient sur le devant de la scène en février 2012 avec la publication de "Lettre à la République", un titre choc dans lequel il interpelle la France raciste, et qui fait couler beaucoup d'encre. Cette chanson est le premier extrait de son album "92-2012", qui paraît en avril à l'occasion de ses 20 ans de carrière.
Les autres morceaux de ce nouvel opus sont des reprises de son répertoire, réorchestrées en acoustique. C'est dans cette nouvelle version sonore que le rappeur interprète ces morceaux sur la scène du Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, du 10 au 28 avril 2012, accompagné de deux musiciens, aux claviers et aux percussions.
Cet anniversaire est aussi accompagné par la sortie d'un documentaire intitulé "Les quatre visages de Kery James", réalisé par Philippe Roizès. Le film évoque le parcours mouvementé et contrasté de Kery, son enfance d'exilé, la délinquance, le rap et la foi.
2013 : "Dernier MC"
L'artiste n'attend pas longtemps avant de publier de nouveaux titres originaux. Fin 2012 paraît le morceau "Dernier MC", suivi en mai 2013 par l'album du même nom. Youssoupha, Medine, Corneille et les chanteuses Imany et Zaho apparaissent sur quelques titres. Avec des textes toujours aussi engagés et une musicalité soignée, l'album se classe troisième des charts la semaine de sa sortie.
Kery James démarre ensuite une grande tournée et le 21 novembre, il se produit au Palais Omnisport de Paris-Bercy, avec quelques invités comme Youssoupha, Imani, Corneille, etc.
Kery James poursuit son action en faveur de l'éducation avec le projet A.C.E.S Tour (Apprendre, Comprendre, Entreprendre, et Servir) qui débute en novembre 2015. Le principe : financer des bourses d’études grâce à ses concerts donnés dans onze villes de France. Après avoir été élus par l’association A.C.E.S fondée par le rappeur et dont le comédien Omar Sy est parrain, les étudiants banlieusards peuvent recevoir jusqu’à 6 000 euros.
L’A.C.E.S Tour est aussi une aventure artistique car Kery James inclut aux côtés de ses propres titres, des extraits de textes d’écrivains ou d’hommes politiques ayant marqué l’histoire.
Entre 2014 et 2016, il enregistre des featurings avec Bakar et Béné ("L’issue"), Fyenso Jumo et Sarrazin ("L’Histoire se répète") et Nefsi ("Avant de se connaître").
2016 : "Mouhammad Alix"
En mai 2016, l'artiste présente le clip de son titre "N’importe quoi" après avoir présenté "Mouhammad Alix" et "Vivre et mourir ensemble", des extraits de son septième album "Mouhammad Alix" sorti un peu plus tard, en septembre 2016. Il y évoque des problématiques politiques comme le cumul des mandats, la délinquance dans les plus hautes sphères du pouvoir ou encore l’impunité pénale et les tourments de l’identité française. Toujours percutant, Kery James propose aussi un titre révolté et dénonciateur, "Musique nègre" avec les rappeurs Lino et Youssoupha.
Le 30 novembre 2016, le rappeur donne un concert au Zénith de Paris, marquant le début de sa tournée "Kery James, Mouhammad Alix Tour" composée de 13 dates dans toute la France.
En janvier 2017, il monte sur la scène du Théâtre du Rond-Point à Paris pour la pièce "A vif", une joute verbale qu’il a écrite et dans laquelle deux avocats s’affrontent autour d’une question : l’État est-il le seul responsable de la situation actuelle des banlieues en France ?
A cette période, il devient lauréat de la bourse Beaumarchais pour le scénario de son premier long métrage à venir "Ne manque pas ce train", une déclinaison de la pièce "A vif".
Il poursuit par ailleurs, le "Mouhammad Alix" Tour dès février 2017.
En février 2017, il crée son propre site d’information LeBanlieusard.fr, avec pour devise, “L’information par nous, pour tous”. Les candidats à l'élection présidentielle sont invités à y présenter leur programme pour les banlieues. Après avril, le site cesse d’être alimenté.
En 2017-2018, il repart pour une tournée acoustique et solidaire, "A.C.E.S. Tour". Une partie de son cachet est reversée à des étudiants pour les aider à financer leurs études supérieures. Il interprète les textes les plus marquants de ses 25 ans de carrière.
En octobre et novembre 2018, il tourne avec la réalisatrice Leïla Sy, son premier film au quartier du Bois-l’Abbé à Champigny-sur-Marne. Il est coréalisateur, acteur et bien sûr scénariste. "Banlieusards" sortira en octobre de l’année suivante sur Netflix.
2018 : "J’rap encore"
En novembre encore sort un nouvel album. Il y prend position contre le consumérisme et l’éloge de l’autodestruction à l’œuvre dans les nouvelles tendances du rap. Il y est aussi question des violences policières, notamment avec le titre "Amal". Il se produit partout en France et au Zénith de Paris en décembre. A 40 ans passé, Kery James n’a rien perdu de son engagement et de ses idéaux.
Le rappeur se produit à l'AccorHotel Arena le 2 décembre 2019, puis commence une tournée acoustique le 30 janvier 2020, "Le Mélancolique Tour".
Février 2020