Dionysos
A ceux qui désespéraient d’une créativité à la française, Dionysos en remontre plus d’un. Ce n’est certes pas l’arbre qui annonce la forêt, mais celui-ci en vaut bien quelques-uns. Artillerie rock et mélodies délicieuses, folk dépouillé et bricolages fantaisistes, Dionysos réinvente "L’Ile aux Enfants" sous testostérone.
Cela commence par la rencontre de quatre copains de lycée se décidant à jouer ensemble parce qu’ils ont envie de se faire plaisir et qu’ils aiment les Pixies. En fait, au vrai début, il y a les genoux de Mathias Malzieu, hors d’usage suite à un fâcheux accident de tennis. Il raccroche sa raquette, abandonne ses rêves de succession au trône de McEnroe, son idole. Pendant sa convalescence, il empoigne sa guitare et met en musique ses propres textes.
Il rôde ses premières chansons en faisant la manche dans des restaurants de stations balnéaires. C’est alors qu’il est rejoint par trois de ses copains et tous ensemble fondent le nom qu’ils piquent aux cours de philosophie. Mathias flashe sur l’image de Dionysos, le nom grec de Bacchus-le dieu ivrogne, dans la tragédie de Nietzsche. Avant même de vouloir monter un groupe, il se dit que ce serait un nom de scène génial parce qu’il sous-entend que n’importe quoi peut se passer à n’importe quel moment.
La Formation
En 1993, ils forment Dionysos, originaire de Valence (Drôme). Le groupe se compose de Mathias Malzieu, né en 1974 à Montpellier (chant, guitare), Eric Serra-Tosio (batterie), Michaël Ponton (guitare), Guillaume Garidel (basse). Ils seront rejoints début 1997 par Elisabet Ferrer alias Babet (violon, clavier). Un seul mot d’ordre à l’ouverture des portes : ne pas se prendre au sérieux et revendiquer le droit à sa propre création. Et au temps libre pour l’entière pratique des loisirs de chacun : le surf, le longboard, la vidéo pour Mathias, le tennis et la photo pour Mike, Eric fabrique des maquettes de stade de football, Babet peint et fait de la musique avec son copain, pendant que Guillaume se branche à l’informatique et à sa planche à voile.
Le groupe n’a que trois semaines d’existence et seulement trois répétitions derrière lui lorsqu’il effectue son baptême du feu, en octobre 1993 : un concert de sept morceaux au Café de la Paix à Valence, qui se passe suffisamment bien pour leur donner envie de continuer, même s’ils confessent ne pas regretter la destruction de la bande.
Entre 1994 et 1995, ils enregistrent des démos. Quitte à passer leur été à cueillir des abricots pour financer les premiers enregistrements. Ces premières mises à plat vont leur permettre de faire quelques concerts. Ils gagnent un tremplin rock qui aboutit au pressage d’un vinyle 45 tours. Puis, le label Nova Express leur propose une co-production pour enregistrer l’album intégralement en anglais, "Happenings Songs", en un temps record de six jours.
Août 1996, une de leurs démos arrive sur le bureau de Cascade Production. Olivier Vallon les signe, devenant par la suite leur manager et tourneur. Mais c’est aussi l’année où Mathias alors en maîtrise de cinéma, un mémoire sur Jim Jarmush sur le feu, interrompt ses études. Il avait bien l’intention de l’emmener avec lui, y travailler après les concerts, mais finalement rien de tout cela ne se passe.
En 1997, ils sont rejoints par Babet au violon et aux claviers. En mars sort commercialement "Happening Songs" (Nova Express/Tripsichord). Les concerts vont alors s'enfiler comme des perles, la barre des cent est même allègrement franchie (Transmusicales de Rennes, 24 INSA Toulouse…entre autres rencontres scéniques avec Deus, Eels, Sloy, Little Rabbits…), ainsi qu’un petit succès radio avec "Wet". Dionysos se retrouvera pendant plusieurs semaines parmi les dix artistes les plus diffusés dans le classement «fusion» des radios rocks. Notamment la radio suisse Couleur 3 craque et les diffuse fréquemment. De cette percée en Helvétie naîtra une collaboration sur le label genevois Noise Product et un projet de co-production sur le maxi 10 titres "The Sun Is Blue Like The Eggs In Winter", sorti en février 1998.
La même année, ils sont sélectionnés au FAIR, cette structure culturelle créée à l’initiative du ministère de la Culture, favorise le développement de quinze groupes par an, ce qui leur permettra d’enregistrer de nouveaux titres en vue d’un éventuel nouvel album.
La saison 1998-1999 s’articule essentiellement autour d’une période de concerts tous azimuts en France, en Suisse, Belgique, Allemagne, ponctuée d’une tournée commune avec Louise Attaque, les Autrichiens de Sans Secours, les Despondents et Mary’s Child… cette dernière donnera lieu à un "split single" des trois groupes, appelé "Soon, On Your Radio" (Pandemonium/Tripsichord), compilation sur laquelle on peut trouver les titres "Caliméro" ou encore "Dead Chips Party". Plus de cent concerts et un soutien médiatique encourageant plus tard, Dionysos est approché par plusieurs maisons de disques. Leur choix ira fin 1998 au label Trema.
1999 : "Haïku"
Un nouvel album est rapidement mis en chantier, les producteurs sont arrêtés à l’hiver 1999. Norman Kener tout d’abord, avec lequel le groupe tient un premier bon contact au téléphone. Il vient d’écouter les morceaux, il en parle comme s’il s’était déjà mis au travail dessus. Il sera ensuite rejoint par Dan Presley, neveu discret de l’oncle légendaire, à qui l’on doit entre autres Spain, Faith No More, les Breeders… Le choix du producteur ne s’est pas fait d’une volonté à l’internationalisation ; si un producteur français leur avait tenu le même discours, ils l’auraient fait ici. En avril, le quintette de Valence décolle pour San Francisco où ils passent cinq semaines sur l’enregistrement des quinze nouveaux titres qui composeront "Haïku". Un Haïku est une forme de poésie japonaise, laconique, rythmique et philosophique. Ici, les poèmes sont faits de phrases simples et décousues, faisant penser aux techniques d’écriture automatique empruntées aux surréalistes. Pour ce premier album sur une major, Dionysos s’oriente, contrairement à ses deux premières réalisations, très franchement vers une écriture francophone. Le mastering sera fait à Paris en juin 1999.
"Haïku" sort en France, en Suisse et en Belgique le 7 septembre. Il se vendra à plus de 30.000 exemplaires.
Une vaste tournée dans l’Hexagone vient appuyer la sortie de l’album, elle débute au mois d’octobre 1999. Et s’achèvera quelques 170 concerts plus tard. Entre temps ils auront pris le temps de sortir "Haïku folk", une relecture brute de certains morceaux, enregistrée "live en studio" en deux jours avec des potes comme Venus, Julie Bonnie ou Dogbowl.
Une cascade loupée lors d’un concert le 16 mars 2000, et Mathias soigne sa cheville cassée avec l’obligation de rester assis pendant les quarante-cinq concerts qu’ils doivent encore donner, dont quinze en duo avec le plâtre.
La consécration
A l’heure de la conception de leur album suivant, "Western dans la neige", l’orientation flirte avec les extrêmes. Les morceaux acoustiques seront plus acoustiques et les morceaux costauds le seront encore plus. Voilà qui en dit long sur l’état d’esprit dans lequel a été composé, non pas "Brèves de vie" comme on a pu trop tôt l’annoncer, mais celui cité plus haut. Pourquoi ce titre ? Une ré-appropriation de l’univers de Sergio Leone dont ils sont très friands.
Tout comme du travail de Steve Albini, un des producteurs américains de rock les plus cotés, dont le groupe s’attache les services pour l’enregistrement. Les Pixies, Nirvana, PJ Harvey, John Spencer Blues Explosion… le technicien toujours affublé de sa blouse bleue de mécano est une légende. Un habitué par ailleurs des collaborations franco-ambitieuses, avec Sloy, Les Thugs ou encore Héliogabale. Le contact est d’ailleurs d’une simplicité dionysiaque. Le manager tient le contact de Steve, lui envoi les démos qui plaisent, une discussion au téléphone, vendu !
L’enregistrement dans le home-studio Electrical de Chicago ne dure que trois semaines. Le groupe tient particulièrement à travailler un son live, significatif de la tension palpable sur scène. Le mastering est toujours exécuté par Steve, mais cette fois dans les mythiques studios d’Abbey Road. Selon lui, les meilleurs en la matière. L’album aurait pu être soit totalement français, soit totalement anglais, ils avaient suffisamment de matière pour cela, mais ils préfèrent travailler les deux registres, cultiver la double palette. De toute façon, Mathias aborde les deux langues comme d’authentiques instruments.
Gros succès critique et commercial dès sa sortie, l’album prend tranquillement la voie du disque d’or. Après avoir été félicité par le plus rock des chanteurs new-yorkais à l’heure actuelle, John Spencer du John Spencer Blues Explosion. Celui-ci les a vus sur scène, a demandé un disque et voilà. Ils partageront ensuite l’affiche au Printemps de Bourges. Festivals qu’ils écument en 2002 (puis en 2003), Les Vieilles Charrues à Carhaix en juillet, Le Rock dans tous ses Etats à Evreux en juin, Roc’Han Feu à Pontivy aussi en juin…
Porte-parole et principal compositeur, Mathieu, en tout cas artiste complet, réalisateur de courts-métrages, de clips, notamment pour Dolly, publie début 2003 un recueil de nouvelles illustrées aux Editions Pimientos intitulé "38 Mini Westerns". On n’en sort plus, l’hydre Dionysos est décidément incontournable.
Des monstres
Le groupe poursuit sa tournée jusqu’à la fin de l'année 2002 avant de s’enfermer pendant trois semaines pour préparer une série de dix concerts qu’il s’apprête à donner en version acoustique, dans des salles de taille modeste. Il participe ensuite à la compilation "Avec Léo", en hommage à Léo Ferré, en reprenant la chanson "Thank You Satan". Puis il repart sur les routes de France jusqu’en août 2003. À peine trois mois plus tard sortent séparément deux albums live, l’un acoustique, l’autre électrique, portant le nom "Whatever The Weather". Affecté par le décès de sa mère qui le conduit à mettre de côté la musique pendant quelque temps, Mathias parvient à surmonter l’épreuve en écrivant le roman "Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi", peuplé de monstres sympathiques.
Les concerts qu’il donne avec le groupe pendant l’été 2004 lui permettent de reprendre confiance. Après trois semaines passées au Maroc à travailler sur les nouvelles compositions, Dionysos part enregistrer en Grande-Bretagne avec le producteur John Parish, qui a contribué au succès de l’Américaine PJ Harvey. L’album "Monsters In Love" sort en août 2005. Comme le titre le laisse entendre, les monstres imaginés par Mathias Malzieu pour son livre font leur apparition dans l’univers musical du groupe. Sur la chanson "Old Child", les Français ont invité la formation britannique The Kills, rencontrée lors d’un festival en France.
Insatiable quand il s'agit de scène et de foule, Dionysos embraye sur une nouvelle tournée au mois d'octobre 2005. Une série de dates en France, quelques-unes en Suisse, au Luxembourg, en Belgique, en Allemagne… En 2006, les festivals ne sont pas oubliés, entre le Printemps de Bourges, les Francofolies de la Rochelle, celles de Montréal en juin ou encore Les Vieilles Charrues en juillet. A chaque fois, l'énergie des six joyeux drilles est saluée par le public, qui en redemande.
Logique donc qu'en 2007, Dionysos sorte un CD et un DVD live pour combler ses fans. Baptisé "Monsters In Live" en écho à "Monsters In Love", leur opus de 2005, l'ensemble sort en janvier. Outre deux concerts (l'un enregistré à l'Olympia en 2005, l'autre au Zénith de Paris en 2006), le DVD comporte un film qui montre des moments forts du groupe, de novembre 2004 à novembre 2006 (enregistrement au Maroc, en Angleterre, en Auvergne, premières dates de tournée, coulisses de Belfort...)
Après la sortie de "Monsters In Live", Mathias Malzieu et sa bande poursuivent les concerts. En France, mais aussi à l'international, avec une date en Islande à Reykjavik et une autre au Texas, à Austin, dans le cadre du festival South by Southwest, qui se déroule au mois de mars.
Le 5 mars, Babet sort un album en solo intitulé "Drôle d'oiseau".
2007 : "La mécanique du cœur"
En novembre 2007 paraît le sixième album du groupe, "La Mécanique du cœur". Il est inspiré du roman du même nom que Mathias Malzieu a sorti quelques jours plus tôt chez Flammarion. Le livre, comme les chansons du disque, raconte l'histoire d'un étrange petit bonhomme né avec une horloge à la place du cœur, qui tombe amoureux d'une chanteuse de rue. Le héros est incarné par Mathias Malzieu, l'héroïne par sa compagne à la ville, Olivia Ruiz. D'autres invités figurent sur l'album : Grand Corps Malade, Alain Bashung, Jean Rochefort, Emily Loizeau ou encore l'ex-footballeur français, Eric Cantona.
Quatre mois après la sortie de "La Mécanique du cœur", Dionysos débute une tournée, avec une première date en mars 2008, à Genève. Elle se poursuit jusqu'en juillet, permettant ainsi au groupe de se produire dans les festivals d'été. Partout, le groupe trimballe un décor fait d'horloges aux formes différentes, pour mieux donner corps sur scène au conte musical de Mathias Malzieu. Le chanteur rêve d'en faire plus et de l'adapter au cinéma. Son vœu se réalise en partie lorsqu'Europacorp, la société du cinéaste français Luc Besson, acquiert les droits du livre pour en faire un film d'animation en 3D. Celui-ci sera écrit et co-réalisé par Mathias Malzieu, avec la collaboration de Stéphane Berla et Joann Sfar pour tout l'aspect visuel et graphique.
Dionysos a trouvé dans "la Mécanique du cœur" la formule magique qui lui permet de dilater le temps. Alors qu’il célèbre ses quinze ans, le groupe s’offre à l’automne 2009 une tournée acoustique et une belle crise de nostalgie adolescente. La compilation "Dionysos eats music" reprend des versions rares de ses titres emblématiques, une série d’inédits et des morceaux live. Plus qu’un best of, "Dionysos eats music" permet de rentrer de plain-pied dans l’enfance des cinq cascadeurs de Valence et d’entendre tout ce qu’on met de côté d’habitude.
En janvier 2010, le groupe au grand complet fait encore son cinéma. Il apparaît sur la bande originale et dans le film de Joann Sfar, "Gainsbourg (Vie héroïque)" mais en réalité, chacun des membres est déjà parti de son côté. La violoniste Babet prépare son nouveau disque, "Piano Monstre" et elle interprète Wendy dans une pièce de théâtre inspirée de Peter Pan, le batteur Rico et Stephan Bertholio, le sixième Dionysos, fondent le trio de garage Corleone tandis que Mathias Malzieu poursuit sa carrière d’écrivain à succès. Il travaille aussi à l’adaptation cinématographique de "la Mécanique du cœur".
2012 : "Bird’N’Roll !"
La sortie du film d’animation est repoussée à plusieurs reprises et, après une bonne cure de sommeil, Dionysos se réveille. "Bird’N’roll !", son septième disque, est enregistré dans le studio construit par le groupe, non loin de Valence. Il est produit par son guitariste, Miky Biky. Tiré pour partie du troisième roman de Mathias Malzieu, Métamorphose en bord de ciel, il raconte un bout de l’histoire de Tom Cloudman, le plus mauvais cascadeur de tous les temps.
Surtout, il permet à Dionysos de se retrouver autour de westerns de poche et d’un surf rock très marqué par le swing des Andrews Sisters. La tournée, entamée par un concert au Trianon à Paris le 26 mars, est bien sûr placée sous le signe du "Bird’N’Roll !", danse fantasmagorique, mélange de rock’n’roll et des battements d’ailes d’oiseau. Le "Bird’N’Roll" permet à Dionysos de continuer à soulever les salles de concert comme les festivals prévus pour l’été 2012.
En 2014, le film d’animation "Jack et la mécanique du cœur", 'adaptation du roman de Mathias Malzieu, sort. Et c'est naturellement Dionysos qui s'occupe de la bande originale.
2016 : "Vampire en pyjama"
C’est le huitième album pour Dionysos. Et il naît d’un combat : celui de Mathias Malzieu face à la maladie, une aplasie médullaire. Et alors que "Jack et la mécanique du cœur" racontait l’histoire d’un garçon à qui on greffait une horloge à la place du cœur, c’est bel et bien d’une greffe dont a eu besoin le chanteur pour survivre. Curieuse résonnance. Mathias Malzieu sort de sa bulle : nouveau groupe sanguin, nouvelle vie, nouvel album. Les textes sont en fait inspirés du 6e livre du chanteur intitulé "Journal d'un vampire en pyjama". Et dans l'album intitulé "Vampire en pyjama", il narre en musique cette fois, l'aventure extraordinaire. "Vampire de l’amour", "Dame Oclès, "Skateboarding sous morphine", "Know your anemy", treize chansons lumineuses pour dire le calvaire, la maladie, la renaissance.
Le groupe parcourt la France pour donner vie à l’album sur scène mais privilégie des salles plus modestes afin de préserver l’énergie du re-nouveau-né Malzieu.
En octobre, le groupe publie un mini-album "Faire le con poétiquement est un métier formidable", des morceaux que l'on retrouve aussi dans la réédition de l'album "Vampire en pyjama".
Septembre 2017