Ziskakan
Dans la sève rebelle du maloya, miroir de la bouillonnante culture créole réunionnaise, Gilbert Pounia, leader du groupe Ziskakan, a trouvé matière à nourrir son cœur. Groupe pionnier dès la fin des années 70, Ziskakan a fait du maloya son cheval de bataille et de la défense de la culture créole son credo.
Pendant longtemps, le maloya fut banni par les autorités réunionnaises. Les temps changent. Aujourd’hui, il vit en pleine lumière grâce à ces guerriers de l’ombre qui ont tout fait pour qu’il ne meure pas. Parmi ceux ayant choisi de se mobiliser en sa faveur et pour la reconnaissance de la langue créole, hier complètement niée par les élites locales, figure aux avant-postes le groupe Ziskakan.
Créé en 1979 sous la forme d’une association culturelle ayant pour but "la valorisation et la propagation de la culture réunionnaise", Ziskakan va au départ faire figure de laboratoire d’études pour la langue créole (création d’un groupe d’études et de recherches créoles - GREC – regroupant intellectuels, chercheurs, historiens, lancement du magazine Sobat-koz, d’une radio libre - radio Ziskakan -). Mais Ziskakan est aussi un véritable groupe artistique. Un ensemble militant qui, à travers le théâtre, la poésie, la danse, le chant, le conte, la musique, perpétue tout un faisceau de valeurs représentatives de la culture réunionnaise.
Le groupe enregistre son premier album (autofinancé) et commence à tourner en dehors de l'île de la Réunion (Maurice et Seychelles). En 1983, sort un double album (encore autofinancé), "Pei Bato Fou", suivi en 1987 par "Moringer" (toujours autofinancé). Fin 1988 et début 1989, Ziskakan brandit pour la première fois l’étendard du maloya en métropole.
D’autres albums suivent, au cours desquels Ziskakan, emmené par son charismatique leader, d’origine tamoule, Gilbert Pounia, ne cesse de développer une conception moderne du maloya sans en renier les racines.
Ambassadeur du maloya
Très remarqué lors de son passage à l’Olympia en 1992 à l’occasion de la soirée "La Réunion des Musiques", le groupe est repéré par Philippe Constantin, regretté directeur chez Polygram. Le résultat ne se fait pas attendre : Ziskakan enregistre à Dakar "Kaskasnikola", son septième album et le premier chez une major (sur Mango, label satellite d’Island). En 1994, le groupe participe à des festivals importants en Europe (Musiques Métisses à Angoulême, le Havre, Montreux, Francofolies de La Rochelle) et à la tournée "Africa Fêtes" aux États-Unis avec Angélique Kidjo et Kassav’ (à l’issue de la tournée, il est classé au Top Ten Californie).
Deux ans plus tard sort "Soley glasé", enregistré à Londres et Bruxelles, et réalisé par Phil Delire, qui avait travaillé notamment avec Alain Bashung. L’album s’achève sur une reprise de "Bato fou", un titre datant de 1981, l’un des plus grinçants qu’ait écrit Gilbert Pounia (" Ils nous ont donné l’ordre de nous blanchir la peau, d’apprendre le français vite fait pour que les patrons français n’aient pas trop de problèmes… ").
En 1998, alors qu’il vient d’entamer une tournée de six mois qui doit passer par Miami pour le Midem latino, Ziskakan se disloque. Surprise. D’après les explications de Gilbert Pounia, fournies au journal réunionnais Le Quotidien, l’ambiance était devenue tendue depuis l’arrivée d’une forte somme d'argent, attribuée par les collectivités locales pour le montage de la tournée.
Après quelques mois de réflexion, Gilbert Pounia remet le pied à l’étrier. Il réunit une nouvelle formation, entièrement acoustique et entre en studio. Enregistré en 1999 à la Réunion, mixé à Paris, "4 ti mo" (sorti en 2001 chez Créon Music), mêle aux instruments du maloya (rouleur, cayamb…) sitar et tabla indiens et contient un texte dédié au chanteur Kaya (décédé de façon suspecte dans les prisons de l’île Maurice). Ziskakan se produit à Paris le 3 novembre 2001 au Café de la Danse.
Retour aux origines
Gilbert Pounia renoue avec la terre de ses ancêtres en 2001. En effet, il se rend à Bombay en Inde pour enregistrer les morceaux qu'il a préparés à la Réunion. Il travaille sur les sons d'instruments tels que sarod, shennai ou flûte, cette dernière étant confiée à Rupark Kulkarnik, élève du fameux musicien Hari Trasad-Chaorasia. En décembre 2001, sort donc cet album aux sonorités indiennes intitulé "Rimayer". En janvier 2002, Ziskakan s'embarque pour l'autre côté de l'Océan indien et se produit à New Delhi ainsi qu'à Ariboa, une ville située sur le Gange.
Ziskakan se produit alors sur de nombreuses scènes : sur l'île Maurice, en métropole et en Suisse. Le 28 avril 2003, le groupe donne un concert au Casino de Paris. L'enregistrement fait l'objet d'un disque qui sort l'année suivante. Gilbert Pounia et ses acolytes sont pendant cette année 2004, en tournée à la Réunion, en France, en Suisse et au Canada.
En 2005, ils partent jouer dans les villes indiennes de Bombay, Jaïpur, Madras, Goa, New Dehli… Le chanteur choisit d'autoproduire son album suivant qu'il enregistre dans un studio de Montpellier. Là-bas se créent des liens avec le groupe raï rock, les Boukakes, dont l'un des musiciens est invité à participer aux sessions de l'album.
Toujours influencé par l'Inde, "Banjara" fait référence aux Gitans, croisés ici ou ailleurs, avec lesquels l'artiste se sent de réelles affinités. Programmé au festival Sakifo qui se tient à La Réunion en août, il lance son disque deux mois plus tard. Sa popularité est restée intacte : en deux mois, "Banjara" s'écoule à 8000 exemplaires, un très bon score sur cette île de 800.000 habitants.
En févier 2007, Ziskakan se produit en Afrique du Sud. Lors de la quatrième édition du Sakifo, en août, il préside le jury chargé de remettre le prix Alain-Peters à l'un des artistes de l'océan Indien participant au festival et choisit d'attribuer cette récompense au duo Lo Griyo, composé de Sami Pageaux-Waro et Luc Joly.
Pour ses trente années d'existence, en 2009, Ziskakan revient avec l'album "Madagascar". Le groupe est cette fois allé explorer les terres voisines de l'île Rouge, inspiré par les textes d'un ami de Gilbert Pounia, Serge Urlentin, qui y passa sa jeunesse. Tout l'album est imprégné d'une douce nostalgie évoquant l'enfance, baignant dans un maloya au son épuré. Sa réalisation est assurée par Erick Benzi.
Le 30 mai, Ziskakan célèbre ses 30 ans sur scène, au Tampon à La Réunion.bOBOLI
En 2010, le groupe se produit en clôture du festival Sakifo à La Réunion, accompagné sur scène du musicien Matthieu Chédid et du rappeur réunionnais Alex Sorres. L'enregistrement de ce concert fait l'objet d'une édition en CD/DVD, "Live at Sakifo", qui paraît au printemps 2011.
Puis retour en studio en Inde pour le groupe, qui enregistre son onzième album, "32 Desanm" publié en novembre 2012. Inspiré par des poètes de son île et sa culture métissée, Gilbert Pounia a conçu cet album en imaginant un jour rêvé, le "32 desanm" (32 décembre), où le monde serait libre et en paix. Ziskakan se produit sur la scène de la Fiesta des Suds à Marseille et au New Morning à Paris dès le mois d'octobre, avant de terminer l’année par quelques dates sur son île et en particulier au Lao, Cilaos Music Festival dans le cirque de Cilaos. En 2013, on le retrouve notamment en Chine dans le cadre Shangai World Music Festival, puis au festival réunionnais Sakifo. Pour fêter les 35 ans du groupe, un grand concert se tient au théâtre de plein air à Saint-Gilles en décembre 2014.
En décembre 2015, Ziskakan participe au Indiearth Exchange, à Chennai en Inde. L’année suivante est marquée par un nouvel album, commercialisé uniquement sur le marché réunionnais. Best-of acoustique, enregistré en public et contenant 18 titres, “Romans pou Rico” fait référence à une chanson phare de son répertoire parue en 1983, évoquant la mort tragique d’un jeune Réunionnais aux cours de violences post-électorales. Gilbert Pounia le présente au Zinzin, devenu son quartier général. Dans ce lieu familial, situé en bord de mer dans le sud de l’île, le chanteur passe du micro à la cuisine pour préparer des mets locaux et joue devant un public qui vient chez lui à la fois l’écouter et se restaurer. Le groupe se produit ensuite sur l’île voisine de Maurice.
En 2017, Ziskakan retourne en Amérique du Nord : au Canada, il est entre autres à l’affiche des Nuits d’Afrique à Montréal et du festival d’été de Québec
Les 40 ans de Ziskakan sont célébrés en public en 2019 à Saint-Gilles. Pour cet événement singulier, le groupe a invité l’orchestre de L’École des musiques actuelles de La Réunion à le rejoindre. Il est aussi programmé cette année-là au Moshito Music Conference & Exhibition (sept) à Johannesburg en Afrique du Sud.
En 2020, en pleine pandémie de Covid-19 qui se traduit un peu partout dans le monde par l’annulation des concerts en public, il parvient, dans le respect des règles sanitaires, à fêter en public le traditionnel "20 désanm" (20 décembre, fête de l’abolition de l’esclavage) dans son fief du Zinzin.
Après une année 2021 très perturbée pour cause de Covid, hormis un concert au Port sur son île, l’activité reprend plus franchement à partir de mars 2022, avec quelques prestations en métropole, où il n’avait plus joué depuis longtemps, et même à Barcelone en Espagne. À son retour dans l’océan Indien, il donne deux concerts à Saint-Denis.
Juillet 2022