De Zanzibar à Gibraltar Drakus, voyage en pays bikutsi
Pour célébrer la mémoire du guitariste Zanzibar, personnage clé du bikutsi camerounais dont la légende est entretenue depuis sa mort prématurée, son compatriote Gibraltar Drakus lui avait dédié un album en 1989. Intitulé Hommage à Zanzibar, le projet vient d’être réédité.
Suicide ou empoisonnement ? Le 22 octobre 1988, dans des circonstances qui ont interrogé et alimenté les rumeurs, le Cameroun perdait un de ses musiciens qui a marqué l’histoire musicale du pays et du continent au point de devenir une référence, toujours d’actualité. Zanzibar, de son vrai nom Theodore Epémé, n’était pourtant âgé que de 26 ans.
Quelques semaines plus tôt, il revenait de la première tournée européenne du groupe les Têtes brulées avec lequel il avait enregistré un album destiné au marché international. Ceux que l’on qualifiait en France de punks d’Afrique, pour leur look et leur énergie sur scène, étaient d’abord les ambassadeurs du bikutsi, cette musique béti qui avait quitté son contexte traditionnel au contact des éléments électriques. Par un ingénieux bricolage, la guitare électrique se fait balafon. Et sous les (douze) doigts du “Jimi Hendrix du Cameroun”, comme on surnommait Zanzibar, difficile de résister à l’appel de la transe.
L’émotion suscitée par sa disparation, à l’aube de lendemains qui semblaient particulièrement prometteurs, a laissé des traces discographiques. C’est le cas de l’album Hommage à Zanzibar de son compatriote Gibraltar Drakus paru à peine un an plus tard et aujourd’hui réédité – dans tous les formats : numérique, CD mais aussi vinyle et même cassette !
Pour l’auteur du disque, il s’agissait de tenter de perpétuer le jeu de Zanzibar, et d’exprimer sa reconnaissance envers celui à qui il estime devoir beaucoup. Leur première rencontre remonte au milieu des années 1980. À l’époque, il n’est qu’un musicien en herbe qui joue et chante dans les orchestres scolaires, mais il réussit le “baptême du feu”, selon ses termes, que lui fait passer Zanzibar au Liberté bar de Yaoundé : “J’ai joué un répertoire d’une vingtaine de chansons […] Et il m’a soudainement adopté comme un petit frère, un fils, un protégé”, se souvient-il.
L’adolescent rejoint même les rangs des Têtes brulées. Du moins provisoirement. “Jugé trop jeune, il sera viré du groupe, par souci de préservation de scolarité”, lit-on dans Le Bikutsi du Cameroun de l’ethnomusicologue Jean-Maurice Noah, paru en 2004. Auprès de celui qu’il considère comme son mentor, son “guide professionnel”, Gilbraltar Drakus apprend, engrange un savoir qu’il utilisera ultérieurement avec les différentes formations bikutsi auxquelles il a pris part ou qu’il a initiées : Les Martiens (avec d’anciens membres des Têtes brulées), Zoblak, Bikutsi System…
Ceux qui l’accompagnent sur Hommage à Zanzibar comptent parmi les musiciens chevronnés du bikutsi, entendus notamment avec Étienne Ohandja ou Roger Bekono. Au total, quatre morceaux, qui abordent des sujets sociétaux comme l’exode rural ou les violences faites aux femmes, sans oublier un titre dédié au guitariste iconique. En 25 minutes, l’équipe réunie dans les studios de la radio-télé camerounaise signe un disque dont le succès local à sa sortie souligne aussi en creux la notoriété de Zanzibar. Jamais démentie.
Gibraltar Drakus, Hommage à Zanzibar (Awesome Tapes From Africa) 2023