Delgres, le blues à l’âme

Le trio de blues créole Delgres publie un nouvel opus intitulé "4:00 AM". © Boby

Il y a presque trois ans, Delgres avait créé la surprise avec son blues en créole. Le trio revient avec 04:00 AM, un 2e album où l’on retrouve bien sa patte. Le chanteur et guitariste Pascal Danaë, le batteur Baptiste Brondy et Rafgee, au sousaphone, évoquent cette musique de tous les diables, qui a beaucoup à voir avec les origines guadeloupéennes de son leader et le blues essaimé des deux côtés de l’Atlantique.

Des guitares abrasives, une batterie qui frappe fort, et une voix de velours passée à la saturation… C’était il y a trois ans seulement et le son de Delgres nous arrivait au creux de l’oreille. Alors que son Mr. President trouvait sa place à la radio, la rumeur faisait état de concerts assez communicatifs. "On aime être ensemble. On fait de la musique déjà pour avoir du plaisir entre nous. Et c’est comme ça qu’on vit les concerts : c’est une invitation à quiconque a envie de venir. On crée un espace pour que les gens puissent se laisser aller à être ensemble. Que tu t’intéresses à l’histoire de Delgrès ou pas, au fond, on s’en fout. Mais par contre, tu sens les bonnes vibrations", explique Pascal Danaë.  

À l’image de Jean-Louis Aubert, qui a enregistré un duo avec eux, le public ne s’y est pas trompé. Le groupe amené par le guitariste et chanteur d’origine guadeloupéenne a enchaîné 130 concerts en un an et demi. Outre la France, il a parcouru les États-Unis, joué en Haïti, et opéré un retour en Guadeloupe.

C’est d’ailleurs "sur la route" qu’a été imaginé en bonne partie 04:00 AM, son deuxième album. "Dans les trajets, dans les moments où l’on est ensemble sans même jouer, on a des idées qui arrivent. C’est souvent lors des balances que les choses sont venues", note le batteur Baptiste Brondy.

Un trio de blues atypique

Le trio de vieux routards de la musique repose sur la dobro de Pascal Danaë, c’est-à-dire une guitare à résonateur métallique jouée en slide. Il y a la batterie plutôt "tribale" de Baptiste Brondy et puis le sousaphone de Rafgee. Ce tuba énorme aussi appelé soubassophone est utilisé dans les marching bands américains, les fanfares qui défilent entre autres pour carnaval de La Nouvelle-Orléans. "On l’a vu soit dans un film, soit dans les bandas du sud-ouest de la France. C’est un instrument qui va rappeler la rue, le côté populaire, les processions. Il peut à la fois évoquer la fête ou bien le deuil", explique Rafgee.

Mais ce qui fait la particularité de ce groupe, c’est avant tout son chant en créole. Pourquoi Pascal Danaë a-t-il opté pour cette langue ? "C’est mon environnement sonore. Moi, je suis le dernier d’une fratrie de six, j’ai grandi là-dedans. Il y avait la famille qui venait, ça parlait créole, ça chantait en créole. Il y avait des disques en créole. Mes parents ne partaient pas en vacances au pays, mais je suis allé chercher cet héritage", explique-t-il. 

Ce sont les disques de musique africaine, notamment ceux du géant de la rumba congolaise Franco, avec les boucles des guitares mi-solo et le chant en lingala qui marquent alors le futur musicien. Si bien que c’est au moment où il décide de chanter avec les sonorités africaines qu’il se reconnecte à ses origines.

"Avec le créole, j’avais la possibilité d’avoir le français avec plus de rondeur, avec des punchlines, des images fortes en peu de mots. Je pouvais donner corps aux histoires de mes parents, petit à petit, prendre ce bateau dans l’autre sens et retourner aux Antilles", poursuit-il.

Comme le titre de cet album, la chanson 4 Ed Maten vient d’ailleurs de son père, arrivé en métropole en 1958. Électricien de formation, le bonhomme s’est retrouvé manutentionnaire à la gare de triage d’Argenteuil, en banlieue parisienne, pour subvenir aux besoins de sa famille. Ce 4 heures du matin évoque "les héros invisibles" obligés de se lever tôt sans pour autant avoir leur nom nulle part.

Une masse de son

Nommé ainsi en hommage à Louis Delgrès (1766-1802), figure de la lutte contre l’esclavage aux Antilles, le trio de blues pas banal ne manque pas de convier cette mémoire. Dans Se Mo La, il pointe aussi le racisme subit par une fillette dans la cour de récréation.

Là encore, Pascal Danaë s’est inspiré de l’histoire de sa sœur aînée, arrivée en région parisienne avec son père. "Je suis un peu comme un conteur. Il y a des choses dont je parle que j’ai ressenties directement, comme la mort de mon frère et d’autres choses que je peux ressentir dans les ambiances de ma famille", explique-t-il. En retrait avec Rivière Noire, le chanteur ne cache pas que Delgres est une sorte de "thérapie" dans laquelle pointe aussi de temps à autre son indignation (Just Vote For Me).

Ce deuxième album a été enregistré par Nicolas Quéré (Jean-Louis Aubert, Zaz, Fréro Delavega) dans le célèbre studio ICP, en lisière de Bruxelles, et mixé par des orfèvres du son. Il en ressort des titres très produits, avec "une masse de son", des chœurs gospel (Lundi Mardi Mercredi), et parfois assez sombres (ALEAS, Assez assez).

On y retrouve les influences du blues américain comme celles de la guitare touarègue ou du Malien Ali Farka Touré (Ban Mwen On Chanson). À l’image des derniers albums de The Black Keys, on peut regretter que cette production léchée rende l’ensemble pas assez "crade", le tout sonnant un peu trop travaillé.

Mais ne boudons pas notre plaisir non plus.  Si le blues bouge encore, c’est qu’il est incarné par une troupe aussi originale que celle-ci. Et vivement le jour où l’on pourra la revoir sur scène, elle qui rêve de parcourir les capitales africaines et de jouer… au fort Delgrès, à Basse-Terre, à la Guadeloupe.                                                                                                     

Delgres 04:00 AM (Pias) 2021
Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube