Mademoiselle, ardent trio

Sofiane Saidi, Mehdi Haddab et Rodolphe Burger, 2022. © Christophe Urbain

C’est un trio de feu au nom facétieux. Derrière Mademoiselle, on trouve trois hommes ardents qui se jouent des assignations identitaires. Et un disque de Rodolphe Burger (chant et guitare), Mehdi Haddab (oud électrique) et Sofiane Saidi (chant, claviers, machines, basse). Entre le raï et le blues, entre Sidi Bel Abbès et Sainte-Marie-aux-Mines, ils dédient ce disque à Rachid Taha.

RFI Musique : Vous avez tous collaboré avec Rachid Taha. Comment le désir de lui dédier Mademoiselle, dans lequel vous fusionnez vos univers, est-il né ?
Sofiane Saidi : Je n’ai pas vraiment collaboré avec Rachid, c'étaient des rencontres nocturnes. Je me retrouvais à jouer dans un endroit où il débarquait parce qu’il adorait le raï roots et sulfureux. Très vite, je le trouvais à mes côtés en train de négocier un micro quand il ne prenait pas le mien ! Il adorait le raï qui vient des tripes, il était dans cette quête. Je pense qu’il aurait fini par faire un disque raï. Suite à son décès, Rodolphe s’est tourné vers moi pour reprendre le flambeau du groupe Couscous Clan, qu’il avait fondé avec Rachid... Mais l’idée de faire un album, j’en parlais beaucoup avec Mehdi. Un jour, en résidence à la Dynamo, dans le cadre de Banlieues Bleues, j’ai eu la possibilité de faire un projet. J’en ai parlé à Mehdi, il nous fallait un troisième gars et pour nous, c'était Rodolphe. On a répété une demi-journée et le lendemain, on a fait un concert, qui a pris tout de suite, avec le public et entre nous.
Rodolphe Burger : J’ai beaucoup collaboré avec Rachid Taha. J’avais un lien fort avec Mehdi Haddab. On travaille ensemble depuis quinze ans, on a fait deux albums ensemble, il est aussi dans mon projet Cantiques Darwish. Avant de le rencontrer, je connaissais Sofiane de nom par Rachid qui me disait effectivement qu’il l’écoutait quand il voulait écouter du bon raï. Cela n’a pas pu se faire, mais on l’avait invité pour un concert du Couscous Clan à Marseille, quinze jours avant la mort de Rachid. J’ai revu Sofiane à son enterrement et dans une émission et il disait de Rachid des choses que j’aurais pu dire moi-même. Et à Banlieues Bleues, c’était comme une évidence. C’est le plus grand chanteur de raï de sa génération, ça ne fait aucun doute. Au-delà de ça, c’est un musicien complet avec aussi une grande culture rock, électro.

Dans tout l’album, que vous avez enregistré à Sainte-Marie-aux-Mines, en Alsace, vous entrelacez le blues américain du Mississippi et le raï du nord-ouest algérien. Qu’ont ces deux styles musicaux en commun ?
Sofiane Saidi : Les esclaves dans les plantations de coton chantaient pour tenir le coup sous le soleil et se réunir. Dans le raï des débuts, de ce que j’en ai appris via les anciens, la bouche reste pratiquement fermée. Les mecs en Algérie, quand ils travaillaient pour les colons sans être esclaves, étaient payés avec du pain ou du lait comme mon grand-père. C’était cruel ! Le proto raï est né comme ça, ils trouvaient des mélodies en chantant leur désespoir. Voilà le lien avec le blues.
Rodolphe Burger : C’est clair ! C’est à la fois une souffrance dont est tirée une ferveur et une exaltation qui n’est pas religieuse. Il y a une joie paradoxale dans quelque chose qui peut apparaître comme une plainte. Et qui reste trivial comme dans la chanson 504, qui raconte une histoire de voiture, une histoire de femmes, de whisky comme dans le raï. 

Quel est le cœur de votre musique ?
Sofiane Saidi : C’est une musique du cœur. Il y a plein de battements qui ressemblent aux battements du cœur dans notre musique. Rodolphe fait du rock mais qu’il mêle avec des invités, il est sans cesse en quête d’ouverture. Mehdi est le fruit d’un métissage. Au fond, c’est aussi assez militant. C’est donc peut-être aussi l’envie de s’approprier les musiques et d’ouvrir. Le débat sur l’appropriation culturelle me chagrine. Les gens qui crient à l’appropriation culturelle, rien qu’en le disant, créent des divisions. Moi, par exemple, je suis franco-algérien, j’ai le droit de m’approprier de l’électro et du rock. Pourquoi quand c’est un occidental, ça irait dans le mauvais sens ? Ceux qui crient au scandale nous remettent ainsi encore sous tutelle.
Rodolphe Burger : C’est sûr, c’est aussi ce qui faisait le lien avec Rachid. On n’a pas encore pris conscience en France du nombre de portes qu’il a ouvertes. C’était le contraire d’un communautariste et c’est notre cas aussi. On est sensibles aux musiques des autres. Quand j’ai rencontré Mehdi, j’ai halluciné, c’est un virtuose insensé, c’est un bonheur de l’entendre jouer. Il a inventé un style avec le oud électrique. Quand il enregistre, c’est difficile de choisir quelle prise prendre, elles sont toutes bonnes !

 

Pourquoi appeler l’album Mademoiselle ?
Sofiane Saidi : Je n'ai jamais très bien compris (rires) à part que Rodolphe avait cette chanson (Mademoiselle transformée en splendide et ardente Vous êtes belle, NDLR). On s’amuse avec ça aussi. En concert, Rodolphe nous présente comme Mademoiselle Haddab et Mademoiselle Sofiane Saidi. Et nous, comme Mademoiselle Rodolphe Burger ! Sur scène, on est un personnage, qui peut se permettre d’être tout ce qu’il veut.
Rodolphe Burger : Quand on voit nos gueules s’appeler Mademoiselle, c’est drôle ! Et puis il y a cette coïncidence géniale, le bar des Lilas où Rachid allait boire des coups s’appelait Mademoiselle !   

Pourquoi avez-vous fait le choix de composer ensemble tous ces morceaux, sur des textes en français et en arabe ?
Sofiane Saidi : L’idée me plaît beaucoup parce que l’histoire entre l’Algérie et la France est passionnelle et douloureuse. Ma mère a les deux cultures et elle peut comprendre cet album par exemple. C’est un patrimoine qui nous appartient. Nous sommes enfants de cette rupture douloureuse. Et j’aime la langue française et le dialogue algérien, c’est naturel pour moi de parler ces deux langues.
Rodolphe Burger : Ça s’impose. Je chante en français et en anglais. Quant à l’arabe, c’est une langue que j’adore et puis c’est la langue du raï. Chaque morceau du disque est une rencontre vers l’autre sans se trahir.  

Rodolphe Burger, Sofiane Saidi, Mehdi Haddab, Mademoiselle (Dernière Bande / Pias) 2023

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Les prochaines dates de concerts : 
- Le 4 avril 2023 : Festival Banlieues Bleues, Salle Jacques Brel, Pantin (93)  
- Le 6 avril 2023 : Rouen (76), Le 106 
- Le 26 mai 2023 : Aulnoye-Aymeries (59), Théâtre Leo Ferré (le Manège - Maubeuge) 
- Le 17 novembre 2023 : Paris, Le Trianon