Salut les yéyés

On se souvient évidemment des Chaussettes Noires ou de Lucky Blondo mais qui se souvient des Gam’s ou de Nicole Paquin ? Une nouvelle série d’Universal, Twistin’ the Rock, revient sur les années yéyés, ce début des années 60 où le rock a pris pied en France. Quelques tubes increvables et des poignées de bijoux oubliés, d’attendrissantes naïvetés et de franches recettes commerciales : plongée dans une époque légendaire qui permet, justement, de dépasser la seule légende.

Rarement la culture populaire française n’aura connu un bouleversement aussi violent et profond que le déferlement du rock’n roll et de ses formes annexes au début des années 60. Brutale invasion pour les uns, enthousiasmante surprise pour les autres, le temps des yéyés a aussi été une tempête dans le monde de la chanson française : lorsqu’en 1961 Philips parvient à arracher Johnny Hallyday aux disques Vogue, la direction décide que la jeune vedette et ses semblables seront désormais la priorité commerciale et artistique de la maison. Jacques Canetti, qui a découvert et lancé toute la génération des grands auteurs-compositeurs-interprètes des années 50 (Brel, Brassens, Béart, les Frères Jacques...), claque la porte de Philips. Il sera suivi de Jacques Brel qui ira signer chez Barclay, tandis que les contrats de Guy Béart ou Philippe Clay ne seront pas renouvelés : l’âge d’or de la "chanson française de qualité" s’achève...

Héritier des catalogues Philips, Barclay, Polydor et Mercury, notamment, Universal plonge dans ces années de rock, de twist et autres engouements soudains de la jeunesse d’alors, avec la série Twistin’ the Rock, série de dix-neuf CD et doubles-CD consacrée aux stars et aux oubliés des premières années du rock français, accompagnés de livrets très correctement édités. Pour les artistes les plus célèbres, cette réédition sous une forme assez abondante est souvent instructive. Si les deux volumes de Chaussettes Noires Story n’apportent pas grand chose de neuf, le double-CD consacré à Danyel Gérard permet de déborder un peu de la litanie des tubes (Le Petit Gonzales, D’où reviens-tu Billie Boy ?, When, Tout l’amour…) et de constater un soin assez estimable dans certains des textes et dans la tenue générale du répertoire qui, en lorgnant manifestement vers la réunion des publics adolescent et adulte, apporte une diversité musicale assez stimulante aux rythmes nouveaux. Et, en deux volumes, on peut écouter le seul véritable anglophone de cette vague, Vince Taylor, sulfureuse idole aux gants noirs et aux poses de héros maudit, dans une réédition soignée.

Si Johnny n’entre pas dans cette collection, deux de ses orchestres y figurent, The Golden Stars et Joey and the Showmen, qui donnent en un CD commun un aperçu du répertoire et des goûts de l’idole, mais sans l’idole. Et on peut réentendre Rocky Volcano, le rocker n°1 de Philips jusqu’à l’arrivée de Johnny, dont on peut comprendre à quel point le "presleyisme" sommaire est devenu immédiatement obsolète avec l’embauche de la plus grande star française du genre. Pour l’anecdote, il deviendra immédiatement après une vedette rock en Espagne.

Cette collection permet de découvrir – ou redécouvrir, pour les aînés – quelques artistes d’une jolie valeur mais à la carrière météorique, qu’ils s’en soient lassés ou qu’ils n’aient pas atteint ce succès immédiat qui devint à cette époque l’alpha et l’oméga de la politique artistique des maisons de disques. Ainsi, on peut écouter les deux EP (les 45-tours de quatre titres) qu’enregistrèrent chacune des deux des premières chanteuses de rock françaises, Nicole Paquin et Hédika, rassemblés en un CD au charme acide. De même, on retrouve les chansons des Gam’s, quatuor féminin aux couleurs vives qui, outre les chœurs des disques de Claude François, enregistra de très jolies chansons comme De quoi sont faits les garçons, formidable "tournerie" radieuse dont on peine à croire qu’elle passa presque inaperçue à l’époque.

Et, parmi les stars instantanées de ce temps, un double CD rappelle les trois premières années de la carrière de Jocelyne, célèbre à treize ans et morte dans un accident de moto à vingt et un ans : des chansons un peu bêtas et efficaces mais aussi des créations plus astucieuses, comme Nitty Gritty. De même, un double CD offre des retrouvailles avec Gillian Hills, son accent pré-Birkin et son sex-appeal crissant.

Une des grandes affaires de cette époque a été d’acclimater en français des styles et des répertoires anglo-saxons. Si quelques stars ont été relativement avares de traductions, comme Lucky Blondo, chez qui on remarque toutefois une superbe adaptation de Baby Face des Kinks, d’autres ont fait leur fond de commerce d’une admiration active pour certaines stars rock. Ainsi, l’enthousiasme de Ronnie Bird pour les Rolling Stones (par exemple avec Elle m’attend, reprise très réussie de The Last Time) et le blues-rock anglais (Turtles, Them, Who), ou la passion des Lionceaux pour les Beatles (avec Quatre garçons dans le vent, adaptation d’A Hard Day’s Night célébrant le groupe anglais) expliquent combien leur carrière s’est paradoxalement retrouvée dans une impasse une fois que le jeune public a pris l’habitude de consommer directement les succès anglophones sans avoir besoin de traduction.

Mais il reste que quelques-unes de ces traductions vaguement kitsch conservent un charme attendrissant, comme All Shook Up devenu Crever d’amour chez Teddy Raye, dont les disques sont reproduits sur le même CD que ceux de Gabriel Dalar, pour lequel Boris Vian traduisit le célèbre Fever en 39 de fièvre.

Twinstin' the Rock Coffret (Universal).