Le Bonheur Cali
Nouveau venu dans la catégorie "chanson française revitalisée", Cali est loin d'en être le représentant le moins doué. Avec L’Amour parfait, premier recueil particulièrement séduisant, porté par le single C’est quand le bonheur?, ce faux débutant de trente-cinq ans, à la plume écorchée et aux compositions raffinées pourrait bien être l’une des sensations de la rentrée.
Si l’amour parfait dévoile aujourd’hui Bruno Caliciuri dit Cali au grand public, cet auteur compositeur interprète de trente-cinq ans n’a rien d’un jeune premier. Encore moins d’un débutant: voilà maintenant dix-sept ans que le natif de Vernet-les-Bains, dans le Roussillon, a plaqué ses premiers accords de guitare. Dans une veine vaguement punk tout d’abord, au sortir de l’adolescence, avant de passer à la pop ouvertement bruitiste du groupe Indy, avec lequel il signera deux albums auto produits. Suivra l’aventure Tom Scarlett, formation «pop underground, avec des influences Yo la tengo, très noisy», qui accompagnera Bruno Caliciuri jusqu’à l’été 2001, période à laquelle il décide de se produire sous son seul nom («Imprononçable» de son propre aveu) puis de troquer son patronyme biscornu («les seuls qui arrivaient à le prononcer m’appelaient Calogero!») pour son pseudo actuel. Soit une bonne décennie à vivre de sa musique dans un relatif anonymat -de quoi laisser perplexe les adeptes du succès instantané tel qu’il est véhiculé par les émission de télé-réalité! «Il y a toujours eu des premiers à l’école qui passaient à l’étage supérieur. Moi, je passais toujours, mais je n’étais pas premier! Chacun son rythme. Je suis un besogneux. Les choses arrivent tard, mais elles arrivent», lâche le Perpignanais, affichant au passage une solide détermination, une volonté farouche de ne rien lâcher. Laborieux, Cali, s’est néanmoins forgé une sérieuse expérience de la scène, et semble aujourd’hui être parvenu au bout de son processus de maturation.
Le déclic se produit il y a un an, aux Francofolies de La Rochelle: invité du festival charentais dans le cadre du chantier des Francos («une résidence sur une dizaine de jours» précise-t-il), il signe une prestation suffisamment convaincante pour s’attirer les faveurs de la maison de disques Labels, qui héberge entre autres Jean-Louis Murat et Dominique A.(«Labels avait envoyé quelqu’un en repérage. A la fin du concert, cette personne est venue me voir et m’a dit: «Je remonte des bonnes nouvelles à Paris!»). Le résultat, c’est cet Amour parfait, premier «vrai» album de Cali, aux antipodes de la confidentialité des précédents essais discographiques, et qui bénéficie d’un confort de réalisation jusqu’ici interdit à cet abonné des premières parties (il a notamment assuré celles de Bénabar et Brigitte Fontaine). Parties de cordes enregistrées Outre-Manche, présence aux manettes d’un producteur de renom - Daniel Presley, déjà aux commandes des disques des Breeders, de Faith No More et plus récemment de Venus et Dionysos… «On s’est retrouvé trois semaines dans un manoir en Angleterre: ça, je l’ai lu quand j’étais petit, dans les magazines! Je me souviens de m’être dit à ce moment-là«tu y es: tu es dans un manoir en Angleterre, et tu fais ta musique. Il y a quelque chose d’assez magique qui se passe!» confie l’artiste, qui ne s’est néanmoins pas endormi dans le luxe tout relatif de cette première sortie dans la cour des grands.
Fort d’un sens de la composition affûté, et d’une écriture toute en finesse, son Amour parfait aligne treize titres vénéneux, déclinant les romances déchirées et les coups de griffes d’un quotidien amoureux précaire. Des débordements d'intimité qui s'imposent dès la première écoute, notamment grâce au phrasé élégamment rentre-dedans d’un Cali écorchant les mots comme il affûte sa plume(«Je suis pendu à votre cou dans le plus beau de mes rêves/Mais je ne me réveille jamais près de vous et j'en crève/Je suis pendu sous vos fenêtres au pied de l'arbre peut-être demain/La petite fleur qui va naître vous racontera mon chagrin/C'est quand le bonheur ?»). On pense à Miossec, pour la façon singulière d'écorcher des mots sombres mais jamais lugubres, mais Bruno Caliciuri possède assez de caractère et de style pour esquiverles comparaisons. A l’heure où les trentenaires chantant semblent avoir le vent en poupe (voir pour s’en convaincre les récents succès de Bénabar, Vincent Delerm ou Sanseverino), Cali, outsider de luxe, pourrait bien s’attirer les faveurs du public. Cette première livraison longuement mûrie et à l’envergure manifeste fait en tous les cas figure d’argument imparable.
Cali L’amour parfait (Labels 2003)