[ARCHIVE] Pierre Barouh, l'ambassadeur du Brésil éternel

À jamais marquée par la bande originale de Un Homme et une femme, la carrière de Pierre Barouh n'en est pas moins une des plus atypiques et riches de la chanson française. Patron du label Saravah, il fut aussi l'ami de grands musiciens brésiliens comme Vinicius de Moraes ou  Baden Powell. Tout une époque...

Lorsqu’on voit pour la première fois Pierre Barouh, aujourd’hui, avec sa bonne bouille de copain qu’il traîne parfois du côté de la rue Saint-Benoît dans le VIème arrondissement, on ne peut s’empêcher de repenser aux belles heures de Paris, au jazz à Saint Germain, au noir et blanc qui passe à la couleur, aux rythmes du Brésil aussi. Dans Un homme et une femme, le film fétiche de Claude Lelouch tourné en 1965, qui lança sa carrière à lui de chanteur – Pierre Barouh signa et interpréta la bande originale avec Francis Lai – on le retrouve jouer les seconds rôles, celui du mari de la belle Anouk Aimé certes, mais celui surtout de l’aventurier passionné, fou du Brésil, qui disparaissait rapidement, derrière un peu de poudre, dans un accident de cascadeur… Et l’on revoit Pierre Barouh jeune, dans une séquence du film où il fait une brève apparition, courir après le bonheur, d’un pays à l’autre en chantant l’un des plus jolis titres de sa carrière Samba Saravah, version française de Samba da Bençao du poète et diplomate Vinicius de Moraes qui rendait hommage aux principales figures de la chanson populaire brésilienne.

Fidèle déjà à son style, Claude Lelouch lui avait fait jouer son propre rôle. Sauf que dans la réalité, Pierre n’est jamais mort. "Je passe ma vie comme une gomme" aime-t-il néanmoins à rappeler aujourd’hui lorsqu'il se retourne en arrière. On dirait que son destin ne s'arrête plus, qu'il s'est emballé même depuis les turpitudes de la Deuxième guerre mondiale, le port de l'étoile jaune et les stratagèmes familiaux pour échapper aux rafles. Celui qui fut joueur de volley sélectionné en équipe de France B avant de se lancer dans la chanson respire à plein poumons.

Il était une fois…

 

  

 

Il raconte souvent l’histoire. "Il était une fois", dit-il, "un jeune homme avec sa guitare, épris de voyage qui rêvait de partir à Rio de Janeiro pour retrouver ses idoles, Joao Gilberto, Vinicius de Moraes, Tom Jobim et Baden Powell. Je m’étais trouvé un petit boulot sur un vieux cargo en partance de Lisbonne pour l‘Amérique du Sud. J’étais aller à Rio avec l’espoir de croiser mes idoles. Finalement, j’étais rentré bredouille. Et c’est quelques semaines plus tard, de retour à Paris, qu’on m’invita à un dîner, ou par hasard se trouvaient Vinicius de Moraes et surtout Baden Powell. Alors, depuis, je crois, à cette fameuse phrase de Vinicius de Moraes : A vida e  arte de encontro, la vie c’est l’art des rencontres". À cette époque, les trois hommes se lient d‘amitié. Pierre Barouh fait le pont entre le Brésil et la France. Il présente Claude Nougaro et Georges Moustaki à Baden et Vinicius. En échange, les deux Brésiliens lui ouvrent les portes du soleil. Dans les années soixante, il fait plusieurs séjours à Rio de Janeiro durant lesquels il sympathise avec les plus grands sambistes du moment, le saxophoniste Pexiguinha, Joao do Baiana, puis la jeune diva Maria Bethania ou encore le chanteur et guitariste prometteur de l’époque Paulinho da Viola.

Dans la foulée de Samba Saravah, et de Un Homme et une femme, il signe en 1969 un très beau documentaire, filmé comme un "hold-up" jure-t-il aujourd’hui, Saravah, où l’histoire de toutes ces rencontres. Un document extraordinaire réalisé en quelques jours avec un peu de bobines et où l’on découvre dans le tressautement des images amateurs, le visage souriant de ces musiciens bohêmes, au coeur d’un Rio de Janeiro mythique. Pierre Barouh est là où on aimerait être. On le voit promener son regard naïf sur le bonheur, comme s’il n’avait rien demandé et que oui, tout pouvait arriver.

Saravah, une marque déposée

 

 

Avec l’argent récolté grâce au succès du film de Lelouch, il crée la même année son propre label de musique qu’il baptise Saravah, puisque le nom lui porte chance. En brésilien, Sarava* est une forme de bénédiction pour remercier les morts et les vivants confondus. Entre 1965 et 1970, il enregistre plusieurs titres brésiliens, accompagné la plupart du temps à la guitare par Baden, "Mon petit frère", comme il dit. Il y a entre autres Roses ou Saudade, du chanteur bahianais Dorival Caymmi, puis Ce n’est que de l’eau de Tom Jobim, et plus tard La nuit des masques de Chico Buarque interprété en duo avec Elis Regina en 1977. Le Brésil, sa culture populaire et sa philosophie positive est l’une des grandes marques du style éternel de Pierre Barouh. "Une marque déposée" critiquent certains.

Pourtant, le discret artiste qui vit aujourd’hui au Japon, aime bien à le rappeler, pas plus que le succès de Un Homme et une femme, le Brésil ne lui a servi de tremplin dans sa carrière. Pierre Barouh est un grand curieux, infatigable marcheur et extraordinaire dénicheur de genres et de talents. Sa maison de disques Saravah, dirigée aujourd’hui par son fils Benjamin à Nantes, a lancé ou vu passer du beau monde, de Brigitte Fontaine à Jacques Higelin, en passant par Fred Poulet ou encore plus récemment la chanteuse carioca Bia. Pierre Barouh sait aussi écrire. Hormis le fulgurant "Chabadabada", on doit entre autres à ce poète modeste deux des plus grands succès de la chanson française. Après Des ronds dans l’eau magistralement interprétée par Françoise Hardy en 1967, dans l’album Ma jeunesse fout le camp. Il signe aussi les paroles et la musique de La Bicylette, rendue célèbre en 1969 par Yves Montand.

Discrétion assurée

Contrairement aux apparences - l’homme pas très à l'aise avec les médias s’est fait plus discret avec le temps, Pierre Barouh ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Depuis les années soixante-dix, il a signé une dizaine d’albums (Ça va, ça vient en 1971, Viking Bank en 1977, Pollen en 1982, Itchi go itchi e en 1998), joué dans plusieurs pièces, comme Le cabaret de la dernière chance de son ami exilé politique chilien Oscar Castro du théâtre Aleph, dont il signera au passage la musique avec Anita Vallejo. Il a réalisé aussi quelques longs-métrages, sans beaucoup de succès, dont le sympathique et très autobiographique Album de famille où l’on entend dire au détour d’une dispute : "Pierre Barouh, il est bien gentil, mais enfin : les chiens de Pierre Barouh, les copains de Pierre Barouh, la fête de Pierre Barouh, c’est un peu léger tout ça, euh, le narcissisme, on le prend en bloc,(…), mais je dois dire que je trouve ça un peu rigolo quoi !".

À Soixante et onze ans, Monsieur Pierre, comme le surnommait Baden Powell, continue de filmer, de chanter, de produire, de jouer au flipper au café du coin, et surtout "de prendre le temps de ne rien faire", comme le précise la devise de sa maison de production Saravah, "premier vrai label indépendant français" aime-t-il à rappeler. Au fait, Barouh, en hébreu, ça veut dire "béni". Alors, Saravah Pierre !

* Dans son orthographe originelle Sarava ne prend pas de h, c'est Barouh qui a rajouté en clin d’œil la dernière consonne de son propre nom.