Jacques Higelin chante Trenet
Higelin chante l’oeuvre de Charles Trenet au Trianon à Paris jusqu'au 3 avril, ce qui donnera un disque live à la rentrée, avant qu’il ne mette le point final au long travail de son prochain album. En attendant, un best of et un DVD viennent de sortir. Entretien avec l'artiste.
RFI Musique : Alors, il y aurait un nouvel Higelin en préparation ?
Jacques Higelin : Je prépare un album que j’enregistrerai cet été. Des amis m’ont réservé un espace, non loin de Paris, pour pouvoir créer tranquillement, où j’ai emmené les pianos, les guitares, l’accordéon, les bandes - tout. Là, j’ai fait un grand bilan de ce que j’avais enregistré jusqu’à présent. Puis j’ai travaillé pendant trois ou quatre ans à l’écart, sur des écritures commencées il y a six ou sept ans. J’ai écrit des musiques, des textes – ce sont parfois des chansons, parfois non. Et j’ai écrit tellement de choses que je suis arrivé à un grand fouillis. Alors j’ai décidé d’arrêter un moment, justement parce que je n’arrêtais pas d’écrire - tout en continuant à faire énormément de concerts.
C’est ce qui vous a amené à chanter Trenet ?
Je dois reconnaître que l’idée n’est pas de moi mais de Daniel Colling [son manager, par ailleurs directeur du Printemps de Bourges et du Zénith de Paris]. Comme j’avais beaucoup tourné avec mes chansons depuis Paradis païen, et que je voulais à la fois laisser dormir ma nouvelle création pour la reprendre plus tard, et continuer à tourner, il fallait un concept. Comme j’avais déjà chanté Trenet à un concert [un hommage historique, au premier Printemps de Bourges, en 1977], Daniel Colling m’a dit "pourquoi pas lui ?" Ça m’a immédiatement intéressé dans la mesure où il y avait à accomplir un travail de recréation à partir de ses chansons.
Trenet, c’est votre enfance ?
La première fois que j’ai dû l’écouter, c’est sur un phonographe à manivelle sur lequel on changeait les aiguilles toutes les trois auditions. On n’avait pas de bouquins ou de disques à la maison et, un jour, quelqu’un m’a offert un vieux phonographe dont il ne se servait pas, avec quelques 78-tours – des disques rayés, avec du jazz, Damia, des comiques troupiers... Mon père [qui était cheminot] était fou d’opérette et chantait Strauss, Franz Lehar, L’Auberge du Cheval blanc. Il détestait le jazz - je n’ai jamais compris pourquoi – et il a aimé Trenet. Avec lui au piano, je suis allé chanter du Trenet pendant les entractes des cinémas à Chelles.
Une famille de musiciens amateurs ?
Nous vivions avec mes grands-parents et ma grand-mère, qui était alsacienne, chantait des mélodies très anciennes – C’est un oiseau qui vient de France, ce genre-là. Elle est la première personne avec qui j’ai chanté, quand je devais avoir cinq ans. Je m’asseyais sur ses genoux, je faisais la tierce et les voisins trouvaient ça charmant. C’est là que j’ai appris à chanter juste. Le côté conteur, ça vient de mon grand-père, qui était parti de chez lui, en Alsace, à quatorze ans, pour faire le tour de France des compagnons et avait poussé jusqu’à l’Egypte et la Russie. Je passais des heures à l’écouter et, comme il m’avait dit qu’il était parti très jeune, j’ai commencé à fuguer vers treize ou quatorze ans, d’abord un jour, puis deux, puis trois... Je partais de Chelles pour aller à Paris.
Dans votre première carrière au théâtre, puis dans la chanson depuis presque quarante ans, vous avez souvent surpris, justement, par votre facilité à fuguer, à faire ce que l’on n’attend pas de vous. Est-ce toujours le cas avec l’Higelin d’aujourd’hui ?
Pour le prochain album, personne n’attendait rien : je n’ai pas de maison de disques. J’ai essayé de définir une nouvelle voie – une nouvelle voix. Et qu’elle corresponde au point où ma vie en est arrivée. J’ai envie de faire des choses sur la pulsion, en roue libre. Une chanson de trente secondes puis un grand film, des événements en totale liberté.
Beaucoup de choses sont-elles déjà écrites ?
Il y a peut-être une vingtaine de chansons dont je suis sûr, mais une soixantaine sont écrites. Et puis des morceaux de musique qui ne sont pas des chansons. Et puis des textes – peut-être la matière d’un bouquin.
Du 23 mars au 3 avril à Paris au Trianon
Jacques Higelin Entre deux gares (Capitol Records) 2005