Boris Vian, auteur de standards
Souvent considéré comme marginal lors de sa courte carrière, Boris Vian est apparu après sa mort comme un des annonciateurs de la chanson moderne.
Boris Vian n’a guère cessé d’écrire des chansons, des premiers mois d’euphorie après la Libération jusqu’à sa mort, quinze ans plus tard. Il en reste un corpus de plus de 450 textes, qui naviguent dans toutes les formes de chanson en usage à l’époque. Sa première chanson remarquée ? Ah si j’avais un franc cinquante, sur le standard de jazz Whisperin’, qui sera en 1947 l’hymne du Tabou, la première des légendaires caves de Saint-Germain-des-Prés. On peut y voir la matrice d’une veine majeure de Boris Vian : l’approche potache et fantaisiste de sa culture musicale américaine.
Plus tard, il sera le premier à poser des paroles sur des rock’n’roll. Mais il ne saisit pas le poids de subversion implicite du genre : pour lui, tout cela n’est que du mauvais jazz qui ne mérite que des paroles parodiques. Alors, le 45 tours de Henry Cording (alias d’Henri Salvador) avec Rock and rollmops ("Rock and rollmops avec du pain beurré/Rock and rollmops et du bifteck haché/Rock and rollmops avec un œuf à cheval"), premier disque français de rock, en 1956, sort dans l’indifférence.
Des classiques
Il y aura à peine eu plus d’intérêt pour le 33 tours Chansons possibles et impossibles deux ans plus tôt, dont une bonne partie des chansons sont pourtant, aujourd’hui, des classiques dans leurs versions originales comme dans des dizaines de reprises par des cadets de Boris Vian : J’suis snob, La Java des bombes atomiques, La Complainte du progrès, Bourrée de complexes, Le Déserteur… Les ventes d’alors sont sans commune mesure avec celles qui surviendront quand, en 1982, Philips sortira en 45 tours La Java des bombes atomiques et La Complainte du progrès : sans atteindre les sommets du Top 50, Vian vendra quelques dizaines de milliers d’exemplaires plus de vingt ans après sa mort…
Pourquoi ce décalage ? Sans doute parce qu’une bonne partie des textes de Vian sont l’œuvre d’un homme libéré de bien des contraintes qui pèsent sur sa génération : agnostique sinon athée, vigoureusement antimilitariste (il préférait se dire "pro-civil") et hostile à tous les ordres institués, usant de la langue la plus familière pour construire ses chansons, il est totalement isolé dans les variétés des années 50. En revanche, quand les années 60 commencent à libérer la parole, les chansons de Vian apparaissent presque "normales", en phase avec une époque qu’il n’avait pas eu le temps de connaître.