Areski, quarante ans plus tard

Areski. © DR

Le dernier disque solo d'Areski, le compagnon de Brigitte Fontaine, datait de 1970 ! Il revient enfin avec un album joyeux, solaire et poétique, intitulé Le Triomphe de l’amour. Rencontre.

Si l’on s’en tient à la stricte froideur des discographies, Areski Belkacem n’a pas fait de disque depuis Un beau matin, album paru sur le révolutionnaire label Saravah en 1970. L’année précédente, il avait signé un disque avec son copain de régiment Jacques Higelin et un autre avec celle qui allait devenir, à la scène comme à la vie, la compagne d’une vie entière.

Tout au long des années 70, Brigitte et Areski en sortiront d'autres albums avant, qu’à partir de 1990, le multi-instrumentiste et compositeur ne reste dans l’ombre et ne se montre plus sur les pochettes de disques. On pouvait le croire amoureux de la discrétion et perdu pour la confrérie des auteurs-compositeurs-interprètes. Mais, quarante ans après son précédent album personnel, revoici Areski avec Le Triomphe de l’amour.  

Liberté et rigueur

"Je n’avais pas vraiment envie d’un disque. Ça m’a pris un moment de me décider. Ce sont des amis et Brigitte qui m’ont poussé à le faire, parfois même en s’énervant." Voilà pour l’explication. Pour le reste, Areski ne sait pas vraiment expliquer pourquoi il s’est peu à peu contenté de composer des chansons pour sa compagne, de réaliser des albums et de se livrer à quelques activités parallèles comme les fameux "concerts de dessin" du festival de bande dessinée d’Angoulême. Il est évasif : "La vie…" Et il ajoute : "Je n’avais pas forcément envie de me montrer."

Mais il est vrai que Le Triomphe de l’amour le montre, et le montre bien. Et, de fait, cet album a des couleurs d’autoportrait, à la fois très écrit et très "jeté", très improvisé et très prémédité… "Exactement. C’est ce qui m’intéressait, cette liberté et cette rigueur. Quand les choses sont rigoureuses, on trouve la liberté."

Percussions nord-africaines, mélodies de bal populaire, souvenirs de musique baroque, échappées folk-rock, musiques inclassables : il y a quelque chose de totalement fantasque et imprévisible dans cet album, mais aussi un ton et une humeur qui assemblent et unifient un patchwork de références et d’appartenances.

D’ailleurs, le casting du disque sonne comme un manifeste libertaire et arty. En effet, on croise, de titre en titre Dondieu Divin, Yann Péchin, Jean-Philippe Rykiel, Vincent Segal, Didier Malherbe, Zaza Fournier, Patrick Baudin ou Bobby Jocky, toute une confrérie d’aventuriers, de farceurs et de défricheurs… "Ce ne sont pas des musiciens, ce sont des artistes, dit Areski. Avec eux, on écoute, on se concerte, on se concerne, on échange, on se fait envie. J’ai l’impression, parfois, que les gens ne savent plus faire ça."

Et, d’ailleurs, on a parfois l’impression de retrouver absolument inchangé l’Areski Belkacem de l’époque Saravah, lorsqu’il appliquait à la chanson la même liberté que les musiciens du free jazz mettaient dans le jazz. "C’était une époque bénie. Chez Saravah, on nous donnait le temps, on nous donnait les moyens et, surtout, on nous donnait le 'faites ce que vous avez à faire'. Il a eu la chance de pouvoir travailler de cette manière pour Le Triomphe de l’amour grâce à son producteur chez Universal, Jean-Philippe Allard : "J’ai fait l’album par petits bouts parce que je voulais avoir le temps : un jour de studio, puis une semaine quelques temps plus tard, puis deux jours… Les conditions étaient idéales."

Un poète singulier

 

Alors surgissent facilement des splendeurs inattendues comme une sorte de tango oriental (Le Billet), une valse gainsburgienne (Le Triomphe de l’amour) ou une méditation paradoxale entrainée par le oud et qui proclame : " Il est déjà demain/Pour qui a besoin/Il est encore hier/Pour qui n’y peut rien/C’est là et maintenant/Pour les amants/On n’a qu’à dire comme ça ".

D’ailleurs, Areski est un poète singulier, un poète qui dit volontiers n’être "pas un littéraire". Ses textes naissent de la promenade, des trajets dans le métro, des rêveries pendant le marché. "Parfois, une phrase jaillit – youpi. Mais je ne prends pas aussitôt le papier et le crayon. Ça vient plus tard." Alors il écrit dans un style très différent de Brigitte Fontaine, comme on peut le voir avec les deux textes qu’elle lui a donnés pour son disque.

La plume d’Areski est dense, fantasque, volontiers dadaïste et oblique, comme dans Les Fraises, délicieuse métaphore du rôle de l’artiste : "Debout sur une chaise/Dans un grand champ de fraises/Je faisais la synthèse/De la situation (…) Debout exprimez-vous les fraises/Qui êtes concernées par la situation/Debout exprimez-vous les fraises/Qui êtes cultivées pour l’alimentation". Et il réactualise avec un sourire en coin un vieux conte initiatique connu dans tous les Orients, sous le titre Les Babouches. Mais la saynète qui se passe dans une mosquée est accompagnée d’un orgue d’église européenne, comme un écho des premiers émerveillements musicaux d’enfance du petit Areski, né à Versailles à l’aube des années 40.

Areski Le Triomphe de l’amour (Universal) 2010. En concert au Café de la Danse, le 26 octobre 2010 à Paris.