Les Têtes Raides nous embarquent vers demain

R.Dumas

Trois années d’attente, soit une de plus que d’habitude, on trépignait presque d’impatience. Les Têtes Raides nous reviennent enfin avec leur nouvel album studio, L’An demain, et c’est avec une joie non dissimulée que l’on se précipite afin de découvrir dans quelles contrées poétiques ils vont nous emmener, après plus de vingt ans de carrière. On n’est pas déçu du voyage.

Première surprise, le visuel. C’est la première fois dans l’histoire des Têtes Raides que le visage de Christian Olivier, plume et voix du collectif, figure sur la pochette. "On voulait travailler à partir de portraits dès le départ. J’ai rencontré Richard Dumas, qui a également fait toutes les photos dont on s’est servi avec les Chats Pelés pour les illustrations du livret. Il y avait quelque chose d’assez intemporel, juste avec cette image. A chaque album, le titre est lié à un personnage. Le personnage de L’An demain, c’est moi qui le tiens. Alors les gens se questionnent sur un éventuel album solo de Christian Olivier, mais ça reste Têtes Raides, je continue à travailler avec un groupe."

C’est le regard tourné vers l’avenir que cet album a été abordé : "L’An demain c’est vivement l’an demain, c’est à la fois le désir et la quête de quelque chose". La chanson éponyme ouvre l’album et résonne telle une ode aux échappées nocturnes de l’esprit, qui, comme un moment de lucidité et de rédemption sur le monde, permettent le matin venu de trouver la force et l’envie de vivre le jour qui vient.

L’investissement social et politique est toujours présent, même si l’approche est "moins frontale que dans d’autres albums, comme Fragile. Si l’on écrit toujours des choses très personnelles, on marche avec notre temps, avec l’actualité". Ainsi, l’énergie va crescendo dans les arrangements musicaux, comme dans Fulgurance, où les cordes amènent en douceur la rupture créée au refrain par l’arrivée de la guitare électrique et d’un jeu de batterie vigoureux. L’ambiance dansante et joyeuse d’Angata offre quant à elle un discours sans équivoque "Des lambeaux de culture/Des bidons des ordures/Des avions dans les murs/De la démocrature" sur une rythmique ska.

Du portrait au collectif, un album de rencontres

 

Mais c’est surtout dans Emma, tango entonné avec Jeanne Moreau, que la danse est à l’honneur. Si un tango se danse à deux, le morceau n’a pourtant pas été pensé comme un duo, ou "peut-être que si inconsciemment", Christian Olivier "laisse cette porte ouverte". A l’automne, Têtes Raides et Jeanne Moreau étaient au Théâtre de l’Odéon, à Paris, dans le cadre d’un hommage à Jean Genêt. "Le morceau était presque terminé, et en le réécoutant j’ai eu comme un flash. (…) je l’entendais chanter dessus, c’était évident. Je le lui ai fait passer et elle a joué le jeu, ça été très émouvant pour moi. La chanson existe dans son sens seul, mais il y a deux personnages, ça appelle quelqu’un qui répond."

Autre rencontre, avec Martyn Jacques des Tiger Lillies, sur deux morceaux dont le punk-rock So Free, en anglais, une fois n’est pas coutume. "Martyn est londonien. Nos deux tessitures de voix sont à l’extrême, cela crée une ambiance assez cabaret, un peu déjantée, avec un texte rigolo, et lui était content de chanter quelques mots en français. Ce sera peut-être la dernière chanson en anglais que je vais écrire parce que là j’ai vraiment tout donné !"

L’ultime invité est dans le morceau qui clôt l’album, Je voudrais. C’est un rituel, un auteur est convié à chaque disque. Là, c’est un poète anonyme. "C’est un texte que j’ai entendu dans Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet sur France Inter. Les gens y laissent des messages sur un répondeur. Celui-là m’a scotché, je l’ai gardé. Ce sera peut-être une manière de retrouver le mec, ils seront peut-être plusieurs à se manifester, on verra ! Ça nous a amenés à travailler différemment musicalement. J’ai écrit le refrain, mais comme le texte est assez brut, cela m’a donné envie de le dire, ça finit plus ou moins en slam, c’est proche de ce qu’on peut faire sur Genêt ou des lectures que je fais en parallèle."

Les "montagnes russes" des Têtes Raides

Si les paroles d’une chanson sont à interpréter dans leur contexte, une phrase de Météo interpelle : "On est sorti de la chanson/Mais c’est pas grave on y revient". "Si sur cet album on est revenu à la chanson au sens large, on aime bien continuer à faire des montagnes russes. On a des choses à raconter qui sont aussi de l’ordre du physique, c’est un autre penchant, comme quand la musique accompagne un texte. Aujourd’hui, on a envie de partir dans cette direction, d’emmener les gens dans des situations différentes, des histoires où ils n’ont pas forcément l’habitude d’aller, dans des lieux bizarres, et on a toujours travaillé avec les autres formes artistiques."

 

A la rythmique, on trouve deux nouveaux arrivants, Antoine Pozzo di Borgo à la basse et Eric Delbouys à la batterie. "Le changement basse/batterie, c’est fondamental pour un groupe. De nouvelles personnes apportent quelque chose de différent, au niveau de la cohésion générale même de l’écriture, et ce changement se vit aussi en collectif. Là, il y a un désir très fort d’aller prendre la route, d’aller jouer ensemble."

La tournée qui s’annonce promet elle aussi des surprises. "On sort un cinq titres, Les Artistes, qu’on ne va vendre qu’en concert. Au départ, on avait dix-huit chansons qu’on a poussées jusqu’au bout. Il s’est avéré que cinq de ces titres étaient cohérents ensemble et on les a donc réunis en parallèle. Pour les concerts, ça ne va pas laisser énormément de place pour les anciens morceaux, et on a envie d’un truc assez compact. On va juste reprendre quelques titres qu’on n’a pas joués depuis très longtemps, ça nous amène à aller chercher d’autres choses."

Et comme les Têtes Raides aiment décidément l’aventure, les dates de leur tournée vont croiser celles de La Côterie, autre joyeux collectif auquel ils participent, avec des spectacles originaux destinés aux petits comme aux grands. Ils vont également essayer de rejouer Genêt dès l’automne prochain. Car "quand on parle de l’an demain, c’est on y va, on ne va pas s’arrêter là !"

Têtes Raides, L’An demain (Tôt ou Tard) 2011

En tournée dans toute la France dès février 2011 et au Bataclan à Paris les 14, 21, 28 mars et le 4 avril 2011