Renaud, porté à bout de voix
Inespérée résurrection offerte par Renaud, ce 11 octobre au Zénith, pour la première de ses dix concerts parisiens. Si la voix reste sans surprises le maillon faible, le chanteur a relevé un défi dont beaucoup le pensaient inapte. Quant à la connexion avec son public, elle est décidément unique.
Évidemment, la voix. Salement abîmée. Usée jusqu'à la corde. À vif, profondément à vif. Elle ne maquille rien, ne cache rien. Torche noire sur les draps blancs d'une existence déchirée. Son amplitude est infime, l'articulation aléatoire, le souffle haletant. Ce serait mesquin soudain de feindre l'étonnement. Sa voix, elle, racle le fond des choses, récure les souvenirs.
Renaud a survécu à bien des rochers acérés. Qui aurait imaginé le voir se dresser devant nous avec l'incendie de ses mots ? Toujours vivant, en ouverture. Il aurait été difficile de faire plus significatif. Il empoigne le micro comme une ancre, une bite d'amarrage. La main tremble. "Merci les sauvageons et les sauvageonnes". Clameur impressionnante, et rarement égalée, dans le public.
Lui, l'in-tranquille permanent, savoure cette ferveur bouillonnante. Parce que l'essentiel est là, dans ces avalanches de partage. Pas de pitié, juste un lien indéfectible, sublimement tenace et intact. Renaud chante, et c'est déjà immense. Il sème son besoin d'amour, ses sentiments fracassés.
Il enchaîne avec Docteur Renaud Mister Renard, directement en prise avec la dualité de ses tourments, puis En cloque, sa "chanson préférée". Malgré une posture statique, il ne subit pas. De toute façon, il est naturellement poète, physiquement poète, tatoué du cœur. Le voilà même particulièrement en verve au cours des apartés, déconneur, lucide, taquin. "J'ai remarqué, quand j'ai fait quelques concerts de rodage en province, que la prochaine fait chier tout le monde. Moi, je l'aime bien". Il parle du Sirop de la rue. Elle ne marquera pas, c'est vrai, les esprits. Une broutille tant son œuvre, insubmersible et abondante, traverse les océans de nos existences.
Renaud pioche, à juste équilibre, dans son dernier album. Des chansons faisant écho aux événements récents : Hyper Cacher, J'ai embrassé un flic ("Une chanson révolutionnaire au regard de mon répertoire"), d'autres plus intimes comme Ta batterie, écrite pour son fils Malone. Derrière lui des écrans vidéo 3D où s'incrustent des hologrammes, accrocheurs pour les yeux.
Les musiciens, eux aussi, sont des alliés de taille. Arrangements enchanteurs et inspirés. Aucune surenchère, ça joue juste. Ici un violon offensif, là un accordéon agile, plus loin une flûte voyageuse. Il y a toujours, chez Renaud, cet art fascinant de rendre la mélancolie si prégnante pour qu'elle puisse être découpée au couteau.
Et on se prend en pleine face, et comme aux premiers jours, les vacillements de Manu, la miraculeuse nostalgie de Mistral Gagnant. L'offrande est généreuse : deux heures vingt de concert, un medley final d'une richesse inouïe (Chanson pour Pierrot, Hexagone, Laisse béton, Dans mon HLM, Miss Maggie, La mère à Titi, Fatigué).
Là encore, personne n'aurait envisagé qu'il puisse tenir sur la longueur. Certainement que le public lui sert de béquille. Celui-ci est épatant, d'une abnégation absolue. On l'entendra accompagner les saillies couperets du chanteur énervé par des applaudissements nourris, jouer les choristes de luxe sur Manhattan-Kaboul ou Germaine. La communion - et le mot n'a rien de galvaudé dans le contexte - atteint son paroxysme avec l'emballant Dès que le vent soufflera. Cette fraternité, cette tendresse diffuse, explosent tous les plafonds. Renaud brûle à nouveau. C'est beau un homme qui n'a plus peur.
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