Vincent Delerm, l'intime fédérateur
Dans ce sixième album qui fait la bascule entre le passé et le présent, le personnel et le collectif, Vincent Delerm poursuit avec brio ses variations sur le même thème. Et comme l'emballage musical se révèle ici d'une élégance altière, Vincent Delerm offre onze chansons à la beauté renversante. Rencontre.
RFI Musique : Êtes-vous surpris d'être encore là ?
Vincent Delerm : Il y une part de moi qui ne l'est pas. C'était une obsession, quand ça a beaucoup marché au moment du premier album. J'avais à cœur de bâtir quelque chose. Dans les années 70, on en voulait pas tant que ça au chanteur de refaire exactement le même album que celui d'avant. Aujourd'hui, il y a un rejet de ça. Cela peut être un peu pénible mais, avec le recul, ça me plaît parce que cela te pousse dans tes retranchements. Tout ça n'obéit pas à des critères de talent. Certains disparaissent sans que tu comprennes trop pourquoi. C'est assez mystérieux. On me dit souvent que j'ai un peu morflé avec la critique. Il y a peut-être eu deux, trois trucs pas marrants mais j'ai toujours eu le sentiment d'être très soutenu.
Il semblerait même que vous avez fini par convaincre certains "anti-Delerm"...
Un homme dans la rue m'a récemment dit : "Vous m'avez eu à l'usure" (rires). Au-delà de ça, il y a une sorte de respect quand ça fait un moment que tu es là. Je pense aussi que ça tient au fait que je ne l'ai pas ramené tout le temps sur tous les sujets. Je n'ai pas l'impression d'être omniprésent ou d'avoir déjoué. Je n'ai pas eu à cœur de vouloir casser une image, j'assume de faire des chansons mélancoliques. En même temps, je n'ai pas continué dans la même veine, à mettre quarante noms propres dans un album. Quand j'ai fait l'album avec Peter Von Poehl en 2006 (Les piqûres d'araignée, ndlr), l'état d'esprit n'était pas : "Je suis comme ça, c'est ma manière de faire et je vous emmerde". Je ne voulais m'enfermer dans quelque chose de paranoïaque, dans une forme de section entre ceux qui m'aiment et ceux qui m'aiment pas.
Le déclic de cette mesure du "name dropping" ?
Je me suis un peu forcé sur mon troisième album Les piqûres d'araignée. Après, c'est devenu naturel d'en mettre un peu moins. Mais j'ai dû passer par une phase nécessaire de désintoxication.
Cuivres, cordes, flûte, piano... C'est votre disque le plus dense musicalement ?
Il y avait presque plus de cordes sur Kensington Square. Mais c'est vraiment tout le boulot de Maxime Le Guil. Il fait résonner cela de manière très entourant. Il a travaillé aussi sur des programmations. Parce qu'il n'y a pas tant de musiciens que ça sur le disque : un quatuor à cordes, un quintet de cuivres. C'est toujours tentant d'en mettre beaucoup quand tu veux quelque chose qui contienne du souffle et du lyrisme. J'avais envie de quelque chose de solaire et cela même, dans les approches particulièrement mélancoliques.
Pourquoi la voix de Jane Birkin à la fin de la chanson Dans le décor ?
J'avais fait une première version qui était plus claire sur l'histoire d'amour Gainsbourg-Birkin. Le seul truc qu'il en reste de précis, c'est le rubis qu'on lui connaît et qu'il a surtout autour du cou sur les photos. C'était un cadeau de Birkin avant qu'il se le fasse voler. La référence reste très distancée parce que c'est avant tout une chanson sur la persistance des amours. Je me sens assez imperméable à ça : cela ne m'atteint pas trop tristement de revenir à un endroit où j'ai vécu un truc.
Doit-on percevoir de l'ironie dans le titre les Chanteurs sont tous les mêmes ?
Il y a un plaisir, une excitation à faire partie du club des chanteurs. Cela me faisait vachement fantasmer quand j'étais jeune. Je me projetais beaucoup, je me disais en regardant les pochettes : "Il a cette gueule-là, il chante ça, donc lorsqu'il est avec une fille, cela doit se passer de telle manière". J'avais vraiment envie de ça, presque d'une manière enfantine. Et puis assez tôt, j'ai été amené à rencontrer des artistes que j'aimais ou à côtoyer des chanteurs de ma génération. Il y a un truc qui est agréable quand on se voit. Mon analyse est que ça vient du fait que c'est un peu ridicule comme métier. Certaines zones sont assez glamours mais il y a beaucoup des moments où tu as un réglage de son pourri, un décor télé kitsch, tu prends un bide au cours d'une première partie. On a tous vécu ces trucs-là donc on ne peut pas faire les malins. Le refrain de la chanson est sur quelque chose de plus particulier. On s'épie un peu les uns les autres. Ce n'est pas une compétition mais ce serait mentir de dire que tu ne regardes pas ce que fait l'autre.
Et l'idée du duo avec Benjamin Biolay ?
On s'était revus peu de temps avant. On avait chanté ensemble sur scène et on s'est dit qu'il fallait qu'on fasse quelque chose sur disque. Lui et moi, nous ne nous connaissons que de loin mais on est heureux de se croiser. On a parlé du festival de la côte d'Opale que nous avons fait plusieurs fois. C'est pour ça qu'on dit à deux voix la phrase : "Dans le gymnase de Boulogne-sur-Mer". Tu es dans un gymnase transparent en plein été, tu vois tout le monde. C'était très particulier de jouer dans une salle de sport avec, au sol, les lignes de handball ou de basket et les gens dans les gradins.
Le "nous" dans A présent est-il une réponse au "je" post-attentats ?
À la base, aucun rapport. Pour un concert sur une radio, j'ai fait une chanson Le silence sur le fait de prendre ou pas la parole. À l'issue de ça, des gens sont venus me dire : "Alors, vous avez fait une chanson sur les attentats ?". Je ne pouvais pas dire non, c'était en rapport avec les événements de société. J'ai viré ce titre du disque car je me disais qu'on n'allait me parler que des attentats. Puis une fois que l'album était fini, autour de moi il y avait une sorte d'ombre permanente. Après, c'est ma forme naturelle de souligner un instant, de fixer un moment. Comme il n'y a pas de chanson "blague" ici, peut être que ça renforce cet effet.
Vincent Delerm À Présent (Tôt ou Tard) 2016
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