Michèle Bernard, sublime méconnue

Michèle Bernard. © ChanTal Bou-Hanna

Il est plus que temps de porter une attention considérable à Michèle Bernard, chanteuse qui mérite un écho à hauteur de son éclatant talent. Quatre décennies déjà qu'elle trace sa route en marge des projecteurs. Son nouveau disque Tout' Manières se révèle être une petite merveille. Et l'Académie Charles-Cros a récemment eu le bon goût de la primer.

Sur cent personnes croisées dans la rue, combien connaissent Michèle Bernard ? Mieux vaut ne pas se lancer dans ce genre de sondage tant le constat serait dramatique. Les règles du succès populaire sont parfois mystérieuses. Celles de la médiatisation évidemment contestables. Ni radio ni télé pour cette orfèvre du mot et de la mélodie. Triste réalité.

Depuis sa consécration comme découverte au Printemps de Bourges en 1978, un parcours pourtant qualitativement incontestable. Chacune de ses livraisons discographiques est d'une richesse inouïe. Des chansons qui agissent sur nous comme des aimants, qui caressent, consolent, éveillent les consciences. Elles mériteraient les oreilles du plus grand nombre. Elles ne trouvent qu'un écho relatif. Souffre-t-elle de ce manque de visibilité ?

"Selon les périodes du chemin, plus ou moins. Il y a une certaine tristesse parfois, je mesure mon impuissance. Mais je ne vais pas commencer à clamer que c'est trop injuste, que je mériterais autre chose. Quand on arrive à se dire ça, l'aigreur n'est pas loin. Des chanteurs aigris, j'en ai croisé quelques-uns. Franchement, je n'ai pas envie de tomber là-dedans. Je ne peux pas perdre du temps avec ça. Je n'ai pas d'autre choix de prendre ce que ce métier me donne et il me donne déjà beaucoup".

Elle dit qu'elle n'a pas en sa possession tous les éléments d'analyse. Elle dit aussi, sans se dédouaner, sa petite part de responsabilité dans ces histoires de reconnaissance. "Pour être complètement honnête, sortant de mai 1968, j'étais haro contre le show-biz. Pour moi, c'était le démon absolu. Peut-être que je n'ai pas répondu à ce qui s'offrait à ce moment-là d'une manière très ouverte".

Trajectoire discrètement remarquable donc. Qui l'a emmenée, par exemple, à se produire en première partie du grand Léo Ferré au TLP Déjazet "tenu à l'époque par les libertaires de Paris", à monter un spectacle consacré à Louise Michel ("Un personnage romanesque, un destin extraordinaire") en compagnie d'un groupe de percussionnistes et un d'un ensemble vocal féminin, à effectuer une percée dans le répertoire pour enfants, à retrouver certaines de ses chansons majeures dans le répertoire scolaire (Maria Szusanna, Nomade), à remplir en octobre dernier deux Café de la danse.

Aventure collectives

En duo, en trio, en récital de voix polyphoniques, Michèle Bernard ne cache pas son penchant pour les aventures collectives. Une démarche qui trouve aussi écho dans son quotidien puisqu'au début des années 80 quand elle a décidé de vivre en communauté dans le département de la Loire. "Avec plusieurs amis, on a fait l'acquisition à bon prix d'une fabrique de textile à Saint-Julien-Molin-Molette. Au départ, on vivait tous ensemble puis on s'est organisés petit à petit différemment, chacun prenant ses quartiers personnels. Mais on peut être fiers. En 36 ans, on a déjà réussi à ne pas s'engueuler".

Là-bas, à travers son association Musique à l'atelier, elle a mis sur pied un festival et des ateliers à destination de chanteurs locaux. Chez elle transparaît la fraternité du lien. Ce lien qui se déploie dans la simplicité des conversations et des échanges. Et puis, il y a l'accordéon, son fidèle allié. Elle le promène depuis quarante ans. Pas question d'infidélité. "Symboliquement, c'est l'instrument qui m'a projetée dans la rue, qui m'a fait sortir du salon de mes parents. Quand j'ai commencé à chanter, j'ai senti qu'il y avait un impact et je n'ai jamais eu envie de m'en débarrasser. C'est devenu lié à moi".

Glaner ici et là, saisir ce qui captive ou indigne au fil de ses propres errances. Michèle Bernard a ainsi fait de l'attention portée aux gens et à la marche du monde, la règle féconde de son geste poétique. C'est une chanteuse de l'intime, de la liberté et de la générosité sociale. "Les idées de chanson, ce sont souvent des chocs, des choses qui se catapultent".

Nouvel album

Son dernier disque Tout' Manières recèle à nouveau de cette vive acuité et de cette tendresse diffuse. Elle a l'élégance de dénoncer sans jamais hausser le ton : la culpabilité distante alors que la Syrie saigne sous les bombardements (Savons d'Alep), le sentiment faussé de changer le cours des choses en signant des pétitions à la pelle derrière notre écran (Je clique), les nouvelles technologies qui déshumanisent le rapport humain (Yvette), la disparition des salles paroissiales et communales (Peppone et Don Camillo).

Surgit aussi un titre enchanteur (Madame Anne), écrit pour Anne Sylvestre et interprété en duo avec cette autre chanteuse précieuse. Entre elles deux, une gémellité évidente, une transmission assumée. "J'ai été raide d'Anne Sylvestre quand j'étais ado. Je trouvais sa plume magnifique. Elle m'a sans doute beaucoup influencée par son écriture".

Michèle Bernard prend acte du désastre ambiant pour mieux en appeler au soulèvement de la beauté  et de l'intelligence. "Demain on s'ra vieux/ Demain on s'ra morts/Serrons-nous plus fort", tranche-t-elle dans la chanson éponyme du disque. Il y a tout à voir dans son regard, tout à entendre dans son ample chant, ces tourbillons de la vie.

Michèle Bernard Tout'manières (EPM) 2016

Site officiel de Michèle Bernard