Philippe Brach en liberté

Philippe Brach. © Jean-François Leblanc

Il surprend, séduit, enchante, dérange. Philippe Brach qui nous promène au sein de ses humeurs troublées et de son folk-rock hybride est un phénomène. Fantasque, mutin, provocateur, créatif, ce Québécois de 27 ans s'est façonné un écrin à sa vraie (dé)mesure. Nous l'avons récemment rencontré à Montréal lors du festival Coup de cœur francophone.

Cela faisait un moment qu'on attendait de le voir se produire, curieux de mesurer la véracité de sa cote flatteuse. Ce soir-là, pratiquement en clôture de Coup de Cœur francophone - festival attrayant et exemplaire – existe la promesse d'un concert singulier et unique de fin de tournée. Sur la page Facebook du chanteur, deux capsules vidéos postées en amont, irrésistibles d'humour,  offrant une première salve de facéties d'un pitre intelligent. Et on comprend déjà mieux pourquoi le nom de Philippe Brach circulait tant de manière insistante.

Puis sur scène, confirmation définitive d'un talent diamétralement égal à la vastitude et la ductilité de son imaginaire. Il apparaît, maquillé comme la fiancée et déguisé en bonne. À ses côtés, une guitare en piment rouge, une autre en épouvantail, un bassiste en Minion, un batteur en clown et un quatuor à cordes féminin revêtant des couronnes de princesse. Autour, des peluches sont pendues ici et là sur les colonnes et un boucher gore découpe des bonbons gluants à l'entrée.

Brach débute par Né pour être sauvage, ballade qui bifurque à mi-parcours vers une déflagration secouante. Glisse à la foule : "Bienvenue à Enfant-ville, les amis-loups". Dans son indécrottable sourire de garnement transparaît un plaisir à apparaître sous les lumières et à ne pas prendre les airs graves d'une valeur montante. Une sorte d'insolence crâne et décomplexée, une liberté de jouir sans entraves. Le conformisme et la retenue, visiblement ce n'est pas pour lui. Au milieu de chansons accrocheuses, il y a quelques instants dérapages, aussi bien délirants que jubilatoires, comme cet enchaînement La moustache à papa et Lucy in the sky with diamonds, entonné avec l'invitée surprise Carmen Campagne, réputée chanteuse pour jeune public.

Des limites quand même

Dans l'après-midi, on l'avait retrouvé dans sa loge, assis en tailleur sur sa chaise et laissant entrevoir une chaussette droite généreusement trouée. Au gré de la conversation, là encore de la spontanéité ébouriffée. Rien ne semble l'arrêter. Chez lui, aucune crainte du point de non-retour ou de surchauffe. "J'en ai des limites, c'est juste qu'elles sont définitivement plus loin que la majeure partie des gens. Je croise les doigts, mais j'ai l'impression de ne jamais avoir jusqu'à présent dépassé l'acceptable. Je fais souvent des choses trash, mais rarement de choses gratuites".

Au récent gala de l'ADISQ (il a été sacré Révélation l'an dernier) et alors qu'il vient remettre un prix, quelques culs serrés s'indignent de son langage fleuri et impulsif. Lui préfère feindre l'indifférence. "Ceux qui assistent à ce genre de cérémonie ne sont pas ceux qui viennent au spectacle".

Philippe Brach s'est toujours affirmé sans détour, entier et vrai, fidèle à sa propre ligne directrice. À l'âge de 17 ans et à la suite d'un pari avec des amis, il s'inscrit à la sélection de la Star Académie. Franchit les étapes. Mais refuse de monter dans le bus. Pas question de se soumettre au contrat de la production. "Je vivais à Chicoutimi, je venais de fumer des joints avec des potes, on a joué à 'cap ou pas cap'. Il restait quinze minutes avant la fin des auditions. Je rentre dans le truc, demande une guitare à prêter et j'ai été pris. Ensuite aux auditions à la télé, le public a voté pour moi. J'ai un peu halluciné d'autant qu'à l'époque, je faisais des études de production télévisuelle et j'y allais plus pour voir l'envers du décor. Je ne voulais pas faire de télé-réalité. Et la seule fois où j'ai regardé, j'ai vu Ginette Reno donner des cours d'aquaforme aux candidats. Je préfère chanter avec elle que de me retrouver filmé dans une piscine".

Artiste indomptable

Entre son premier disque (La foire et l'ordre) et Portraits de famine, réalisé par Louis-Jean Cormier, un saut qualitatif. Des guitares franches (D'amour, de booze, de pot pis de topes) à l'échappée chorale a cappella (Bonne journée), il y a un monde. En duo avec Klô Pelgag, chanteuse dont on n'a pas fini non plus de louer la créativité, un texte d'une noirceur glaçante : pendant qu'un couple se dispute, une petite fille est en train de se noyer (Si proche et si loin là à la fois).

Brach privilégie les changements d'ambiance, de couleurs et d'atmosphères. Sème le doute en basculant du fictif à l'introspection. "J'aime cet aspect en filigrane entre les deux qui n'est clair. Je suis quelqu'un qui a beaucoup de hauts et de bas et je me réfugie dans l'écriture quand le moral n'est pas au beau fixe. Parfois c'est aussi de l'autocaricature. Je prends des traits de moi, je me transpose dans une situation que je n'ai jamais vécue puis j'extrapole". Il dit qu'il est incapable de se concentrer sur un livre. Il dit aussi qu'il consomme davantage de cinéma que de musique. Il dit enfin qu'il a des désirs de Tanzanie. Brach, indomptable et esprit bouillonnant. Personne ne lui dictera sa conduite. Et c'est franchement revigorant.

Philippe Brach Portraits de famine (Spectra musique) 2016
Page Facebook de Philippe Brach
Site officiel de Philippe Brach