Jane Birkin, fidèle abnégation
Elle est son plus dévoué porte-voix, le plus légitime aussi. Depuis la disparition de Serge Gainsbourg, Jane Birkin ne cesse de lui rendre hommage et d'interpréter son répertoire. Cette plongée symphonique, magnifiée par les arrangements du Japonais Nobuyuki Nakajima, dépasse toutes les autres percées. Vingt et une chansons en majesté. Rencontre.
RFI Musique : Après Arabesque, Gainsbourg via Japan, Gainsbourg poète majeur, maintenant le Symphonique. Est-ce viscéral de vous glisser dans ses chansons ?
Jane Birkin : Ce n'était pas fait exprès, mais il s'agissait plutôt d'une coïncidence. J'étais au Québec pour le spectacle Gainsbourg poète majeur, on faisait des lectures des textes de Serge avec Michel Piccoli et Hervé Pierre. Au cours d'une interview là-bas, j'expliquais à la journaliste que Serge utilisait souvent la musique classique dans ses chansons. Je pensais bien entendu à Baby Alone In Babylone, Jane B., Lost Song, mais aussi Lemon Incest ou à Bardot. La journaliste m'a demandé pourquoi je n'avais jamais interprété tout ça avec un orchestre philharmonique. Pour moi, c'était une démarche compliquée. Mais elle m'a proposé une collaboration avec l'Orchestre de Montréal dans le cadre des Francofolies. Même si j'étais malade à en crever au cours des deux dates, cette exquise aventure a commencé à ce moment-là.
Sur ce disque, l'élégance et l'émotion prédominent sur la grandiloquence...
Nobuyuki Nakajima est pratiquement un compositeur de musiques de film. Il nous emmène sur des pistes aventureuses. On ne sait pas toujours où on va et ça rend le tout assez intrigant. Et puis quand on retombe sur nos pieds, c'est avec une délicatesse absolue. La Chanson de Prévert, c'est audacieux et chaste par exemple. J'aurais pu avoir aussi le problème de lutter contre l'orchestre et que celui-ci soit obligé de baisser le ton. Cela aurait été dommage d'avoir autant de monde et de leur demander de mettre la pédale douce. Là non, Nobu m'a écrit une partition d'une finesse incroyable.
Serge Gainsbourg vous parlait-il souvent de sa fascination pour les compositeurs classiques ?
Je me rendais compte qu'il avait un grand savoir lorsqu'il m'a fait chanter Jane B.. Parce que moi, je ne savais pas ce que c'était tout ça. Après, je n'étais pas tout à fait inculte, car j'avais été mariée avec le compositeur John Barry. Je pense à lui parfois pendant les concerts. Serge enviait de temps à temps, le talent de John pour faire des orchestrations divines et pour avoir les moyens de se payer des orchestres philharmoniques de 80 personnes pour les films. Pour les chansons, Serge n'avait pas ce luxe-là. Il a juste pu s'en offrir un pour le film Je t'aime, moi non plus. Sur la table basse chez lui, il y avait le portrait de Chopin. Mais il avait déjà fait son éducation, il ne m'a pas emmené dans les concerts classiques. Serge avait tendance à dire que c'était pour les initiés. C'était la même chose concernant son amour de la peinture. Donc, je me sentais un peu larguée. D'ailleurs, si c'était possible d'amener, grâce à Serge, la musique classique dans des endroits pas évidents comme les cités, ce serait formidable. Les Américains savent vulgariser les choses, ils ne sont pas snobs.
Pourquoi chantez-vous pour la première fois Pull marine ?
Il fallait une ou deux surprises. Je suis un peu gonflée de la faire, car Adjani la chantait divinement. Et puis, c'était un mini-portrait d'elle. Peu de gens savent que c'est elle qui a écrit la plupart des paroles. C'est très compliqué à interpréter comme chanson, il y a un maximum de mots. Cela m'enchante de dire : "J'te r'ferai plus l'plan d' la star/ Qui a toujours ses coups de cafard".
Avez-vous été envieuse qu'il offre une telle chanson à Isabelle Adjani ?
On se tient surtout à sa place. Je n'en menais pas large, car je l'avais quitté. Il n'y avait aucune raison que Serge me fasse un disque, d'autant que je tournais La Pirate de Jacques Doillon. Quand il m'a fait venir rue de Verneuil, il m'a dit : "Je te dois ça". Or, il ne me devait rien. Il m'a fait écouter des musiques et j'ai mis quatre étoiles à Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve ou Les dessous chics. Puis arrive une mélodie qu'il chantonne et là, je l'arrête en lui glissant que c'est sublime. Il me rétorque : "Ah non ! Celle-là c'est pour Adjani". C'était bien fait pour ma gueule !
Dans la chanson Une chose entre autres, Gainsbourg a mis dans votre bouche cette phrase : "Tu as eu plus qu'un autre/L'meilleur de moi". Avec du recul, vous validez ?
C'est la vérité. J'ai vraiment tenu à la chanter alors que c'est une petite gifle quand on regarde de près. "Oui j'en ai vu d'autres/T'inquiète pas pour moi/J'me démerde/Avec c'que j'ai pas". Des mots comme ceux-là, ça gèle un peu le sang. J'ai eu la chance d'avoir eu ce côté fragile de Serge et il se gardait pour lui les chansons "Gainsbarre". Ce n'était pas une facette de lui que j'adorais. Mais maintenant, je me rends compte de la puissance mélodique de morceaux comme Sorry angel. Les jeunes adoraient et c'est tout ce qu'il voulait.
N'était-ce pas troublant de chanter les peines que vous lui avez causées ?
C'est un cas psychologique. Je n'ai pas connu d'autre exemple ou peut-être Liv Ullmann pour Ingmar Bergman (respectivement, actrice norvégienne et réalisateur suédois, ndlr). D'avoir été celle qui interprétait les blessures du poète en étant elle-même la cause de celles-ci, c'était rude parfois. Pourquoi n'a-t-il pas trouvé une fille de 17 ans à la voix haute pour les chanter à ma place ? Je crois qu'il était focalisé sur notre couple. Il me disait : "Que veux-tu, on est historique".
Un lien amoureux tenace et indélébile ?
Peut-être. En tout cas, il a trouvé un moyen pour que tout ça continue jusqu'à sa mort. Est-ce qu'il avait deviné que j'allais porter ça et emmener ses chansons partout vingt-six ans après ? Je suis reconnaissante à tout égard. Il a été d'une prévoyance incroyable pour Charlotte, Lulu, Bambou et moi. D'un point de vue financier, il a veillé à ce qu'on puisse s'en sortir. Quelques jours avant de mourir, il m'a offert un diamant. Savait-il que ces jours étaient comptés à ce moment-là ? Si c'était le cas, il a été vraiment courageux de ne pas partager ses craintes.
Vous dites être enfin libérée sur scène. Pour quelles raisons ne l'étiez-vous pas auparavant ?
Les concerts me procuraient un tel stress que je n'ai jamais pu vraiment aimer ça ou en profiter. Ce n'est pas qu'il a disparu aujourd'hui. Mais il m'est arrivé des choses dans la vie qui font que ça change la donne. J'ai compris que je ne suis pas le personnage central. Lors de ces concerts symphoniques, que je sois là ou pas, la beauté de l'affaire est ailleurs, au sein de l'orchestre et des arrangements de Nobu. Bien sûr, j'essaye de ne pas rater mon entrée et de ne pas chanter à contretemps (rires)
Vous avez connu ces dernières années de sérieux problèmes de santé. Estimez-vous être une rescapée ?
Je n'ai pas eu peur de mourir, je n'étais pas vraiment consciente. Depuis quinze ans, je suis des traitements. Sauf que là, il m'est arrivé de telles tristesses, comme la mort de Kate (sa fille, ndlr), que ça ne m'a pas étonné que le corps ne suive pas. Grâce à des cocktails magiques de médicaments, je peux encore jouer avec le temps. Je dois beaucoup aux médecins et j'ai une réelle gratitude pour le personnel hospitalier.
Vous aviez écrit les paroles de l'album Enfants d'hiver. Est-ce envisageable de reprendre la plume dans le futur ?
Il faut qu'il y ait une nécessité. Je comprends que Lerichomme (Philippe Lerichomme, directeur artistique, ndlr) trichait avec Serge en lui faisant croire que les dates de studio étaient avancées. Parce que sinon il ne foutait rien ! Il avait besoin d'être dos au mur pour sortir ses merveilles. Je ne suis pas dans cette configuration-là, mais j'avais un besoin à l'époque de surtout m'exprimer sur l'enfance. Là, je ne ressens aucune urgence. J'aimerais réaliser un film ou une pièce au sujet de ma mère. Après, j'admire mes filles dans leur courage de s'exprimer. Charlotte vient d'écrire ses propres textes en français pour son prochain album, Lou exploserait si elle ne pouvait pas dire ce qu'elle a à dire dans ses chansons. Moi, je suis partie pour un an et demi avec le Symphonique et cela me fait un bien fou.
Birkin/Gainsbourg Le Symphonique (Parlophone) 2017
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