Bertrand Burgalat, le rêveur lucide

Bertrand Burgalat. © Serge Leblon

Bonne nouvelle pour les amateurs de la pop française majuscule, Bertrand Burgalat publie son 9ème album, Les choses qu’on ne peut dire à personne. Un voyage labyrinthique dans l’univers sophistiqué, rétro futuriste et mélancolique d’un compositeur, producteur et arrangeur aussi sensible que clairvoyant. Entretien.

RFI Musique : Ce nouvel album fait 19 titres, un format plutôt long de nos jours !
Bertrand Burgalat :
Je coche toutes les mauvaises cases (rires). Je commence même par deux instrumentaux ! Je sais que je vais à l’encontre de toutes les façons de faire de la musique aujourd’hui. J’aime les albums en labyrinthe, en spirale. Mais pour moi, il n’y a pas de remplissage. Tous les titres devaient être dans cet ordre-là dès le début, à leur place. Je suis d’ailleurs incapable de l’expliquer de façon rationnelle.

Pourquoi avoir attendu cinq ans avant de sortir ce nouvel album ?
Après Toutes directions, j’ai éprouvé le besoin de me concentrer sur d’autres projets, comme des BO de films (ndlr : Dynamite ! de Bertrand Tavernier, ou Gaz de France de Benoît Forgeard), ou l’écriture d’un essai sur le diabète (Diabétiquement vôtre, paru en 2015). Et puis je n’ai pas de pression extérieure pour sortir des disques. Je n’en sors un que lorsque c’est mûr, que tout ce que j’ai envie de dire est là. À un moment donné, les titres se tenaient, j’avais quelque chose de cohérent.

L’album présente des sonorités exotiques et plutôt inédites dans votre discographie, avec la présence de steel-drums ou de pedal steel…
Ce sont des instruments que j’avais envie d’utiliser depuis longtemps. Mais avec décalage : je ne voulais pas sonner façon Trinidad. J’utilise par exemple le steel-drum comme des pizzicati de cordes. Pour la pedal steel, j’ai fait appel à Jean-Yves Lozac’h, et pour le steel drum, Andy Narell, ce sont de grands spécialistes de leur instrument et des personnes adorables.

Vous semblez rendre hommage, plus encore qu’avant, à la musique des années 60 et 70, à la grande époque des musiciens de studio…
C’est pour cela, entre autres, que j’ai fait appel à Slim Pezin (guitariste mythique de Claude François), que j’aime beaucoup. Je suis très légitimiste, je trouve qu’il faut rendre hommage aux grands ancêtres. Nous avons la chance que beaucoup de pionniers de la musique moderne soient encore en vie. Nous ne les célébrons pas assez, je trouve. Un peu comme si John Ford ou Méliès étaient encore vivants aujourd’hui et que le monde du cinéma les ignorait. Nous vivons une époque étrange, focalisée sur le passé, mais sans beaucoup de tendresse pour les originaux de ces années.

Dans Son et lumière, l’un des trois textes que vous signez, vous êtes très ironique sur la musique actuelle…
La chanson est ironique et distanciée en effet. Mes textes sont les moins personnels de l’album ! Je suis toujours très inhibé pour écrire des paroles. Je trouve inutile d’écrire des choses personnelles si cela ne dépasse pas ma petite personne. J’essaie toujours d’aborder les sujets de manière oblique, sans être dans l’indignation. Lorsque j’écris, "Je fais le DJ pour des winners/ Des ouvertures de boutiques", je me moque évidemment de moi-même. Du monde du rock aussi, qui a fini par incarner le pire de notre mode de vie, une forme d’asservissement consumériste, d’institutionnalisation aussi. Ce qui est une évolution logique pour une musique qui a plus de 70 ans.

À la création de votre label, Tricatel, il y a 20 ans, vous déclariez vouloir produire "des chansons belles et sincères" et "commercialement réussies". Avez-vous conservé cette ambition ?
J’ai renoncé depuis des années à faire de la musique commerciale. Peut-être parce que je n’entends plus de tubes intéressants musicalement qui me donnent envie d’essayer. Le dernier à m’avoir impressionné est Happy de Pharrell Williams. J’ai bien aimé Éblouie par la nuit de Zaz. Je l’ai trouvée bien écrite. Lorsque j’entends une chanson bien écrite qui marche, cela me rend tout de même heureux.

Notre époque vous semble-t-elle trop conflictuelle, difficile pour la musique ?
J’ai plutôt tendance à être dépressif dans les périodes calmes, et dynamique dans les périodes compliquées, comme celle que nous vivons. Ces temps-ci, je sens un désir inassouvi de faire des choses, de créer. Si j’avais 20 ans aujourd’hui, j’aurais beaucoup de projets, d’ambitions. C’est un mélange paradoxal, il y a du découragement, mais aussi une soif d’action. Une grande réserve d’espérance. Et je crois que ce nouvel album l’incarne un peu : des titres comme Sur les plages de la vie ou Le Zéphyr sont parmi les plus solaires de ma carrière.

Après huit albums, quelle force vous pousse encore à sortir des disques ?
La nécessité, toujours. Quand je fais un disque, je suis porté, peut-être moins qu’avant certes, par un besoin viscéral. Je ne peux pas le faire pour l’argent. Ma motivation, c’est la satisfaction simple d’avoir accompli quelque chose. Je mesure la chance que j’ai de pouvoir m’exprimer, de sortir des disques, répondre aux interviews. C’est un privilège !

Bertrand Burgalat Les choses qu’on ne peut dire à personne (Tricatel) 2017

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