Julien Clerc, le goût de l'exaltation
Hormis les fidèles Maxime Le Forestier et Carla Bruni, Julien Clerc a fait appel à de nouveaux paroliers (Brigitte Fontaine, Vianney, Marie Bastide...) pour son vingt-quatrième album. Celui qui fête 50 ans de carrière s'est surtout ici entouré de Calogero à la réalisation et aux arrangements. D'où ce retour salvateur au souffle épique et aux envolées lyriques. Rencontre.
RFI Musique : La pochette est inspirée du tableau La méridienne de Van Gogh. L'album s'appelle A nos amours. Un clin d’œil caché à Maurice Pialat ?
Julien Clerc : Du tout. J'aimais beaucoup Pialat du reste, mais ça n'a rien à voir. Je trouvais qu'il y avait tellement le mot "amour" dans les textes que je me suis dit qu'il fallait retrouver ça dans le titre de l'album. J'aime généralement que celui-ci provienne d'une chanson. Avec l'ensemble pochette-titre, on voit bien le message que je souhaitais envoyer : c'est-à-dire une certaine immuabilité malgré le temps qui passe. Pour la pochette, un paysage comme celui-là existera encore dans 250 ans. Je suis allé voir récemment le tableau au Musée d'Orsay et je suis content du résultat parce qu'on a bien restitué ce qui était pour moi le plus important : le code couleur.
On sait que vous êtes une référence pour Calogero. Est-ce lui qui a été demandeur ou l'inverse ?
C'est moi. Sa femme Marie Bastide m'a envoyé deux textes que j'ai mis en musique. Calo les a entendus et m'a fait savoir qu'il avait des idées de production dessus. Je me suis dit alors que ce serait formidable qu'il produise tout l'album. Il sait enjoliver les chansons, apporter sa pierre à l'édifice. C'est un artiste résolument contemporain. Il est comme moi compositeur-interprète et a donc besoin de faire appel à des auteurs.
Comment deux mélodistes procèdent-ils ensemble ?
Il m'a annoncé la couleur dès le départ. Il m'a dit qu'il allait me soumettre des maquettes et qu'à partir du moment où je validerais, on retrouverait cela à la fin. Si j'avais des doutes, c'est à ce moment-là que je devais réagir. Ce qui était l'essentiel, c'était les grooves, les schémas rythmiques et il ne s'est pas trompé une seule fois. Il y a deux chansons, Ma colère aux sonorités très "Morricone" et A vous jusqu'à la fin du monde, qui étaient très loin de ce que je lui avais livré en piano-voix. Il m'a demandé de lui faire confiance et j'estime avoir bien fait. J'ai la chance d'avoir un producteur extraordinaire. Même dans la direction vocale, il m'a poussé dans mes retranchements. C'est autre chose encore d'être dirigé par quelqu'un qui est lui aussi chanteur. Sa personnalité est très présente dans l'album tout en ayant servi l'âme des chansons.
Aviez-vous la volonté de retrouver des envolées lyriques ?
Tout vient de la composition. Comme je compose avec ma voix, je me sers bien au niveau des envolées. Je n'y réfléchis pas, ce sont des notes qui viennent d'après le texte que je mets en musique. Est-ce que j'ai eu précédemment une volonté inconsciente d'être moins lyrique ? C'est possible. J'ai retravaillé ma voix depuis, j'ai repris des leçons de chant. Donc, ça m'a conforté dans le goût que j'ai pour l'envolée.
Pourquoi avez-vous pris des cours de chant seulement à partir des années 80 ?
Je chantais instinctivement. Mais comme tous les gens qui ont un don de la nature et qui ne travaillent pas, un jour ou l'autre ça emprunte une courbe descendante. On m'a conseillé en voyant l'état de mes cordes vocales d'en prendre et on m'a rappelé que cette voix était mon patrimoine. Ma professeure étant décédée, je pensais que je ne trouverais personne aussi bon qu'elle. Puisque je me rendais compte ici qu'il fallait que je me remette sur les rails, Carla Bruni m'a suggéré ce prof qui est parfait. Je me régale.
Auriez-vous imaginé, alors qu'il effectuait vos premières parties, que Vianney vous offrirait un jour un texte ?
J'ai tout de suite vu que c'était un grand auteur-compositeur. Et puis, c'était pareil avec Delerm il y a des années lors de la série de concerts au Bataclan, il a immédiatement accroché le public. J'entends ça des coulisses et vous sentez de suite quand c'est un artiste que les gens aiment. Il y a une sympathie et une écoute qui émanent silencieusement des spectateurs.
Didier Barbelivien a été inspiré par le vouvoiement entre vous et votre épouse Hélène Grémillon. N'est-ce pas curieux comme procédé ?
C'est parti comme ça et puis ça n'a jamais changé. Ce n'est pas une posture. Déjà pour commencer, je ne tutoie pas facilement. Je vouvoie par exemple Pascal Nègre, mon nouveau manager. Il n'y a pas de règles là-dessus.
Passer de Didier Barbelivien à Brigitte Fontaine, c'est possible ?
Si le texte est bon, aucun problème. Le portrait de femme vénéneuse de Brigitte Fontaine est incroyable. C'est bien elle, profonde et qui vous interpelle, avec aussi ce challenge des rimes en "ire".
Pourquoi mettez-vous à nouveau en musique un poème, en l'occurrence La Plata de Henry Jean-Marie Levet ?
Puisque j'avais été confié à mon père, j'allais chez ma mère pendant les week-ends. Parmi ses idoles absolues, il y avait Brassens. J'ai eu de la chance de l'entendre très jeune sans toujours comprendre ce qu'il disait. Lorsque plus tard, j'étais en âge de regarder au dos des pochettes, je me suis rendu compte que les chansons qui me plaisaient le plus étaient des poésies mises en musique. Par la suite, j'ai vu que Ferré ou Ferrat avait fait pareil. Mais pour moi, celui qui le faisait le mieux, c'était Brassens. Avoir transformé du Victor Hugo en chanson populaire, c'est ça selon moi la façon de traiter une poésie. Donc de temps en temps, j'aime bien faire ça, car j'ai eu ce phare très jeune. On peut faire une mélodie pure sur de la poésie.
Maxime Le Forestier vous a écrit Ma colère. Quelle est la nature de cette dernière ?
Carla Bruni, Maxime Le Forestier et moi avons des comptes à régler – j'insiste sur le mot compte – avec le même homme. Il s'agit, pour ne pas le citer, de mon ancien agent Bertrand de Labbey. Maxime, qui vit les mêmes choses que moi en moins lourd, a eu l'idée de cette chanson.
Qu'avez-vous réussi à éviter au début de votre carrière ?
Je pense que compte tenu de la voix que j'avais, j'aurais pu être un chanteur-interprète. Évidemment comme tous les gens sans matériel, j'aurais dépendu de directeurs artistiques qui auraient dû me trouver des chansons. Lors de ma première audition, le gars n'aimait pas mes chansons, mais avait entendu ma voix. Il m'a dit : "Si on ne prend pas vos chansons, accepteriez-vous d'interpréter les chansons des autres ?" Je lui ai répondu : "Jamais ! Je ne veux que chanter ma musique". J'ai eu cette compréhension-là à 19 ans alors que j'arrivais de nulle part. Quand on a son propre matériel, on est responsable de son destin. Après, on m'a proposé des chansons qui n'étaient pas de moi, mais qui m'ont plu comme les chansons de Hair ou Ballade pour un fou qui était une chanson argentine. Mais elles se comptent sur les doigts des deux mains. Pas plus.
Julien Clerc À nos amours (Parlophone) 2017
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