Brigitte, l’aventure américaine

Le duo Brigitte sort son 3ème album "Nues". © Shelby Duncan

Fini les jumelles qui ont fait un carton sur un air de disco. Brigitte signe Nues, un troisième album "américain" imaginé à distance, entre Paris et Los Angeles. Le duo revient de cette escapade avec des chansons d’amour souvent contrariées, qui rappellent volontiers Véronique Sanson ou Michel Berger. La blonde, Aurélie Saada, et la brune, Sylvie Hoarau, n’ont toujours pas la langue dans leur poche. Concentré de filles.

RFI Musique : Où en est Brigitte aujourd’hui ?
Aurélie Saada
 : J’ai l’impression que sur cet album, on a retiré le maquillage mais aussi, la première couche de peau. C’est comme s’il s’agissait de faire face à la réalité, à la douleur. Assumer l’inassumable, avouer l’inavouable, se mettre nues.

Qu’est-ce que vous entendez par inavouable ?
A. S.
 : Dans les thèmes légers, c’est raconter la groupie que l’on a pu être et, dans les choses plus profondes, raconter qu’on aime encore un homme ou le père qui vous a lâché. Dire qu’on lui ressemble encore alors qu’on aimerait ne pas lui ressembler. L’inavouable, c’est presque pardonner aussi.

C’est Carnivore, la chanson de fin de ce disque, qui évoque cette envie de retrouver un homme qu’on a aimé ?
A. S. 
: La chanson sur le père est Mon intime étranger. Mais il y a aussi La morsure, qui traite de la difficulté d’aimer. Nous n’étions pas là pour montrer à quel point nous sommes musclées et à quel point nous levons la tête. Les figures qui nous ont beaucoup inspirées cette fois-ci sont Lilith, Frida Khalo et Marie Laveau. Des femmes qui ont souffert mais qui ont fait quelque chose de cette souffrance en ne la cachant pas. De toute façon, on a du mal à y échapper, c’est toujours très féminin ce que nous faisons.

Justement,  comment voyez-vous la place des femmes dans notre société ? Notamment à la suite des hashtags #balancetonporc ou #MeToo, qui sont apparus sur les réseaux sociaux dans la foulée de l’affaire Weinstein ?
A. S.
 : #balancetonporc, je trouve cela assez violent et la délation, ça n’a jamais été mon truc. Après, s’il n’y avait pas eu cette action violente, tout le mouvement qui a suivi, qui est certainement plus réfléchi, ne pourrait pas exister. C’est comme le ying et yang, il y a un équilibre à trouver. Tout de suite après #balancetonporc, il y a eu #MeToo, qui a été une façon de témoigner des violences faites aux femmes et je pense que le nombre de témoignages compte. Moi, j’ai décidé de témoigner sur Facebook au sujet d’une histoire qui m’est arrivée dans l’enfance. Maintenant j’ai grandi, je vais bien, mais je l’ai fait parce que je pense à mes filles. Le but, ce n’est pas de punir, mais d’éduquer.

Mais on vous a découvertes avec une reprise du morceau de rap, Ma Benz
Sylvie Hoarau 
: …que tout le monde trouvait misogyne !

Bien testostéronée, quand même ! Comment avez-vous vécu le fait d’être toujours renvoyée à votre sensualité ?
A. S.
 : À notre manière, c’est comme si l’on avait dit : "Assume ce que tu es !" Je me souviens de l’une nos premières interviews où le journaliste nous avait demandé : "M’enfin, avec vos robes, vos chaussures à talon et votre maquillage, vous n’avez pas peur qu’on vous prenne pour des connes ?" On est prêtes à se battre longtemps pour que cet affreux discours misogyne cesse. On ne se maquille pas, on ne s’habille pas pour les hommes, on le fait pour soi, parce qu’on a le droit d’en faire ce qu’on veut. Finalement, Ma Benz, c’est dire que nous sommes sexuées. Celles qui viennent nous voir nous disent : "Votre parole me libère !"
S. H. : C’est peut-être exagéré mais des femmes nous ont souvent dit qu’on les avait aidées à comprendre qui elles étaient. Des hommes nous ont dit qu’on devrait être remboursées par la Sécurité sociale, parce qu’on les a aidés à comprendre la complexité des femmes. J’ai l’impression qu’on chante surtout notre liberté d’être qui l’on veut. Féminines ou pas, maquillées ou pas, mères ou pas, on raconte la difficulté qu’il y a pour une femme de tout conjuguer. Parce que le poids social est important...

Sur ce disque, on retrouve beaucoup de chansons inspirées de Véronique Sanson ou de Michel Berger
A. S.
 : Il y a sûrement une forme de nostalgie. Depuis toujours, on se balade dans les choses qui ont marqué nos vies. Pour ce disque, je suis allée vivre en Californie. Dans les années 70, cet endroit était un rendez-vous pour plein de musiciens, qui sont tous allés faire leurs albums américains.
S. H. : C’est notre album américain, c’est sûr !
A. S. : On l’a vraiment enregistré là-bas. Et puis, on l’a fait de façon très simple. J’avais un vieux piano à la maison, j’ai découvert cet instrument dont je ne jouais pas. Donc, cela fait forcément référence à Sanson, à Berger. Mais on a aussi beaucoup écouté Elton John, Fleetwood Mac, Carole King ou Joni Mitchell.

Ces chansons ont été composées à distance, l’une étant en France, l’autre vivant à Los Angeles. Vous qui aviez l’habitude d’écrire toutes les deux autour d’une même table, cela tranche avec vos méthodes de travail !
A. S. : C’est une prise de risques, comme dans un couple. Tout d’un coup, c’est se dire : "Et si on assume que nous sommes deux êtres différents, est-ce que ça marche encore ?" La réponse est : "Oui, ça marche encore !"
S. H. : C’est un peu comme tester deux couples différents. Il y a des couples fusionnels, qui ne font rien l’un sans l’autre, et puis, des couples qui font chacun leur vie, qui n’ont pas besoin de se sentir en permanence mélangés l’un à l’autre. 

Dernière question à laquelle vous ne pouviez pas échapper. Brigitte Macron, qu’en pensez-vous ?
S. H.
 : (pince-sans-rire) Ben, on a de la chance que la première dame s’appelle Brigitte, ça nous fait de la pub.
A. S. : Ou alors, c’est nous qui lui faisons de la pub. Qui fait de la pub à qui ? (rires)
S. H. : C’est drôle, encore une Brigitte audacieuse. Elle rentre tout à fait dans notre liste des Brigitte. Brigitte Fontaine, Brigitte Lahaie, Brigitte Bardot, et maintenant Brigitte Trogneux.

Brigitte Nues (Columbia Records) 2017

Site officiel de Brigitte
Page Facebook de Brigitte