Yves Duteil, chanteur de bonheur
Avec son dernier disque, Respect, impulsé par la manifestation du 11 janvier 2015 à Paris, le chanteur Yves Duteil réitère ses engagements, sa spiritualité, son goût pour le bonheur et son espérance.
Un million et demi de personnes défilait ce jour-là dans Paris ; un million et demi de personnes unies comme un seul corps, cimentées par l’espoir et le refus, sourire aux poings, de céder à la peur. C’était le 11 janvier 2015, quatre jours après l’attentat contre Charlie Hebdo : parmi les manifestants, marchait, à l’unisson de la foule, Yves Duteil.
Au milieu du cortège, un déclic : "J’avais sorti mon précédent disque, Flagrant Délice, fin 2012, mais une opération à cœur ouvert m’avait empêché d’en assurer la promotion. Ce 11 janvier, au milieu de mes pairs, j’ai ressenti cette envie, cette urgence de me remettre à l’écriture. Il fallait coûte que coûte conjurer le sort, briser cette entrave à la musique, à l’insouciance, au bonheur. Chacun de nous devait combattre avec ses armes. Nous devions devenir individuellement, métaphoriquement, ces petites bougies dans l’obscurité." Pour illustrer ses propos, le chanteur cite des extraits du titre pivot, Armés d’amour, de son nouvel opus : "Pour ouvrir les cœurs au partage/Faudra-t-il aimer davantage ?/Rêver plus haut, chanter plus fort ?/D’un amour plus grand que la mort ?"
Yeux bleus délavés, regard franc, sans aspérité, le poète du Petit pont de bois, trace un discours limpide, clair, aux accents missionnaires – des mots qui soignent. Ses paroles se développent sous le sourire aimant de Noëlle, éternelle présente à ses côtés, son épouse depuis 40 ans, partenaire artistique et politique, dont il cherche, à chaque phrase, l’approbation bienveillante. "Je vis dans sa lumière", décrit-il.
Respect et spiritualité
La lumière, la foi et une certaine façon de se tenir droit pourraient caractériser Yves Duteil. Son disque s’intitule Respect, un titre qui lui ressemble. Comme dans sa chanson éponyme, il explique : "Pour moi, ce terme reste le dénominateur commun de toute humanité, le cœur de nos relations. Moins galvaudé que 'charité', 'bonté', etc., il signifie écoute, regard, partage, diversité…".
Parmi les titres engagés du disque, sur des mélopées arabisantes, s’élève en arabesque Mohammed, Aïcha, servie par la voix ensorceleuse de la chanteuse tunisienne Dorsaf Hamdani – un cri d’amour aux amis d’origine maghrébine. Il raconte : "Ce sont nos proches, nos piliers dans les moments difficiles. Lors des attentats, ils étaient bouleversés. Et pourtant, pèse sur eux, le poids de la suspicion que leur fait porter la société française…"
Dans La Légende des Immortelles, portrait d’un apiculteur corse, Duteil tire la sonnette d’alarme écologiste. Dans Une minute de silence, il honore la spiritualité, essentielle à sa vie : "Davantage vouées aux morts, aux combats, aux drapeaux, aux victoires, aux charniers, aux héros, les minutes de silence ne se consacrent jamais au bonheur, à la communion, à nos joies d’être ensemble. La spiritualité, pour moi, constitue une sorte de religion laïque, qui honore, en dehors de tout dogme, l’humain : des étincelles qui permettent de supporter le poids de la contradiction, de conduire, à l’instar de la philosophie, vers la vie bonne."
L’amour comme résistance
Sur ce disque, sa poésie concrète, ses mots imagés et précis, habités de moments vécus, voyagent sur des musiques nomades – du Brésil à l’Afrique, de la Tunisie au Maroc –forgées par l’arrangeur Franck Monbaylet, interprétées, entre autres, par le batteur franco-sénégalais Mokhtar Samba ou le percussionniste marocain Rhani Krija.
L’ingrédient au cœur de ses créations et de ses engagements s’impose : l’amour. Il le revendique et s’en défend, par peur d’être, une fois encore, taxé de mièvrerie. "Il n’y a pourtant aucune naïveté dans mon propos. Plutôt du réalisme, argue-t-il. Ce que laisse un humain lorsqu’il quitte la terre, consiste en l’amour qu’il a semé : la force de sa sensibilité, de ses émotions. Face au cynisme du monde, je perçois l’amour comme une résistance."
Ainsi chante-t-il, hors des sentiers de l’engagement frontal, des chansons de famille, des titres intimistes : sur Quarante ans plus tard, il déclare sa flamme inextinguible à Noëlle – "Avec ma trentaine de chansons d’amour pour mon épouse, je prends le risque de fendre la cuirasse, et d’apparaître, comme nous tous, sensible, à rebours de cette injonction sociale, qui dresse l’image d’un homme viril, qui ne pleure jamais et assomme le buffle à mains nues" ; dans Le Passeur de Lumière, il honore son beau-père – "Cet homme extraordinaire, photographe, aventurier, qui a poli le miroir de son télescope lui-même, m’a initié à la poésie du ciel profond, et légué son instrument sur ces mots : 'tu seras mes yeux'" ; il retrace enfin l’épopée et les secrets de son piano centenaire, ses multitudes de mains envolées sur ses touches.
La force des chansons
"Comme un écrivain public, j’ai l’impression, parfois, d’être la voix des silencieux, hors des modes et de l’air du temps", dit-il. Ce n’est alors peut-être pas un hasard, si ses chansons accompagnent depuis 40 ans, la société et ses mutations. "J’ai chanté la chute du mur de Berlin ; écrit sur Nwagang Sangdrol, la 'Jeanne d’Arc tibétaine', et en hommage à Yitzhak Rabbin ; sur le conflit Iran-Irak… Et puis, j’ai accompagné des événements familiaux : des deuils avec Ton absence ; des milliers de baptêmes, avec Prendre un enfant par la main. Enfin, La Langue de chez nous ouvre et clôt tous les sommets de la Francophonie… "
Celui qui a occupé le fauteuil de maire de sa commune durant 25 ans, et a fondé diverses associations humanitaires, comme en Inde, s’attelle désormais avec plus de foi peut-être que d’habitude, à forger ses outils, à créer de la beauté, suivant cette maxime de Confucius, "allumer une chandelle plutôt que de maudire l’obscurité". … La force des chansons, leurs pouvoirs, le chanteur y croit : celle de rassembler. Fleur bleue ou naïf, Yves Duteil ? Il impose sa signature : une espérance solide, tellement à rebours du cynisme généralisé, qu’elle en devient (re)belle…
Yves Duteil Respect (Unicum Music) 2018
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