Juliette, intimes convictions
Juliette joue à saute-mouton et balaye à nouveau un spectre émotionnel large dans son nouvel album J'aime pas la chanson !. Elle met son fidèle piano au-devant, offre beaucoup d'elle-même au sein des thématiques choisies et réorchestre notamment une ancienne chanson coup de poing (Aller sans retour). Rencontre.
RFI Musique : La sculpture sur la pochette d'album, c'est vous ?
Juliette : Les deux boutons pour les lunettes ainsi que le ressort, ça y a tout l'air (rires). La créatrice Sophie Galliot m'a offert cette sculpture à la sortie d'un concert à l'Alhambra. C'est un petit machin de 30 cm de haut quand même et fait à base de matériaux de récupération. Dès que je l'ai vu, je me suis dit que ce serait la pochette du prochain disque. Je n'aime pas les pochettes d'album avec ma photo, je trouve ça réducteur. Je refuse, en tant que Juliette, qu'un album soit quelque chose à ma gloire. Et puis surtout, la photo ça fige une image. Quand les gens écoutent mon disque, je ne suis pas avec eux. Quand ils viennent me voir sur scène, c'est autre chose et d'ailleurs, je n'ai aucun problème à ce qu'il y ait ma tête sur les affiches de concert.
Le titre Procrastination, c'est toujours vous ?
Je suis imbattable là-dessus. Je suis toujours du genre à reporter à demain ce que je peux faire le jour même. J'ai pris trois écrits comme exemple : une lettre d'amour, une chanson et un testament. En dehors de la mort, c'est pour moi le seul sujet universel. L'amour, cela ne l'est pas, car il y a des gens qui n'aiment pas, qui aiment mal, qui ne sont pas aimables ou pas aimés. Dans une vie d'être humain et dans le monde entier - et j'en suis véritablement persuadée - il n'y a personne à qui ce n'est pas arrivé de procrastiner. Quand j'étais gosse, je faisais mes devoirs le dimanche soir pour le lundi matin. Même chose pour mes chansons, c'est quand ma maison de disques me dit que mon album sort à telle date que je calcule pour m'y mettre. Et c'est au dernier moment à chaque fois (rires). C'est rassurant d'une certaine manière la procrastination : c'est la certitude de la survie.
N'est-ce une provocation d'appeler son album J'aime pas la chanson ! ?
C'est une chose que je dis souvent. Les gens me demandent assez régulièrement : "Est-ce que vous aimez la chanson ? Qu'est-ce vous pensez d'elle aujourd'hui ?". Je trouve la question aussi stupide que si on demandait à un écrivain s'il aimait la littérature. Après, un cinéaste d'épouvante n'aime pas forcément les mélos. Il n'aime donc pas tout le cinéma. Moi, c'est pareil : je n'aime pas toute la chanson. D'ailleurs, je n'aime pas toute la chanson à laquelle je participe c'est-à-dire la chanson à texte, un peu écrite, un peu hors temps. Très coquinement, je parle aussi de ça dans la chanson. Je me suis trouvée sur une scène avec Anne Sylvestre et Michèle Bernard et je venais d'écrire la chanson. Je l'ai jouée devant elles au piano et elles se sont bien marrées.
Vous n'aimez pas la chanson, mais vous reprenez C'est ça, l'rugby ! des Frères Jacques...
Je ne suis pas à une contradiction près (rires). Mais ce n'est pas tant à cause des Frères Jacques - sinon j'aurais repris une chanson comme Le p'tit bout de la queue du chat que j'écoutais enfant -, mais du rugby. Je suis une troisième mi-temps de match, moi ! J'en ai fait quelques-unes à Toulouse, une des terres de ce sport. À une époque, ce n'était pas professionnel et c'était top. Cela trimballait de sacrées valeurs, dont la solidarité d'équipe. Dès que je peux, je regarde les matchs.
Pourquoi la dédicataire de la chanson Madame est le Capitaine Marleau, héroïne d'une série diffusée sur France 3 ?
Parce que c'est un personnage de fiction très populaire. Et Corinne Masiero qui l'incarne très bien est hors de toutes injonctions faites aux femmes : elle ne s'habille pas comme une femme, elle ne se comporte pas comme elle. C'est quelqu'un qui brise tous les standards et notamment quand elle s'adresse aux hommes jeunes. Si ça avait été un homme qui parlait comme ça, on serait aujourd'hui horrifié. La manière dont elle se comporte est hyper sexiste. Il y a une inversion des codes. Je suis responsable aussi d'une chanson qui s'intitule L'éternel féminin. Je me suis dit que je n'avais pas fini d'explorer le sujet et que je parlerais bien des femmes qu'on déclare comme "pas féminines". Ça veut dire quoi féminin ? Cela veut dire qu'on doit se maquiller, mettre des talons aiguilles, être fine, s'habiller en jupe, sinon on ne l'est pas ? Vous croyez que la nature a fait en sorte, parce qu'on a plus d'œstrogène que de testostérone, qu'on aime le rose et les talons aiguilles ? J'en vois des gens qui, à la fin de mes concerts, me disent que ça fait du bien de voir autre chose que des filles filiformes ou anorexiques. On peut réussir en étant grosse, avec des lunettes rondes et lesbienne affichée. Et cela même si on me le fait remarquer alors qu'on ne devrait pas officiellement.
Le titre Dans mon piano droit est-il un hommage à votre instrument de prédilection ?
C'est le vecteur entre moi et la musique, un repère physique. Je suis assez perdue sans piano. Je visualise le clavier et j'arrive à chanter comme ça. J'ai été dressée de cette manière (rires). Cette chanson raconte aussi beaucoup de moi. Il y a un côté excessivement religieux dans le vocabulaire de cette chanson sans quand je me rende compte. Ce qui est d'ailleurs très bizarre, car je n'ai aucune éducation religieuse. Je suis issue d'une famille de républicains-mécréants.
Quelle remarque vous agace toujours à votre propos ?
Quand on me dit que ce que je fais est anachronique. Cela fait trente ans qu'on me rebat les oreilles. Si on considère que le rap est né au début des années 70, ça commence aussi à être vieux, ce truc-là. Donc on se calme tout de suite. C'est fatigant de toujours monter les choses les unes contre les autres. Si tu n'es pas dans le mainstream ou dans l'air du temps, tu n'es rien ? Non vraiment, c'est insupportable. Ce que je raconte aujourd'hui, je n'aurais pas pu le faire il y a trente ans. Je suis de mon époque ! Quand il n'y aura plus de courant, on pourra continuer à jouer de la clarinette... Pour la guitare électrique, ce sera plus compliqué (rires). Après, tant qu'on dit que je ne chante pas mal et que je sais écrire, rien n'est grave.
Juliette J'aime pas la chanson ! (Polydor) 2018
Site officiel de Juliette
Page Facebook de Juliette