Dominique A, le fantôme de l’électronique
Face A, l’électronique, face B, l’acoustique. Cette année, Dominique A va faire paraître deux albums qu’on annonce aussi différents que complémentaires. C’est au moment de sortir le premier volet de ce diptyque, Toute latitude, qu’il a mis du sens sur ses sons. Le chanteur, qui a rencontré en route la question des migrants, continue sa quête de beauté dans un onzième album assez sombre.
N’allez surtout pas dire à Dominique A que ses disques traitent d’un thème en particulier, car il pourrait mal le prendre. "Il n’y a aucune question qui baigne un album. Il n’y a que des questions de sons, mais de thèmes, jamais ! Je ne me dis pas : 'Je vais faire un disque sur'... Sinon, j’écris un bouquin. Un disque, c’est un ensemble de morceaux dont les thèmes se dégagent, mais le son précède le sens. Tout part de là !" explique-t-il. Pour le chanteur nantais, l’air du temps se greffe sur les textes et ce sont des résonances qu’il faut entendre.
En plus de vingt-cinq ans de carrière, il a souvent évoqué des horizons lointains, mais dans Toute Latitude, c’est bien du sort des réfugiés dont on parle. Si La clairière raconte l’histoire d’un couple séparé par la guerre, Le reflet laisse imaginer la vie de ces migrants. Quant aux Enfants de la plage... "Pour moi, Les Enfants de la plage, c’est juste des gosses qui jouent. Je suis à la plage, avec ma compagne et mon fils, je les vois et je me dis : ‘Mais qui sont ces enfants ?’ Ils se chamaillent peu, je les mets en scène. C’est comme une scène de film néo-réaliste italien."
Le réel et la fiction
Les chansons ont trouvé plus d’ancrage dans le réel et il s’agit peut-être du "seul changement" profond. Sans décor, elles laissent le champ libre à l’interprétation. À propos de Se décentrer, Dominique Ané poursuit : "C’est une petite réflexion sur l’anthropocentrisme, sur le pourquoi du comment du mal que l’on fait à tout ce qu’on dit être environnant. C’est une autre chanson écologisante, dans la lignée de Rendez-nous la lumière, et une façon de plus explicite parler de la souffrance animale, qui est un thème qui m’obsède."
Chanteur connu des chanteurs, Dominique A aime "musarder" chez les disquaires et les libraires. Celui qui a souvent partagé son enthousiasme pour la new-wave, un auteur méconnu ou la bande dessinée, a puisé son inspiration dans l’art. Tiré du manga de Kazuo Kamimura décrivant un amour qui ne mène nulle part dans un Japon partagé entre la libération des mœurs et le poids écrasant de ses traditions Lorsque nous vivions ensemble est sans aucun doute l’un des moments de grâce de cet album. Ce qui est, ce qui sera…
L’électrique et l’acoustique
Tout est question de cycles dans ces morceaux imaginés à partir de boîtes à rythmes, de claviers et travaillés avec deux batteurs. "Je sortais de Vers les lueurs et Eléor, des disques joués en groupe, avec des instruments plutôt classiques. La production, c’est-à-dire façon de travailler la matière sonore, était assez proche de ce que l’on enregistrait. Alors que l’idée était ici de tout se permettre, de triturer les sons. Je ne pensais pas qu’on allait prendre l’option électronique de cette façon, j’avais surtout une envie de rythmes au départ, que ça bruisse de rythmes", éclaire-t-il.
Plutôt sombre, Toute latitude est parti du littéral La mort d’un oiseau, et il donne l’impression de s’être ensuite rempli de fantômes. Corps de ferme à l’abandon est une sorte de petit film d’épouvante où l’on fuit un lieu hanté. Est-ce le fait de sonorités électroniques minimalistes, évoquant parfois Kid A de Radiohead ? Ou un parler chanté dans lequel le chanteur ne s’était pas aventuré jusqu’ici ? Toujours est-il que ce "spoken word" évoque les débuts du chanteur dans les années 90 au sein du label indépendant Lithium, où il côtoyait le groupe de rock Diabologum.
Premier volet d’un diptyque dont la suite acoustique, La fragilité, arrivera au mois d’octobre, ce onzième album n’a pas entamé la quête de beauté de Dominique A. Le Nantais a fait appel cette fois-ci à l’illustrateur Sébastien Laudenbach pour la pochette et pour une série de quatre clips formant un court-métrage. Toujours suivi par un public de fidèles, adeptes de son savant mélange de chanson française et de rock, il sera à la Philharmonie de Paris les 14 et 15 avril prochains pour deux soirs.
Là-bas, le chanteur devrait donner un concert électrique et un autre, acoustique. D’une rive à l’autre, c’est comme s’il jouait, un soir, dans les théâtres qui l’accueillent, et un autre, dans les salles de rock qui ont fait ce qu’il est. A la croisée des chemins, encore et toujours…
Dominique A Toute latitude (CinqSept / Wagram) 2018
En concert à la Philharmonie de Paris les 14 et 15 avril
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