Les personnages de GiedRé

GiédRé © Jules Lahana

Avec son nouveau disque, GiedRé est les gens, la chanteuse d’origine lituanienne, croustillante blondinette aux airs innocents, se met dans la peau de personnages, tous plus sordides les uns que les autres, du zoophile à l’exhibitionniste en passant par le maniaque des couches culottes. Ce faisant, elle questionne nos rapports à la norme et tâche de comprendre les chemins tortueux des « déviants ». Une fois encore, GiedRé bouscule les limites. Sous son humour corrosif, s’élèvent alors quelques questions. Ecoutons-les.

"Salut, moi c’est Michel/ mais si tu sais, c’lui qui ramasse tes poubelles/ Celui qui sait tout ce que tu caches au fond d’ton sac, des pornos aux revues fachos/ C’est moi qui le vide, ton sac". Dans le corps de GiedRé, Michel l’éboueur s’invente une petite planque. En son nom, elle parle… Et elle aime ça ! "J’avais plaisir à déplacer mon ego. Je laissais de l’espace à Michel : une respiration !", raconte-t-elle à propos de cet éboueur un peu voyeur présent sur son précédent album. Du coup, la chanteuse à l’humour décapant, a décidé d’élargir le processus à tout un spectacle et tout un disque en créant une étonnante galerie de personnages – "en moins ringard que celle d’Elie Semoun !", avertit-elle. Pour leur donner vie, GiedRé a effectué une résidence au Zèbre de Belleville où elle a construit son "constacle" – néologisme mêlant les mots "concert" et "spectacle". Pour chaque personnage ? Un accessoire. Et puis, pour la première fois, GiedRé s’affuble d’un musicien : "Il s’appelle Sandrine et il est formidable", dit-elle.

Des comptines à l’arsenic

Alors, voilà l’œuvre : GiedRé est les gens. Mais, au fait, c’est quoi les "gens" ? "Les gens, c’est nous, les homos sapiens, soit une façon plus triviale pour signifier l’Humanité, plus terre-à-terre, moins grandiloquente. "Humains" sonne comme "élus". Le mot "gens" trifouille plutôt notre côté nul, nos défauts, nos aspects patauds, grotesques, pathétiques…" Dans ses comptines à l’arsenic, la chanteuse donne vie à ce que la société appelle des déviants, des "cas soc’", des déchets, des "maniaques", qui remplissent les pages des faits divers.

Jean-Do, par exemple, croque-mort de son état, viole des morts. Dans La Campagne, déconstruction en règle des cartes-postales bucoliques, le narrateur a des relations sexuelles avec sa vache ; dans Dors Dodo Dors, une mère excédée veut étrangler son nourrisson. On y croise aussi un exhibitionniste, une concierge qui caresse des gamins et une fille ivre violée par 45 personnes à un mariage (Rho ça va). Voici pour les jolies historiettes de GiédRé. Sordides ? "Non", répond la responsable. "C’est sordide parce que c’est notre point de vue, poursuit-elle. Or, celui-ci dépend des époques, de notre classe sociale, de notre pays : tellement de paramètres ! Et ce qui nous paraît sordide aujourd’hui s’avérait normal il y a 60 ans ! Moi, j’essaie de ne pas poser d’échelles, de rester neutre".

"Même les méchants rêvent d’amour"

GiédRé creuse : "Et puis, ok, mes personnages sont sordides, répréhensibles selon nos codes moraux et nos lois… Parce que ce n’est pas sordide de rentrer chez soi en Uber, en passant devant les tentes de réfugiés, à Jaurès, par 0 degré ? Sordides, nous le sommes tous, mais dans des cadres légaux." Elle s’interroge davantage : "Et puis, mes spectateurs qui se marrent comme des baleines quand je chante l’histoire de ce gars qui viole des morts ils ne seraient pas, eux aussi, un peu dégoûtants ?".

Et elle, rigole-t-elle ? "Oh ! Pas vraiment. Parce que rire, ce serait se moquer. Or, j’éprouve beaucoup de tendresse pour mes personnages."  Sur ces déviants, GiédRé s’attarde. Tâche de comprendre. Et déteste, du coup, les faits divers : "Ils possèdent ce côté hyper voyeur en cinq lignes : regardez comme il est trop dégueulasse ! Alors que moi, je veux savoir qui il est. Pourquoi en est-il arrivé là ? Aurait-il pu agir autrement ? J’essaye de comprendre, de me mettre à sa place."

En Marge !

Sur ce disque, se sont aussi imposés ses sujets de prédilection, comme le fétichisme avec ces hommes adultes qui aiment porter des couches culottes et recourent aux services de femmes dominatrices (1m83). Elle explique : "C’est un peu comme dans Les croûtons, où je décrivais les "soupeurs", ces individus qui déposent des croûtons de pain dans les urinoirs publics et reviennent les déguster…  J’aime les petits secrets inavouables des gens : hyper dur de vivre avec, une galère ! Il y a une énorme différence entre le masque social et ce que tu fais derrière ta porte close.  Nous avons une sexualité très codifiée et certains dérangent car ils bousculent les limites" GiédRé aurait-elle pu être les gens qu’elle décrit ? "Bien sûr ! Si j’étais née dans un autre contexte, si j’avais grandi avec d’autres valeurs !"

Pessimiste ou optimiste, GiédRé ? "Mon réalisme me fait pencher du côté du pessimisme. Mais si je l’étais vraiment, je ne ferais pas de chansons. Je pense simplement, que nous pouvons être tellement mieux que ce que nous sommes" Pour commencer, la chanteuse n’achète plus de trucs fabriqués en Chine, et ne boit plus de coca. Et puis, en écho ou à rebours du président Macron, elle rêve de lancer ce mouvement, qui ressemblerait à ses créations. GiédRé, tout naturellement, se rêve à la tête du courant "En Marge !" Et si l’on adhérait ?

GiedRé GiedRé est les gens (Le Rat des Villes) 2018
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