Barbara Carlotti, la science des rêves
Pour son cinquième album, Magnétique, Barbara Carlotti, seule aux commandes, explore le rêve et invente une musique hybride, entre pop française sixties et psychédélisme synthétique. Une sorte d'"onirisme en blouse blanche" chargé d’audaces, très éloigné des canons de la pop française d’aujourd’hui. Interview.
RFI musique : Comment avez-vous occupé ces six années passées entre L’Amour l’argent le vent, votre précédent album, et Magnétique ?
Barbara Carlotti : J’ai pris plusieurs chemins de traverse pendant cette période. Il y a d’abord eu La Fille avec le dessinateur Christophe Blain (une bande dessinée musicale mise en musique par la chanteuse ndlr) en 2014. Je me suis également consacrée pendant deux années à mon émission, "Cosmic Fantaisie", sur France Inter. J’ai eu une sorte de burn out à ce moment-là. En parallèle, mon label a fermé, et j’ai dû réapprendre à travailler seule alors que j’étais entourée depuis 15 ans. Je n’avais plus cette habitude-là. Il m’a donc fallu 4 ans pour concevoir ce nouvel album.
Comme chacun de vos albums, Magnétique est construit autour d’un thème central fort. Cette fois, c’est le rêve. Comment a-t-il surgi ?
J’ai animé une émission de radio, “Planète Rêve”, dans laquelle j’ai passé un titre de Kevin Ayers, The Confessions of doctor Dream. Quelque chose d’assez fou, ténébreux et lumineux. Cela m’a donné l’impulsion. Je m’intéresse au rêve depuis longtemps. J’avais un cauchemar qui me hantait, et me suis rendu compte que j’avais consigné tous mes rêves dans des carnets sans jamais rien faire de toute cette matière. Et puis en parallèle, il y a eu la lecture de cet article consacré à Van Vogt, un auteur de science-fiction canadien. Il y expliquait qu’il se réveillait toutes les 90 minutes pour écrire ce dont il rêvait pendant le sommeil paradoxal. Je me suis donc mis en quête d’adopter le point de vue de la personne qui rêve, en m’enfermant un mois, seule dans une maison, et en notant systématiquement tous mes rêves. J’ai travaillé avec ce matériau qui me traversait, qui vivait en moi.
D’où vient le titre de votre album, Magnétique ?
Le magnétisme, c’est pour moi le mot qui symbolise le rêve. À mon adolescence, j’ai adoré Les Champs Magnétiques de Breton et Soupault. Une source d’inspiration majeure pour mon émission sur France Culture, "Le Laboratoire Onirique". J’ai rencontré des chercheurs de l’INSERM qui s’intéressaient au rêve. L’un d’entre eux, spécialiste de magnétoencéphalographie, m’a beaucoup aidé. J’ai appris que l’homme est entouré d’un champ magnétique tout au long de son existence, et que le cerveau émet des ondes beaucoup plus puissantes lors du rêve. Magnétique, ce sont aussi ces ondes qui nous assaillent dans notre vie quotidienne et nous empêchent de trouver le sommeil. Il y a une lutte entre le monde intérieur et le monde extérieur.
Votre émission, "Cosmic Fantaisie", mettait beaucoup en lumière la pop psychédélique. Une orientation très marquée sur ce disque.
Oui mais c’est un psychédélisme froid. Je suis autant marquée par le psychédélisme que par la new wave. C’est quelque chose que je partage avec Benoit de Villeneuve, avec qui j’ai arrangé le disque. Il a rajouté beaucoup de synthés modulaires de la fin des années 70. Cela crée un côté psyché en "blouse blanche" proche parfois de Kraftwerk, comme sur le titre Paradise Beach.
Vous semblez avoir abandonné la sensualité et le caractère autobiographique des précédents albums pour une approche plus insaisissable, presque ésotérique.
Je crois que c’est de l’ordre de la vision : embrasser à la fois un savoir scientifique et quelque chose de très intime. Quand j’ai fait l’émission "Cosmic Fantaisie", j’avais cette volonté de relier notre activité intime (la musique, la création) avec le cosmos. Je crois que les deux mondes sont reliés par des fils invisibles.
Votre démarche, très libre et personnelle sur ce disque, vous y a peut-être aidé ?
Oui, sans doute. Quelque part, c’est une chance de ne pas avoir trouvé de maison de disque pendant tout ce temps. J’ai pu faire les choses exactement comme je le voulais. Je n’ai jamais autant travaillé sur la musique, les maquettes. Même si Benoît de Villeneuve et Bertrand Burgalat m’ont aidé sur les arrangements et la conception du disque, j’ai beaucoup repris, élagué, modifié les textes, seule. J’ai aussi appris à diriger une section rythmique, ce qui était très nouveau pour moi. J’avais choisi AS Dragon, un groupe que j’admire depuis longtemps. Ils ont cette sonorité, cette approche sixties que j’affectionne particulièrement.
C’est la première fois que je prends tout en charge sur mon album, alors qu’auparavant je faisais davantage confiance aux autres qu’à moi-même. Et j’ai eu la chance de travailler avec un réalisateur, Benoît, qui respectait mes choix. On m’a beaucoup brimé dans le passé, je me sens plus libre désormais.
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Barbara Carlotti, Magnétique (Elektra) 2018