Au Japon, la nouvelle génération de chanteurs français
Au Japon, quand on parle de chanson française, il y a bien sûr les grandes vedettes toujours évoquées, de Juliette Gréco à Charles Aznavour, en passant par Sylvie Vartan. Mais aujourd’hui, une nouvelle génération de chanteurs français tente sa chance au pays du Soleil levant, y compris des figures inconnues en France mais qui représentent à merveille une certaine "French touch".
Le nom de la chanteuse Clémentine revient sur toutes les lèvres des interlocuteurs croisés. Inconnue en France, adorée là-bas, elle a vendu plus de deux millions d’albums depuis le début de sa carrière, il y a maintenant vingt-deux ans. Son secret ? Chanter en français des chansons formatées pour un public japonais : romantique, avec des airs de bossa et une voix douce et sucrée.
Cet immense succès, elle le doit à sa productrice : Loumi Kawai. Parfaitement francophile, elle a vécu près de dix ans à Paris et à son retour au Japon, elle a inventé ce personnage calibré parfaitement pour le public japonais. Pari gagné ! Pourtant, ce marché est très opaque. Même Beyoncé ne vend que 10 000 disques là-bas.
"90% est détenu par le marché domestique, nous raconte Loumi Kawai dans son bureau de Tokyo. Avec ces fameux boys band de pop japonaise, produits tout fait, marketés au possible, qui rendent folles les adolescentes japonaises. Difficile de passer derrière avec la musique française qui est souvent associée ici à celle qu’écoutaient les grands-parents, hyper populaire, oui, mais perçue comme d’un autre temps".
Albin de la Simone, tellement français
La preuve est que même le Bureau Export français a fermé ses portes l’année dernière. Pourtant, Loumi Kawai ne se désespère pas. Bien au contraire… Si Albin de la Simone a sorti son disque là-bas à l’automne dernier, c’est grâce à elle ! "Il est tellement français, avec ses très belles chansons aux paroles compréhensibles pour les Japonais, il est si kawaï (mignon) et en plus il parle japonais ! cela ne peut que plaire aux Japonaises", nous explique la productrice.
En effet, à force de venir au Japon et amoureux de ce pays, Albin peut aujourd’hui parsemer son tour de chant de quelques mots en japonais… Venu à deux reprises en 2016 pour les siestes acoustiques de Bastien Lallemant, Loumi a retrouvé à cette occasion le chanteur qu’elle avait fait venir en 2002 pour accompagner Clémentine (encore !) et Mathieu Boogaerts qui remportait alors un certain succès là-bas.
Sans le savoir, Loumi offrait alors à Albin de la Simone sa toute première scène. Quinze ans plus tard, Loumi Kawaï, accompagnée de Yasuko Fujimori, s’occupent absolument de tout : la sortie du disque sur son propre label, la promotion, le logement de l’artiste (dans son bureau vers Omotesando en plein cœur de la capitale où une chambre est réservée pour les artistes) à l’organisation des concerts.
Grâce à l’appui de l’Institut français et notamment de Nourredine EssaIdi, elle a lancé les concerts "tandem", un concert et deux artistes ! Albin a partagé la scène avec Yu Sakaï, une grande vedette japonaise. À charge de revanche en France où le chanteur japonais doit venir chanter dans quelques mois. L’année dernière, Les Innocents et Jil Caplan se sont essayé avec bonheur au même exercice. Pour Juliette Armanet, attendue en ce mois d’avril, c’est un peu différent. Elle a participé au Gala de la Chambre de Commerce, qui chaque année, organise un prestigieux concert dans une grande salle de Tokyo. Alex Beaupain, Camélia Jordana et Brigitte y ont déjà participé, comme Julien Doré venu pour la première fois en 2010 (avec Sylvie Vartan !)
De Julien Doré à Jane Birkin
Depuis ce premier voyage, le chanteur français ne souhaitait qu’une seule chose : revenir au Japon ! Il n’y a qu’une seule règle dans ce pays pour faire carrière : la persévérance. Les Japonais sont très attentifs et particulièrement sensibles à la fidélité. Julien Doré vient régulièrement et donne des concerts qu’il parsème de quelques mots de japonais. Quand il est revenu en France, il a même enregistré une version japonaise de la Javanaise pour le seul public français, pour le moment.
Tété l’a éprouvé aussi et cela a fini par payer ! En novembre 2013, le chanteur est parti là-bas pour une tournée acoustique de 6 dates et en a profité pour réaliser un documentaire diffusé dans quelques salles dans le pays. Il est ensuite revenu en 2015, en 2016 et a réussi à fédérer un public fidèle.
Comme Zaz devenue en 2014 avec son disque de reprises Paris, la réincarnation d’Édith Piaf, avec cette gouaille purement française et cette voix si particulière et très appréciée là-bas. D’autres artistes comme Claire Elzière, du label Saravah en France et produite au Japon par Respect Records fondé par Kenichi Takahashi, remporte un vrai succès aussi en reprenant des chansons de Barbara, Pierre Louki, Serge Gainsbourg, Léo Ferré…Depuis dix ans, Claire Elzière a tourné dans tout le Japon et s’apprête à repartir sur la route en juin prochain.
Toujours nostalgique de cette époque bénie des années 60, Jane Birkin bénéficie d’une aura particulière surtout depuis qu’elle collabore avec Nobuyuki Nakajima, arrangeur notamment de son dernier disque Gainsbourg Symphonique. En août 2017, elle a rempli la salle du Bunkamura, en plein cœur de Shibuya à Tokyo, de plus de 3000 places et sa présence fut relayée par une presse importante.
Comme ses filles, Lou Doillon et Charlotte Gainsbourg, Jane Birkin représente une certaine image de la Parisienne. Si les Japonais ont adoré nos chansons, ils continuent à vénérer notre mode. La marque franco-japonaise Kitsuné l’a bien compris en lançant une ligne de vêtements et en sortant quelques compilations de musique électro choisie avec soin et diffusée dans leurs magasins.
Underground et modernité à la japonaise
Mais, ce pays est aussi un pays mystérieux et parfois insondable pour les étrangers … Il y a par exemple un groupe, les Pascal’s, fan des chansons du musicien français Pascal Comelade. À l’instar de leur idole, ils jouent de la musique avec toutes sortes d’instruments qu’ils dénichent un peu partout. Le résultat est surprenant, tout à fait décalé et absolument formidable.
Il faut dire que la scène underground japonaise est très vivante et inventive. Dans les bars de Golden Gaï, quartier noctambule de Tokyo, on peut notamment croiser Baguette Bardot qui reprend les chansons de son idole et d’autres vedettes françaises avec des baguettes au bout des doigts. Particulier mais si "frenchie" … pour les Japonais !
Carton plein depuis plusieurs années et nombre de musiciens français ont aujourd’hui acquis un écho important grâce à ces disques : Yelle, Cascadeur, Housse de Racket, Lescop, Fauve et Superpoze peuvent leur dire merci ! De leur côté, Les groupes Justice et Phoenix remplissent les stades, ils ont remplacé "les chanteurs romantiques et intellectuels" dans le cœur des Japonais.
Grâce à leur tourneur, Creative Man et des festivals d’été comme Summer Sonic, les petits "Frenchies" cartonnent et remplissent les salles et les stades. Même si la véritable star française reste David Guetta. Il a réussi à rassembler 12 000 japonais lors de son concert à Tokyo (et 8 000 à Osaka) durant l’été 2016. Du jamais vu ! La "French Touch" a encore de belles heures devant elle…