Hubert Lenoir, tout ce qui brille

"Darlène", le premier album du Québécois Hubert Lenoir. © Noémie D. Leclerc

Hubert Lenoir, look androgyne et véritable bête de scène est le nouveau phénomène en provenance du Québec. À coups de provocations, d'exaltations culottées et de chansons aussi hybrides qu'excitantes, le chanteur de 24 ans s'apprête à partir à l'assaut de la France. Et on lui prédit une conquête radieuse.

D'abord, rembobiner le film. Juin dernier, Francofolies de Montréal. Aussitôt débarqué dans la ville lumière, la rumeur est galopante : un nom s'imprime sur toutes les lèvres. On nous martèle qu'il est la sensation du moment, qu'il a une personnalité hors du commun, que la direction du festival a été dans l'obligation de changer de salle tant la demande était importante.

Qui est donc ce Hubert Lenoir qui affole le Québec ? Notre curiosité est donc secouée. Sauf que même les journalistes doivent lutter pour décrocher le fameux sésame d'entrée. On finit par y parvenir. Direction le Club Soda où Angèle, autre phénomène, lance les "hostilités" de la soirée. Quand Hubert Lenoir prend à son tour possession de la scène, on découvre un garçon taillé comme Prince, visage androgyne, maquillage prononcé.

Agile, affranchi, monté sur ressorts. Des postures sexuelles en guise de révérence. Le premier morceau - la bombe radiophonique Fille de personne II n'est pas encore arrivé à son terme qu'on a vite compris que Hubert Lenoir est une tornade, avec un charisme aussi criant qu'extensible et un goût certain pour l'exhibitionnisme.

Il dévoile tour à tour le tatouage inspiré (une fleur de lys qui éjacule) de sa cuisse droite, chante torse nu, escalade à bout de bras la rampe du premier étage, vogue tranquillement dans la mer de bras tendus. Et surtout, il délivre de fringantes chansons entre les extravagances du glam-rock, l'improvisation du jazz et l'efficacité redoutable de la power pop.

Six mois plus tard, la déferlante Hubert Lenoir continue de s'abattre. La ferveur publique et médiatique pétaradante le propulse au rang de phénomène. Des scandales, des polémiques, des célébrations. Parce qu'entre-temps, l'enfant du désordre a déjà récolté une moisson impressionnante de distinctions : le prix Félix-Leclerc, quatre Félix lors de l'Adisq (chanson, révélation, album pop, choix de la critique), une nomination au prestigieux prix Polaris (le seul des finalistes à chanter en langue française) ...

Une folle ascension

Cet après-midi-là de janvier, on le rencontre dans un bar du XIe arrondissement à Paris. Ses yeux sont soulignés d'un trait de khôl noir. Carte à la main, il nous interroge : "C'est quoi un diabolo ?". Est-ce la sonorité voisine avec le mot diable qui l'attire ? "Cela m'intrigue, c'est vrai". Concernant sa folle ascension, il admet n'avoir pas encore le recul nécessaire pour pouvoir l'analyser. "Tu ne peux aucunement t'attendre à ça. Au départ, avec ce projet-là, je n'étais même pas censé faire des spectacles. Je ne pensais pas que cela puisse être rentable. C'est quelqu'un qui m'a convaincu de faire des concerts".

Ce projet, c'est donc Darlène, qualifié par l'intéressé d'"opéra post-moderne" et publié concomitamment à la sortie du livre - du même nom - de sa petite-amie-manageuse Noémie D. Leclerc. Les deux objets parlent d'émancipation, d'amour et de quête d'identité. "J'étais dans une période où je n'avais rien devant de moi. Je n'avais pas d'argent, je vivais chez mes parents et, alors que j'avais déjà des idées de chansons, je suis reparti à zéro. J'écoutais deux heures de musique par jour, de la Motown, de la soul, du jazz. Puis je me mettais à écrire. Avec Noémie, on s'est rendu compte à un moment qu'on racontait la même chose. On était devant la même étape de notre vie".

Hubert Chiasson, son véritable nom au civil, a grandi à Beauport, en banlieue de Québec. Pendant son adolescence, il pratique le ski acrobatique freestyle à haut niveau. Termine second du Canada dans sa catégorie d'âge. "À la maison, mes parents n'écoutaient pas de musique. J'ai tout découvert par moi-même et curiosité".

Autodidacte, il rejoint à dix-sept ans The Seasons, formation créée par son frère Julien et qui a assuré les premières parties de Louise Attaque en France il y a deux ans. Formation qui a dégainé, à la surprise générale, un nouvel album en novembre dernier. "On l'a enregistré avant que je fasse Darlène. Je ne vais pas poursuivre. De toute façon, je ne suis pas fait pour être dans un groupe. Les compromis, ce n'est pas trop ma tasse de thé".

La liberté d'être soi-même

Tout chez lui dit l'absence de frontières, la croyance en l'hybridité, l'attraction et la friction des contraires, les changements d'état d'esprit et la liberté d'être soi-même. Il affirme s'être forgé sa culture musicale grâce aux plates-formes sur le net.

Il affirme aussi ne pas être touché par les saillies haineuses et les commentaires homophobes qui sont vite apparus au moment de sa consécration. "J'ai toujours été efféminé du visage et j'ai toujours eu une attirance pour le maquillage et les vêtements féminins. Les médias veulent que je prenne position contre les intimidations. Cet aspect-là me fait un peu chier, je ne veux être le mec qui va à la télévision pour être porte-parole. Tout le monde fait ça constamment et, au final, il n'y a rien qui change. Quand je reçois des messages de jeunes qui me disent que je leur ai donné le courage de s'assumer, ça me suffit".

Provocateur Hubert Lenoir, capable sur scène de toutes les cabrioles et audaces ? "J'ai répondu oui un jour à la question, mais je me rétracte. Je fais les choses sans réfléchir, je suis mon instinct. Je sais que certains vont dire que c'est calculé ou que ça provient d'une démarche marketing. Pour moi, tout est permis sur une scène tant que ce n'est pas criminel".

Lorsqu'il reçoit son ultime Félix à l'Adisq, le trublion s'est emparé du trophée pour l'enfoncer dans sa gorge. Mime d'une fellation ou posture à se faire vomir, peu importe. Le geste est décrié et les débats s'enflamment. "Je ne pensais pas gagner autant de récompenses dans la même soirée. Et comme à la fin, je ne savais plus quoi dire, j'ai fait ça". Électrique toujours, à sa façon. Libre, bien sûr, follement libre.  

Hubert Lenoir Darlène (Simone Records) 2019
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