Bazbaz : love attitude
Avec son neuvième disque, le poète Camille Bazbaz poursuit le fil de son thème de prédilection – l’amour. Cet album se démarque surtout par sa décontraction sur cadences reggae et sa cool attitude. Rencontre.
"Je suis un créatif de nature, échoué sur cette planète : en état d’alerte permanent. Tout m’inspire, un rien m’appelle. Chaque seconde, je me sens prêt à capter une idée, à la perdre, à la noter. Je me sers de la vie. Je recycle. Mes inspirations surgissent en faisant le chat de gouttière. Pas en restant assis sur mon cul. Je vais toujours voir ailleurs si j’y suis, en jouant le traînard." : ainsi parle le poète Camille Bazbaz, au sujet de son processus créatif. Manu Militari, son neuvième disque, sonne ainsi : une balade le nez à l’air, une ode printanière, une flânerie musicale sur boucles reggae, un pied de nez pour se jouer de la gravité, une récréation sérieuse. Comme d’habitude, le chanteur aux mots qui chaloupent et tanguent, explore, au fil de ses chemins de traverse, son sujet de prédilection : l’amour sous toutes ses coutures. Qu’il soit adultère, solitaire, malheureux, fougueux, Camille, en amoureux professionnel, le chante et le réenchante. "C’est le sujet qui me touche le plus. Je ne dis pas que je n’ai pas de problèmes de fric ou de violence, que je n’ai pas d’avis politique ni d’engagements. Mais je trouve que l’amour reste le plus beau sujet à chanter. Au final, je raconte la vie d’un mec qui se galère avec ses sentiments.", dit-il.
Pour ce bouquet de chansons, Bazbaz s’est choisi pour titre une expression militaire, Manu Militari. "J’avais envie de détourner ces mots guerriers, policiers, de les déplacer pour exiger d’urgence, le bonheur, l’amour, une caresse, un baiser. C’est ce qu’il manque le plus dans la société en général et, je l’avoue, dans ma vie en particulier, exprime Camille. Tu sais, je ne suis pas très engagé, mais au final, consacrer un disque entier à l’amour, et crier sur les toits son envie de douceur, c’est déjà un acte politique, voire subversif. En fait, l’amour, c’est peut-être l’un des seuls domaines qui échappe aux lois et aux marchandises. Il n’y a pas de règles, ça relève du mystère."
Costards sur-mesure
Aux côtés de son thème favori, quelques titres racontent d’autres facettes de lui-même, comme No Limit qui, avoue-t-il, dépeint son côté rock’n’roll. Le disque prend des allures autobiographiques et sied comme un gant à Bazbaz. Pourtant, une fois n’est pas coutume, sa réalisation a été, en majeure partie, confiée à d’autres. Ainsi, Feed a-t-il écrit la musique, et Chet, un pote de Feed, fan de Camille, les textes. Le chanteur rigole : "J’étais l’inspecteur des travaux finis. J’exagère. Mais bon, j’ai déjà écrit tout seul 250 chansons… Alors, à un moment donné, j’en avais plein le cul. Et puis, j’avais déjà beaucoup de boulot sur le film En Liberté ! de Pierre Salvadori, dont je composais la BO. Bref, c’était chouette que les copains turbinent un peu. Ils m’envoyaient 75% des chansons. Ensuite, je tripotais des phrases, des harmonies, des accords, je peaufinais des trucs, pour qu’elles me collent au corps. Les deux m’ont taillé de beaux costards sur-mesure." Camille l’assume : ce mode opérationnel lui a permis davantage de décontraction, une mise à distance salutaire, un disque sans les affres douloureuses de la création. Du coup, chaque piste laisse entrer la lumière, et la cool attitude. Il l’affirme : "Je voulais un disque léger sans qu’il soit cucul la praline, quelque chose de joyeux sans danser la chenille. Je traquais un sourire plus qu’un fou rire."
Trouver sa place dans le monde
Surtout, ce sourire et ces hanches qui se balancent nonchalamment s’expliquent par la musique forgée par Feed et Camille : du reggae bien cadencé, des digressions disco, du funk groovy, un grain de soul. Au quotidien, Bazbaz s’abreuve à tous les sons. Chaque matin, à Troyes, où il réside, il descend avec son café dans le petit magasin de vinyles en bas de chez lui, pour se dégourdir les oreilles. "J’écoute de tout, je ne retiens jamais les noms, dit-il. Des trucs électros super chelous, des morceaux hip-hop des années 1980, façon Grandmaster Flash à écouter sur des Ghetto Blasters, bref, tout un tas de sons qui me plaisent, que je range aléatoirement dans mon juke-box interne, sans plus jamais les remettre chez moi, sur ma platine." Bazbaz l’assume : il n’écoute jamais de chansons françaises. Et pourtant, jamais il n’abandonnera la langue de Molière, sa maternelle, celle qui le définit. Du coup, il l’adapte à son groove, choisit des mots qui swinguent, fonctionne en jeux de mots, en aphorismes, en punchlines, en poésie minimaliste hyper efficace.
Son disque pourrait fonctionner comme une autopsychanalyse. "La musique me permet de trouver ma place dans le monde", dit-il. Ainsi parle-t-il de chaque opus : "En créant un album, tu grandis, tu rapetisses, tu changes". Après il tourne la page. Vite, la suite ! "Mon meilleur album, c’est toujours le prochain", conclut-il en se marrant.
Bazbaz Manu Militari (22D Music) 2019
En concert le 4 avril à la Maroquinerie à Paris