Clarika, intimes convictions
La chanteuse, toujours aussi à l'aise dans son art de passer de la légèreté à la gravité, n'a rien perdu de son acuité et de son inventivité. Son huitième album À la lisière réalisé par le non moins inspiré Florent Marchet, est un très grand cru. Presque désormais une habitude avec elle.
RFI Musique : Votre précédent album De quoi faire battre mon cœur a été encensé par la presse. Ça met la pression pour aborder l'étape suivante ?
Clarika : Je l'ai à chaque fois. Mais De quoi faire battre mon cœur était très personnel, j'avais beaucoup puisé au fond de mes émotions. Et de voir qu'il résonne de manière aussi particulière chez les gens, ça met un peu à la pression. C'est quand même mon huitième album. Si je n'avais pas ce bagage ou cette expérience derrière moi, peut-être que cela m'aurait paralysé. Je ne me suis pas trop posé de questions. J'avance, je fais mon petit bout de chemin. Je remarque que chaque disque est le miroir de mes envies du moment, de mes inspirations et des choses que je traverse. Je ne suis pas quelqu'un qui applique des recettes.
Vous vous considérez À la lisière de quoi ?
C'était une belle transition, je trouve, entre les deux albums. On se retrouve avec un vécu et un demain à vivre. Donc, on est au milieu avec un peu le vertige de ce qu'on a laissé et de ce qu'on va s'apprêter à voir venir. L'horizon nous attend. C'est une réflexion par rapport à ma vie et non pas à ma carrière. De toute façon, je me vois chanter vieille (rires). Pour cette chanson, j'ai demandé à Florent Marchet d'écrire une longue plage instrumentale en ouverture. Elle est écrite comme une entité, mais Florent a saisi intelligemment le texte et il a découpé le tout musicalement en trois ambiances.
Le disque oscille entre envolées lyriques et une pop accrocheuse…
On a discuté avec Florent avant de travailler sur l'album. J'avais très envie effectivement d'orchestrations un peu chiadées, de cordes, de raconter des choses avec la musique dans les sous-textes. Il y a ces morceaux-là que Florent a réalisés seul et d'autres, plus pop, en travail d'équipe avec François Poggio, comme Le désamour, La belle vie (Tout tout de suite) ou Même pas peur.
Pourquoi retrouver Florent Marchet, dix ans après Moi en mieux ?
On avait fait un très bel album, j'avais adoré travailler avec lui. Sur Moi en mieux, il avait co-réalisé avec Jean-Jacques Nyssen. Au départ, j'avais deux-trois textes et j'avais envie qu'il compose un ou deux morceaux, mais je ne savais pas trop où aller. Il a embarqué mes textes, il m'a très vite renvoyé des musiques et cela m'a immédiatement plu. Je lui ai demandé ensuite qu'on fasse le disque ensemble. J'aime l'auteur - d'ailleurs il m'a aussi écrit le texte de L'azur -, le musicien et le réalisateur. Il a une très grande culture musicale et se montre à la fois percutant et réactif en studio.
Pierre Lapointe pour le duo de Venise, c'était une évidence ?
Je ne l'avais pas écrite pour un duo à la base. Mais puisque j'aime au moins en avoir un dans mes albums, cette chanson-là s'est imposée. Avec Florent, on était partis sur quelques noms et le premier, c'était Pierre. On aimait tous les deux son travail, sa sensibilité et créativité. C'est une ville que j'adore en soi, mais il y a la mauvaise foi de quelqu'un qui sait qu'elle n'ira pas avec son ex-amoureux. Venise, c'est le cliché de la ville des amoureux. Un symbole qu'on n'aura pas fait.
On retrouve aussi ici votre attrait pour les portraits...
Je voulais qu'ils occupent à nouveau une bonne place. Hormis Le Lutétia, il n'y en avait pas dans le précédent. Je suis ravie que Jean-Jacques ait écrit L'astronaute et je sais que cette chanson va faire son petit effet sur scène. Il fait partie de mon ADN musical. Dès que j'ai mes premiers textes ou mes premières chansons, je le sollicite. Son avis compte, il écrit des chansons atypiques, en tout cas, des chansons dont je n'aurais pas eu l'idée. Il a une patte, une couleur qui lui est propre et il arrive encore à me surprendre. Par exemple, l'angle qu'il a choisi pour Je suis ton homme est un exercice de style audacieux.
Qu'est-ce qui vous a poussé à donner vie à l’héroïne de tableau de Vermeer, La dentellière ?
Je ne passe pas ma vie dans les musées, mais ce tableau-là est assez légendaire. L'idée était surtout ludique. Ce sont en quelque sorte des personnages qui voient passer la vie. Le tableau est au Musée du Louvre, un peu figé. Et cela m'amusait de faire quelque chose d'un peu inversé, donc de vivant. La nuit, elle va même faire des petites folies de son corps avec La Joconde (rires).
Le désamour, c'est le sentiment logique qui suit une rupture ?
Elle fait écho aussi à La lisière. Je me questionne sur l'amitié, je parle d'amour à l'imparfait. Cela reste de l'amour, même si c'est différent, et je n'ai pas envie que ça disparaisse. Je ne dis pas de couper les ponts, mais je n'envisage pas une amitié au sens littéral du terme. On m'a dit que je ne croyais pas à l'amitié entre un homme et une femme, ça n'a rien à voir, mais lorsque tu as vraiment aimé quelqu'un, c'est compliqué de devenir pote par la suite.
Clarika À la lisière (At(H)ome) 2019