Bertrand Belin, Persona grata

Le chanteur, guitariste et écrivain breton, Bertrand Belin. © Bastien Burger

Le dandy-chanteur, encensé par la critique, continue d'élargir la taille d'un fan-club longtemps confidentiel avec son sixième album Persona. Un propos social et politique à travers les invisibles de la société et une voix toujours aussi identifiable. Il joue pour la première fois ce soir à l'Olympia.

RFI Musique : Peut-on parler de ce nouvel album Persona, comme celui de la reconnaissance ?
Bertrand Belin :
Je remarque bien que les gens autour de moi ont l'air de dire cela et qu'il y a un enthousiasme manifeste. Je le vois dans les salles de concert aussi, bien sûr. L'intérêt est plus visible. Pour n'importe quel artiste, trouver des interlocuteurs à l'autre bout, c'est important.

Avez-vous conscience de cette adhésion plus prégnante ?
Je ne sais pas trop mesurer, je ne m'y intéresse pas directement. Envers et contre tout, je continuerai à faire ce que j'aime, de la manière dont je veux faire. Et en dépit du fait que le succès populaire ne soit pas au rendez-vous. Il y a aussi des disques, allons savoir pourquoi, qui intéressent davantage le public que d'autres. Avec le précédent (Cap Waller, ndlr), on a quand même fait cent quarante dates. Donc cela a quand même créé une attente. Ce n'est pas une fédération spontanée non plus, il y a toute une histoire derrière.

Sur scène, vos interventions entre les chansons font des ravages ! Est-ce spontané ou écrit ?
J'ai toujours eu besoin de parler au public entre les chansons. Ce sont des choses qui se sédimentent au fur et à mesure des improvisations sur scène, qui sont dans mon langage et qui peuvent survenir le cas échéant à tout moment. Ce ne sont pas des mots que j'ai écrits, par ailleurs, sur du papier. C'est plus une accumulation d'instants, d'expériences, de tentatives de communiquer avec le public.

Un album, des concerts, un roman Grands carnivores et une bande originale de film Ma vie avec James Dean. Êtes-vous hyperactif ?
Non, c'est tout simplement ma vie. Je ne trouve pas que je sois hyperactif, je pourrais en faire plus. J'aime la musique, j'aime écrire, j'aime danser. Et puis j'aime la fraternité et les découvertes avec les autres métiers, la danse, le cinéma. C'est pourquoi je vais flirter un peu à droite à gauche pour voir comment les gens racontent leurs propres histoires. Quand on est artiste, on consacre tout son temps à ça, c'est normal que je m'y applique.

Votre écriture est-elle instinctive ?
Ce n'est pas de l'écriture automatique. Je n'écris pas comme on ouvre un robinet (rires). C'est une écriture qui fait appel, le plus possible, à ce qui est de l'ordre de l'émotion, la sensation. Au moment de mettre en forme les choses, je ne laisse rien au hasard, c'est très architecturé.

Une architecture singulière à base d'ellipses, de répétitions...
C'est ce qui compte le plus d'avoir son propre langage, de trouver sa voie. Si c'est pour faire comme le voisin, ça n'a aucun intérêt. Il faut multiplier les points de vue sur le monde. Et multiplier les points de vue sur le monde, c'est aussi multiplier les points d'observation et les points d'intention de départ. C'est essentiel d'avoir un style reconnaissable même si ce n'est pas quelque chose auquel on s'emploie dès le début. Ça arrive ou ça n'arrive pas, mais, en tout cas, c'est aussi le résultat d'un travail.

Vos points de vue souvent maritimes ou qui embrassaient les éléments naturels se sont-ils déplacés vers l'urbanité ?
On peut dire ça, c'est vrai, d'une manière plus générale. Mais sur les deux derniers disques, on avait affaire, par exemple, à quelques galériens de la vie qui dorment dans des halls de banque. Ce disque-là, il semblerait qu'il soit perçu comme plus urbain et il doit l'être assurément. Ce n'est pas une chose que je contrôle.

Et votre penchant pour les antihéros et les invisibles ?
C'était déjà le cas auparavant. Ça reflète l'accroissement permanent de misère qu'on voit autour de nous quand on habite en ville. Les gens ont du mal à vivre leur propre santé, leur propre survie biologique, mais aussi ils ont du mal à vivre les relations avec les autres. On peut exister au milieu de la ville en étant complètement banni de la société. Je ne choisis pas de parler de ça dans mes chansons, c'est une chose qui s'invite au premier plan de mes préoccupations et de ma sensibilité. Cela ne me donne pas envie d'écrire sur les cocktails et hamacs aux Bahamas. Il y a des gens pour s'occuper de la frivolité et de la légèreté du merveilleux du monde. Sur cet album, je me suis attelé sans le vouloir à des choses qui fâchent un peu plus.

Cette idée de hiérarchie sociale est-elle marquée par votre enfance ?
C'est tout à fait conscient effectivement, je suis très sensible à ces questions. Ce pourquoi en tant qu'artiste je transporte ces matériaux dans ma pratique, ça, ce n'est pas un choix. Parce que j'ai moi-même vécu dans une famille qui était montrée du doigt. Parce que j'ai volé pour manger quand j'étais petit. Parce que je sais ce que c'est la galère. Donc je suis sensible aux destins brisés. Je pense que c'est tout près de chacun d'entre nous. Je le sens, je le sais, c'est une partie de mon intérieur.

Le déclassement, c'est une inquiétude générale ?
Il y a des gens qui n'y pensent pas et se sentent à l'abri de ça. Et puis tant mieux, d'ailleurs, parce qu'on ne peut pas vivre dans la menace permanente d'un déclassement. Certains ont un coussin financier suffisamment ample et rebondissant pour être à l'abri de tout péril de ce point de vue là. Ce qui ne signifie pas à l'abri du malheur, car celui-ci n'a rien à voir avec les classes sociales. En revanche, je pense qu'il y a beaucoup de gens qui se demandent en ce moment quand ils vont être virés de chez eux. On ne parle pas de dix personnes, mais de milliers. Vous avez vu le prix des loyers ? Ça devient invraisemblable de se loger, c'est les deux tiers du salaire des gens qui partent dans les fonctions de base de la vie quotidienne. Il y aura de plus en plus de gens dans la rue, c'est certain.

Vous regardez la rue. Et vous-même ?
J'essaye de me faire un peu disparaître, je veux réapparaître un peu sur scène. Mais dans les chansons elles-mêmes, j'emploie un "je" qui n'est pas vraiment moi, mais qui est plutôt l'idée que je me fais de ce qu'on a en commun.

Pourquoi cette volonté de ne pas identifier vos personnages ?
Les corps et les silhouettes de mes chansons sont surtout des personnes qui sont décrites par leurs actes, leur action ou la situation dans laquelle ils sont. Après, à chacun de se projeter là-dedans quand on écoute la chanson et de se faire une idée soi-même de la distance qu'on entretient avec la situation, ce qu'on en comprend.

N'éprouvez-vous pas le désir d'écrire pour d'autres ?
C'est très rare, ce n'est pas trop mon truc. J'ai quand même écrit là trois textes pour L'épée, le groupe d'Emmanuelle Seigner. J'ai fait aussi un texte, Dimanche, sur le dernier album de The Liminañas, mais ils m'ont demandé de le chanter en plus. Je ne suis pas sinon la personne la mieux placée pour ce genre d'exercice. En quinze ans, j'ai dû en faire cinq ou six, ce qui est très peu.  

Bertrand Belin Persona (Cinq7/Wagram) 2019

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En concert à l'Olympia à Paris le 11 avril 2019