Tous debout pour Vian !
Pour célébrer le centenaire de naissance de Boris Vian, le collectif Debout sur le Zinc s’est allié à la productrice Françoise Canetti. Ensemble, ils ont forgé un album-hommage, où se dévoilent les contours d’un poète en clair-obscur : un artiste visionnaire et tendre, un amoureux éperdu de la vie.
C’est l’histoire d’un condamné à mort, qui dansait funambule sur les cordes de l’enfance. L’histoire d’un malade du cœur, qui conjuguait le temps restant au présent. Celle d’un assoiffé de la vie, qui remplissait le monde de chansons tendres, impertinentes et futées, de pages de littérature en couleurs vives. Celle d’un joueur de trompette, d’un ingénieur qui surfait sur l’écume des jours et philosophait l’air de rien. À 30 ans déjà, Boris Vian, voué à une mort prochaine, compensait son destin tragique par une urgence, un amour dingue de la vie.
Pour les enfants
Et voici pourquoi ce diplômé du collège de Pataphysique a toujours plu aux enfants : parce qu’il joue sur les frontières de leur monde, avec ses chants comme des comptines, à l’enseignement profond. Parmi ses fans en culottes courtes, il y a dans les années 1980, Simon Mimoun, futur chanteur de Debout Sur le Zinc, qui sur la banquette arrière de la bagnole familiale, emplit son corps des mots du poète, jaillis de l’autoradio.
Et puis, il y a Françoise, à l’aube des années 1950 qui assiste, aux premières loges, aux balbutiements scéniques de ce grand échalas. C’est la fille de Jacques Canetti, saint-patron de la chanson française, découvreur de Piaf, Brassens, Brel, Gainsbourg, Higelin, Gréco, Nougaro et tant d’autres.
Dans le mythique théâtre de son père, les Trois Baudets, elle le découvre, impressionnée : "De Boris, je conserve un souvenir précis. Il était gigantesque, très mince, d’une pâleur extrême due à sa maladie et bien sûr, il était très beau. Il campait sur la droite de la scène, à côté du piano. Je me rappelle ses hurlements de rire… Mais sur les planches, c’était un homme différent, tétanisé par le trac. Ce n’était pas son truc. Mais son malaise lui a permis d’inventer une posture qui a fait école, influencé Gainsbourg ou Daho : une attitude minimaliste, sans geste, à mille lieues des allures théâtrales des autres interprètes, qui racolaient le public. Lui attendait qu’on vienne à lui…"
Un humaniste visionnaire
Et l’on vient, l’on revient, toujours à Vian. Même lorsque l’on a quitté depuis longtemps les chemins de l’enfance. Boris a toujours accompagné Simon. En bande-son de ses premiers pas en musique, il use ses platines du premier disque d’Higelin qui chante le poète. En 2011, avec Debout sur le Zinc, il reprend L’Abécédaire de Vian, illustré par Tomi Ungerer.
Et toujours, la fascination reste intacte : "Il savait tout faire. C’était un centralien ultra-doué autant qu’un artiste complet, auteur de plus de 500 chansons, fabuleuses portes d’entrée sur son univers. C’était un humaniste, un antimilitariste. Comme il sentait dans sa chair cette mort prématurée, il connaissait le prix de l’existence. Et puis, à rebours des mentalités de l’époque, il n’était absolument pas misogyne, comme on peut l’entendre dans Ne vous mariez pas les filles. Je le trouve visionnaire !"
Pour Françoise aussi, Vian avait une longueur d’avance, jusqu’à résonner fort dans notre époque. Témoin de la première heure, elle raconte : "Au début des années 1950, au sortir d’une guerre, qui avait causé 60 millions de morts, il était contre tout ce qui finit par '-isme' : marxisme, impérialisme, colonialisme, capitalisme, consumérisme. Dans une France où quasi tous les intellectuels avaient adhéré au Parti communiste, lui seul déclarait : faites-vous votre opinion." Une extrême liberté, en somme, qui définit parfois ceux qui n’ont plus rien à perdre… et qui s’en amusent. Et puis, comme le rappelle Françoise, Vian a commis l’un des plus beaux hymnes pacifistes au monde, Le déserteur.
Un portrait en clair-obscur
Pour célébrer le centenaire de sa naissance, Françoise Canetti, dans le rôle de la productrice, et Debout sur le Zinc, à la musique, ont décidé de dresser un portrait en chansons de Vian dans un disque-hommage, en reprenant quelques-uns de ses titres pivots. Bien sûr, le collectif foutraque, joyeuse bande de musiciens à l’âme slave, a repris une poignée de ses tubes : J’suis snob (ici à la sauce rock’n’roll), Le déserteur, Quand j’aurai du vent dans mon crâne…
Exit, pourtant, d’autres évidences : Je bois, La complainte du progrès, La java des bombes atomiques, On n’est pas là pour se faire engueuler… DSLZ et Françoise Canetti leur ont préféré des pépites moins connues, pétries d’émotion. Citons ainsi On fait des rêves, sur les utopies qui hantent les galaxies personnelles et les fièvres de vie qui nous font valser. Mais aussi Je voudrais pas crever, sur les 1001 paysages à traverser, avant d’atteindre sa destination finale. Ou encore l’inédit et langoureux Il est tard, sur un homme qui maîtrise son désir face à une femme, qu’il souhaite déshabiller. Pour ce disque, DSLZ a fouillé dans les chansons de Vian, léguées par Jacques Canetti à Françoise, et déniché des perles rares…
Debout sur le Zinc Vian par Debout sur le Zinc (Productions Jacques Canetti/Because Music) 2019
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