Vincent Delerm, les chansons d’amour
Un disque, un film, un spectacle. Alors qu’il fait paraître Panorama, un album sur lequel il a fait appel à des musiciens différents pour chacune de ses chansons, Vincent Delerm sort son premier long métrage, Je ne sais pas si c’est tout le monde, et commence sa tournée à La Cigale, à Paris. Une semaine avant ce grand retour, on a rencontré ce chanteur plein de charme.
Dans une scène de son premier long métrage, Je ne sais pas si c’est tout le monde, Vincent Delerm filme Alain Souchon en plan fixe, un casque sur les oreilles. Dans ce casque, il dit à Alain Souchon toute l’admiration qu’il a pour lui, et il lui raconte ce souvenir d’enfance : "Une fois, quand j’étais petit, mon père s’était fâché avec des amis. C’était les Charpentier. Il leur avait expliqué que tes chansons étaient super et eux, ils ne trouvaient pas. Alors après, en revenant d’un concert à Évreux, c’était un concert dans un ancien cinéma avec une chorale en première partie, il avait décollé une de tes affiches et dans la nuit, il avait été la mettre sur le mur de la maison des Charpentier." "Ah, mais c’est...c’est… eh... C’est magnifique !", réagit Alain Souchon, avec pudeur.
Ce genre de moments, Vincent Delerm en rapporte beaucoup dans son film et dans les dix chansons de Panorama, son septième album. Le chanteur, qui a fait de l’intime son terrain de jeu favori, raconte ces petits riens qui font aussi nos existences. Plus qu’un amoureux des mots, Delerm aime ces choses qu’il inventorie, beaucoup moins qu’à ses débuts, et les sensations. Pour la chanson Je ne sais pas si c’est tout le monde, c’est "symbolique de ce qu’on fait quand on écrit une chanson", explique-t-il. "Tu dis : 'Moi, j’ai ressenti ça. Mais je ne sais si vous, c’est pareil'. Le seul truc qui importe, c’est de trouver un écho et que les gens se disent : 'Ah, c’est fou, parce qu’il a mis le doigt sur quelque chose, alors que je pensais qu’il n’y avait que moi qui ressentais ça'".
Un régime sans Truffaut
En poursuivant l’écoute de ce disque, on pense au même Souchon, signant la chanson-titre de L’Amour en fuite de François Truffaut (1979), parce qu’il y a quelque chose de commun dans cette légèreté-là, et surtout parce qu’on parle des mêmes sentiments. L’amour, encore et toujours, le temps qui passe dessus, sont au cœur des choses. "Le point de départ de Pardon les sentiments, c’est ce truc très 'garçon' qui consiste à dire que pour séduire, il ne va pas falloir trop montrer que tu es déjà amoureux, mais au contraire, mettre de la distance, explique-t-il. J’ai eu la chance dans ma vie de tomber amoureux de filles avec lesquelles il ne fallait pas faire semblant de s’en foutre. Et cette expression, au-delà de la séduction, c’est dire : 'Désolé, je suis au premier degré. Je vous parle de choses que j’aime, assez sensibles et sentimentales. C’est tout ce qui m’intéresse comme chanteur'."
On aura bien compris que ce pardon ne vaut pas pour excuses et qu’il s’agit au contraire de revendiquer une certaine façon d’apparaître, en jouant plutôt "sur le charme" que sur "une voix de fou". Mais plus que chez la réalisatrice disparue en mars de cette année Agnès Varda, qu’il cite dans la Vie Varda, c’est bien chez Truffaut que ce chanteur discret semble puiser son élégance.
"Oui, Truffaut est assez indépassable, même si j’ai essayé de le dépasser. J’ai beaucoup parlé de lui quand j’ai commencé. Et puis, je me suis dit : 'Maintenant, faut se calmer. J’en ai un peu trop parlé.' Alors, j’ai fait un régime sans Truffaut pendant 7-8 ans, constate-t-il. Il y a plein d’autres gens que j’adore. Mais Truffaut, c’est la personne dont la manière de concevoir les choses me frappe le plus. Pour moi, les films comptent autant que le personnage."
Les derniers films de Jean Rochefort
Pour élaborer ce septième disque, le chanteur a fait appel à un ou des musiciens différents pour chacun des titres. Il y a de vieilles connaissances, à l’instar du Suédois Peter Von Poehl ou du duo, Clément Ducol / Maxime Le Guil, des chanteuses amies jamais sollicitées auparavant, comme Keren Ann et Yaël Naïm, et tout un groupe de nouveaux venus : David Ivar Herman Dune, French 79 ou Rufus Wainwright, pour un duo émouvant. Pourquoi ces choix ? "Au départ, cela vient du fait de ne pas arriver choisir, d’avoir envie de travailler avec des gens différents et de retravailler avec des gens que je connais. Pour Voyou, j’ai découvert son disque, j’ai vachement aimé. Mais je ne le connais pas assez pour faire tout un disque avec lui, et c’est pareil pour Girls in Hawaii. Du coup, c’était parfait d’avoir ce panorama de plein de gens que j’aime et qui, je le sentais, n’allaient pas chercher à faire tomber les murs."
Même avec ce dispositif, Panorama sonne donc comme du pur Vincent Delerm où l’on retrouve sa patte mélancolique. C’est ce regard qu’on trouve dans son premier film, et qu’on retrouvera sans nul doute, dans un spectacle qui commencera par un bon mois à l’affiche de La Cigale, à Paris.
Alors, Vincent Delerm se voit-il, aujourd’hui, comme un chanteur "hors compétition" ? "J’ai toujours eu la chance d’être hors compétition, notamment avec mon premier album qui n’était pas dans l’air du temps, et, en même temps d’être "admis dans le club". Des gens et des médias m’ont suivi alors que j’ai toujours été éloigné du son du moment. C’est ce que j’ambitionnais, quand j’ai commencé. Mais c’est super aussi d’être hors compétition, parce que tu peux faire autre chose qu’un disque. C’est une permission que j’ai obtenue, notamment à partir du spectacle Memory."
De la chanson au théâtre, en passant par la photographie, de ses portraits de chanteurs au fait de filmer les dernières scènes de la carrière de Jean Rochefort, Vincent Delerm a imposé son regard. Mine de rien, il questionne la façon d’être un chanteur populaire.
Vincent Delerm Panorama (Tôt ou Tard) 2019
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