Cyril Mokaiesh, échappée belle à Beyrouth

Cyril Mokaiesh. © Tamina Manganas

Le chanteur de 34 ans retourne à ses origines dans le palpitant Paris-Beyrouth, quatrième disque solo où l'électro cohabite avec les instruments traditionnels. Brillance de l'écriture, vibrations intimes, collaborations orientales. Toujours en attente d'une visibilité qui lui sied de droit, Cyril Mokaiesh a décidément tout d'un grand.

Depuis la venue au monde de son fougueux premier album, Du rouge et des passions (et le titre rampe de lancement Communiste) il y a presque dix ans, c'est dans la famille des dithyrambes que les plumes vont souvent piocher afin d'évoquer les travaux de Cyril Mokaiesh (révérence aussi, lorsqu'arriva à nos oreilles, l'an dernier, les trois merveilleux titres qu'il a écrits pour Diane Dufresne). Même dynamique élogieuse - et amplement méritée - à peine la ligne de départ franchie de cette quatrième ascension discographique.

Ce Paris-Beyrouth est bel et bien emballant, aventureux, remarquablement écrit, cosmopolite, maîtrisé. Tous les voyants sont à nouveau au vert pour que le garçon s'extraie de l'étape respectable, mais peu nourrissante du succès d'estime. "Je m'en vais pour un voyage/Percutant comme l'orage/ Pour que me suive qui m'aime/Oublier tous mes problèmes/ De femmes, de fric, de réussite/ De bonne étoile qui vous quitte un soir de mai". Chanson-bilan en ouverture, chanson d'abandon (L'origine).

Mokaiesh regarde alors dans le rétroviseur, évoque l'enfant franco-libanais qui soulevait les trophées de tennis, l'adolescent insouciant et amoureux, le vingtenaire tombeur et un peu prétentieux, le gars en colère, et dans une périodicité plus proche les défaites professionnelles et sentimentales. Plutôt que de se laisser abattre ou de se complaire dans l'imagerie du poète maudit ("Je n'ai pas envie qu'on dise de moi l'incompris. La prise de ce titre-là ne me ferait pas avancer"), Cyril Mokaiesh a donc opté pour une échappée belle dans la capitale libanaise.

"J'ai toujours besoin de me fixer un cadre pour trouver une énergie inspiratrice. Le piège, c'est d'être étriqué entre ses murs. Ecrire doit être un acte vital, joyeux. J'ai fait une trentaine de dates en première partie de Lavilliers. Lui et moi aimions nos petits moments le soir à discuter et refaire le monde. Il m'a dit que je devrais partir en voyage, on parlait souvent du Liban. J'ai gardé ça longtemps en tête avant d'enfin me décider. Les premières maquettes avec Valentin Montu nous ont confortés à faire cet album à la fois occidental et oriental dans le son".

Les paradoxes de Beyrouth

Plusieurs allers-retours, avec à chaque fois comme point d'ancrage la maison de la grand-mère paternelle. Les deux échangent autour de l'actualité et des souvenirs familiaux, il s'abonne à L'Orient-Le Jour, un quotidien francophone libanais, se nourrit des rencontres, trouve refuge au sein de spots nocturnes et musicaux. "Tout ça mettait du sens et du contenu à ce qui allait arriver. Beyrouth, c'est un mélange et un paradoxe entre misère, richesse, religion, fiesta, tout ce qui fait à la fois son charme et son chaos. On change de décor à chaque quartier, de croyance, d'état d'esprit".

Cette dualité, on la retrouve dans Au nom du père, formidable morceau d'observation et sous-tension, impulsé par le visionnage du film Capharnaüm de Nadine Labaki et sur lequel vient se greffer la voix sensuelle de Razane Jammal, actrice aperçue notamment chez Robert Guédiguian et Olivier Assayas. Parmi les autres nombreux motifs de réjouissance de ce frémissant carnet de bord, l'éclat de l'oud de Mohanad Aljaramani, la spiritualité insufflée au piano par Bachar Mar-Khalifé sur La vie est ailleurs, le panache de la comédienne-rappeuse Sophia Moussa qui percute au sein de La lueur, la fringante grandiloquence de Mater Vitae qui clôt le disque sous la forme d'un requiem, le rapport amour-haine à l'égard de Paname (Pardon Paris).

"C'est devenu une ville qui nous étrangle, pas toujours épanouissante, un château fort pour classe très supérieure. Il est difficile de pouvoir prétendre y habiter très longtemps. Et en même temps, j'ai pour elle une passion folle. A chaque fois que j'y reviens, j'ai l'impression de vivre un premier amour. Je lui ai donc dit adieu et j'y suis revenu en courant (rires)".

Il y aussi la conscience sociale et politique du garçon (Le grand changement), la trépidante fusion entre l'electro et les cordes, son audace dans les parti-pris, son écriture percutante, son chant vibrant. Alors oui vraiment, il serait urgent d'admettre que la chanson française a besoin de Cyril Mokaiesh. 

Cyril Mokaiesh Paris-Beyrouth (Un plan simple) 2020
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