Julien Doré, à perdre la raison
Remis à neuf par une salvatrice pause médiatique et un retrait de la capitale, le chanteur met en veille ses obsessions sentimentales pour dévoiler un visage inquiet sur sa vision du monde. Malgré un constat couperet, ce cinquième album aimée ne se départit pas de l'ironie et du savoir-faire mélodique de son auteur.
Julien Doré change de braquet. Dans sa vie personnelle, d'abord, où il a désormais trouvé refuge dans les Cévennes, à quelques encablures d'Alès (n'avait-il pas annoncé la couleur dans son premier tube Les limites en 2008 ? "Je vais quitter Paris"). Dans son propos, surtout, moins égocentré, moins rimes à tiroirs, délaissant le sentiment amoureux balayé à excès dans ses deux précédents albums pour une imparable ouverture sur l'état du monde. "Je ne veux plus écrire les peines que le féminin m'a fait", écrit-il à la manière d'une profession de foi.
Dans le refrain de la même chanson (La fièvre), "Le monde a changé/Il s'est déplacé /Quelques vertèbres". Impossible de le taxer d'opportuniste, ces mots-là ont surgi avant le contexte épidémique. Comme ceux de La bise, geste de salut à qui on prédit un avenir plus qu'incertain ("Pourquoi tu m'fais la bise, le fond de l'air m'effraie"). La grande affaire d'aimée - prénom de sa mère et sa grand-mère de 99 ans - c'est la situation écologique et la crise climatique. Julien Doré ne cherche pas à refroidir l'atmosphère, sa politesse rythmique certainement, mais se positionne en homme forcément inquiet pour l'avenir des générations suivantes. À l'enfant qu'il imagine naître dans le touchant Kiki, il dit "J'ai dessiné ta tombe avant de te bercer" jusqu'à ce que des voix chorales ne lui répondent "On n' est pas fatigués".
La posture du désenchantement ne condamne jamais ici l'espoir. Ni l'ironie charmante, un de ses terrains de jeu favori. "Tout le monde a quelque chose à dire/Sur mes cheveux ou le climat/Bien que les deux aillent vers le pire/Personne ne fera rien". Piquant et sérieux dans le même souffle, Julien impose sa vive grammaire usuelle et ses formules sous couvert d'auto-dérision. Capable d'être un poisson dans l'eau lorsqu'il s'immerge de synthés ondulants pour un duo avec Clara Luciani (L'île au lendemain) comme d'offrir une visibilité d'abois à ses chiens Simone et Jean-Marc (Waf). Si ses détracteurs ne le lâcheront pas sur l'aspect duplicata de ses mélodies, Julien continue de façonner sa propre fratrie pop. Et apparemment, il en est citoyen d'honneur.
Julien Doré aimée (Columbia) 2020
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Le 25 novembre 2021 à l'AccorHotel Arena à Paris