Dominique A, en attendant l’éclaircie

Dominique A fait paraître un disque, "Vie étrange", et un livre, "Fleurs plantées par Philippe", en hommage à Philippe Pascal. © Laetitia Bégou

Cet automne, Dominique A fait paraître un disque, Vie étrange, et un livre, Fleurs plantées par Philippe, en hommage à Philippe Pascal, l’un des héros de sa jeunesse. S’il a composé pour ne pas tomber dans un blues prolongé, le Nantais n’a pas remisé de côté la beauté de ses chansons. Entretien au sujet d’un livre pudique et d’un disque minimal, un dix titres qui, dit-il, a modifié toutes ses projections dans un moment bien chamboulé.

RFI Musique : Dans la formule "Vie étrange", j’entends aussi "vide étrange". En quoi le titre de ce disque résume-t-il cette période que nous sommes en train de vivre ?
Dominique A : C’est marrant ça… Je travaillais sur un morceau Vie étrange avant la pandémie, sur lequel je bloquais. Évidemment, cela a pris un sens différent depuis le mois de mars. Sur le disque, le morceau Vie étrange fait écho à la mort du chanteur Christophe. Sa mort étant l’une des conséquences à la pandémie, j’avais envie d’exprimer cette forme de sidération qu’on a tous ressenti ces derniers mois. Je ne trouvais rien d’autre que ces phrases-là : "Quelle vie étrange, plus de mots bleus"! Finalement, ça suffit et c’est un peu comme l’image de la pochette : derrière une vitre, avec un regard, et une forme d’impuissance à verbaliser les choses.

Cette chanson est pratiquement un haïku. J’ai même l’impression que ce disque a été écrit de la façon la plus minimale possible, avec une voix susurrée qu’on retrouve sur beaucoup de morceaux.
Oui, il y a vraiment deux faces dans ce disque qui correspondent à deux phases. La première correspond à la période du confinement. Ce sont des enregistrements qui ont été faits avec la volonté de ne pas empiéter sur le silence que je sentais autour de nous. La deuxième face, c’est l’après 11 mai, le chant reprend un petit peu de couleurs, sans que ce soit un album de chanteur. On retrouve des guitares, c’est un peu plus ouvert et pop. C’était une façon de signifier un état d’esprit qui évolue. Il y a cette idée de ne pas retomber dans le travers de faire des textes à rallonge, même si je suis un peu retombé dedans avec Quand je rentre, le dernier morceau que j’ai enregistré.

Le point de départ de ce disque a été la chanson L’éclaircie. Pourquoi reprendre cette chanson ? Et pourquoi le faire dans un registre bien différent de la new wave de Marc Seberg ?
Sincèrement, elle m’est tombée dessus. J’avais écrit en grande partie le livre Fleurs plantées par Philippe à ce moment-là. Les évènements liés à la mort de Philippe Pascal étaient encore très présents. Je pense que cela a énormément joué. Je grattouillais sur ma guitare et puis j’ai fait des accords très basiques, ré - sol. En faisant ces accords-là, la chanson m’est apparue. J’ai commencé à la chanter et j’ai tout de suite senti qu’il y avait un truc à faire dans cette forme-là. Pour moi, c’était une période où j’avais mon petit garçon non-stop à la maison. C’était comme une façon de sortir d’un contexte domestique un peu pesant et je me suis vraiment raccroché à cette chanson. Je me suis acharné, j’ai fait plusieurs versions. La réception qu’elle a eue a dépassé toutes mes attentes. Elle m’a donné un sésame pour m’y recoller et me dire que, oui, je revenais avec des chansons enregistrées tout seul à la maison.

 

Vous consacrez un livre à Philippe Pascal, le chanteur de Marquis de Sade et Marc Seberg. Dans Fleurs plantées par Philippe, vous dîtes que ce qui intéresse tout le monde ne vous intéresse pas trop. Alors que c’est Marquis de Sade qui est considéré comme le groupe culte de la scène rennaise, vous préférez Marc Seberg. Pour quelles raisons ?
Par rapport à Marquis de Sade qui s’est séparé au moment où je commençais vraiment à écouter de la musique, Marc Seberg correspondait en temps réel à mes goûts. Je l’ai pris frontalement, à 15-16 ans... J’avais déjà beaucoup d’attirance pour le côté très romantique de la new wave, il y avait une exacerbation des sentiments qui correspondait à mes propres émois adolescents. J’étais très friand de tout ce qui était chanté en français dans ce genre,  parce qu’il y avait vraiment un lien direct avec des chansons que j’avais écoutées gamin et qui étaient dans la discothèque de mes parents. Je suis un enfant de ça, je suis vraiment à la croisée des chemins. Marc Seberg incarnait cela plus que tout autre. Il y avait ce côté très lyrique, une forme de classicisme que ne recherchait pas vraiment Philippe Pascal, qui n’aimait pas, lui, la chanson française.

Vous racontez ce rendez-vous manqué avec Philippe Pascal, le fait qu’on vous ait proposé de travailler sur des textes pour la reformation de Marquis de Sade, mais que ça n’a pas pu se faire parce qu’il est mort. Aujourd’hui, quel regard posez-vous sur la façon dont vous l’avez croisé ? Avez-vous des remords ou des regrets ?
Ni remords, ni regrets, je suis un peu fataliste. Il y a d’autres épisodes que je n’ai pas relatés qui sont des rendez-vous manqués avec Philippe Pascal. Je n’avais pas envie de souligner ça et puis, de raconter absolument tout. Je tenais à ce que le livre soit court, à ce qu’il ait un rythme et que ce rythme ne soit pas cassé par toutes les histoires que j’aurais pu raconter. Il y en a eu plusieurs, des occasions manquées avec Philippe… Finalement, quand on est intimidé par quelqu’un et qu’il a énormément compté pour vous, on est juste heureux d’avoir pu le côtoyer un petit peu. J’étais heureux aussi qu’il accorde un intérêt à ce que je fais. Ça suffisait à mon bonheur !

Ce qu’on comprend en lisant votre livre, c’est qu’il s’agissait de quelqu’un qui n’a pas eu une vie facile jusqu’à son suicide. Est-ce que cela transparaissait ? Quelle personne y avait-il derrière ce chanteur très charismatique ?
Il y avait chez lui cette inquiétude incroyable. C’était quelqu’un de très exigeant avec lui-même et avec les autres. Moi, j’ai vécu cette reformation de Marquis de Sade via ce qu’il m’en disait. Il y avait de la souffrance, c’est-à-dire un plaisir et une remise en cause du bien-fondé de cette reformation. Ça n’a jamais été un acquis pour lui, ni de remonter sur scène, ni de faire un album. Je le raconte dans le livre. Quand j’ai écrit le texte qui accompagnait le disque live de la reformation 16. 09.17, on a échangé des SMS. Dans ces messages, il se répandait littéralement. Il aurait pu se contenter de jouir du moment et de voir que la trace que le groupe avait laissée était aussi profonde. Mais non, il ne pouvait pas se satisfaire de ça...

Quand vous l’avez rencontré, Philippe Pascal était-il à la hauteur de ce qu’il représentait pour vous quand vous en étiez fan ?
Il était mieux que ça parce que c’était un homme adorable. C’était quelqu’un de très doux et d’attentionné. C’était rassurant de rencontrer quelqu’un qui avait ce poids artistique et qui était un être humain très agréable. Ça devient autre chose quand vous croisez quelqu’un, c’est une relation qui se créée même en dehors de l’image que vous avez de lui.

Dominique A Vie étrange (Cinq 7/Wagram) 2020

Dominique Ané Fleurs plantées par Philippe (Médiapop Editions) 2020

Site officiel / Facebook / Instagram / YouTube