Calogero dopé à l'espoir
Ceux qui reprochaient par le passé une forme de grandiloquence à Calogero pourraient être à court d'arguments. Centre ville, son huitième album-studio, joue la carte de l'intime et de la lumière sans sacrifier au savoir-faire du lyrisme et de la joliesse mélodique. Rencontre.
RFI Musique : L'enveloppe de cet album est pop mais il y aussi des touches de bossa, d'électro, de new wave, du saxo. Un désir de métissage musical ?
Calogero : L'idée, c'est de déplacer en quelque sorte la caméra pour ne pas s'ennuyer. Et puis, oser des choses nouvelles, me mettre en danger. Sur deux chansons, il y a des accents bossa parce que j'ai écouté un magnifique album du Brésilien Vinícius de Moraes (La voglia la pazzia l'incoscienza l'allegria, ndlr) pendant le confinement. Mais vraiment, ce qui m'intéresse, c'est la notion de déplacement. Parfois, j'avance dans le noir jusqu'au moment où je trouve la lumière.
Dans votre approche artistique, êtes-vous plutôt "fulgurance" ou "minutie" ?
Les deux. Les fulgurances, ça m'arrive, je peux faire des chansons dans ma voiture. Un jour, un pote m'a croisé en plein Paris alors que j'étais au volant avec un ukulélé. Rassurez-vous, je ne le fais pas toujours (rires). Et en même temps, je peux réécouter quelque chose et le retravailler pendant des mois, me lancer dans un travail de coupe et de découpe. On entend bien, par exemple, dans Prendre racine qu'il y a plusieurs morceaux dedans. Dans cet album, la chanson Le temps, c'est un couplet que j'ai composé à la guitare sur un quai de gare en attendant mon train. Je partais rejoindre mon frère à Londres. Et lui, il avait trouvé la mélodie du refrain dans l'Eurostar. On a donc mis les deux bouts ensemble et cela a donné ce morceau.
Le confinement du printemps a été particulièrement créatif pour vous. On fait comme si, écrit en réaction au contexte et sorti pendant la période de crise sanitaire, était votre geste spontané ?
Le premier confinement était plus anxiogène. Il y avait ce flou médical qui nous a tous plongés dans une grande inquiétude. J'ai ouvert les fenêtres, j'ai fait résonner mon piano. D'ailleurs les voisins s'en souviennent. Et j'ai composé cette musique pour me rendre utile à quelque chose. Le corps médical était en difficulté, j'avais le désir de contribuer et d'aider à travers la musique, même si je suis conscient que ce n'est qu'une petite goutte d'eau (la totalité des recettes du titre est reversée à la fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, ndlr). Je voulais quelque chose de doux, de réconfortant. C'était mon humeur du moment, j'étais un peu flippé et cela s'entend même dans la voix. Et puis après, les choses se sont un peu éclaircies et les chansons sont devenues plus positives. Dans cet album, il y a aussi de la joie et de l'espérance. C'est aussi pour ça qu'il s'appelle Centre ville. Pour moi, cela a un côté rassurant, le bruit des klaxons, des terrasses et de la vie.
Parmi les auteurs, peut-on parler de garde rapprochée ?
On peut surtout parler d'un parolier rêvé, en l'occurrence Paul Ecole, comme il y a eu par le passé certains duos d'auteur-compositeur : Étienne Roda-Gil et Julien Clerc, Michel Polnareff et Jean-Loup Dabadie... J'ai la chance d'avoir cet homme avec qui j'ai grandi et avec qui j'ai fait notamment Le portrait, Les feux d'artifice, Voler de nuit... Là, il est présent encore sur quatre titres. J'ai une relation fusionnelle avec cet auteur. Dès que les notes sortent de mon piano, je lui envoie immédiatement la mélodie. On est connectés, lui et moi, on se ressemble. C'est la recherche de toute une vie pour un compositeur de trouver la personne qui va mettre les mots justes sur vos mélodies. Et je rêve de trouver un jour, de la même manière, le réalisateur qui se mariera parfaitement avec ma musique pour faire de la bande originale de film. Cela viendra peut-être, qui sait ?
Est-ce l’héritage Ennio Morricone ?
Complètement. Je peux même vous dire qu'un jour Morricone a écouté ma chanson Tien An Men et il a dit : "Ce garçon devrait faire de la musique de film". J'ai eu cet honneur-là et cela ne s'oublie pas.
Vous avez même appelé votre nouveau studio, à quelques encablures du bois de Boulogne, "Ennio"...
Parce qu'il nous a quittés pendant la création de cet album. Pour moi, c'était le maître absolu, il devrait y avoir des statues à son effigie. Il a changé ma vie, au même titre que la culture et la musique. Quand je vois et entends que la culture est considérée comme non-essentielle, cela me rend dingue. Comment peut-on oser dire ça au pays de Victor Hugo ? Bien sûr que je suis pour le confinement, pour protéger nos aînés. Mais il ne faut pas se tromper dans les termes. On n’a pas le droit de dire que la culture est non-essentielle. L'art est l'espoir le plus fort pour la jeunesse.
Vous chantez "C'était mieux après". Croyez-vous aux beaux lendemains ?
J'y ai toujours cru, je suis un optimiste de nature. Je crois beaucoup aux énergies positives et aux montagnes qu'on peut déplacer. Personnellement, je suis parti de rien. Je suis un fils d'ouvrier qui est tombé amoureux de Paris à dix-huit ans. Pour y vivre, il fallait trouver un moyen de s'en sortir. Et j'ai mis tout ce qu'il y avait en moi pour y arriver. Moi, le dernier de la classe, l'ancien cancre, j’avais ainsi le sentiment de déplacer des montagnes.
Benjamin Biolay signe deux textes. Êtes-vous conscient que vu de l’extérieur, cette association n'était pas forcément évidente ?
On est tous les deux musiciens, provinciaux et de la même génération. Ce ne sont pas des collaborations évidentes comme ça sur le papier. Mais regardez, j'ai aussi une connexion très forte avec Dominique A alors qu'il est considéré comme un chanteur un peu intello. On est à l'opposé et ça ne nous empêche pas d'adorer de faire des chansons d'ensemble. D'ailleurs, si je fais une réédition de Centre ville, il y aura une chanson de Dominique A et moi.
De quelle façon avez-vous approché Biolay ?
Un matin, je lui ai envoyé un SMS pour lui dire que j'étais en pleine création et lui demander s'il était partant qu'on tente quelque chose ensemble. Je me suis dit que le ton de ses textes pouvait avoir quelque chose d'intéressant. Il m'a répondu : "On essaye d'en faire une quand tu veux". Le soir, je lui envoie la mélodie de Mauvais perdant à la guitare. Je me réveille le lendemain avec mon café et je trouve le texte de la chanson. J'étais franchement ravi.
L'autre chanson avec lui, Centre ville, vous propulse dans la vie nocturne. Vous êtes un fêtard ?
Tout l’album Les Feux d'artifice, je l'ai conçu la nuit. Je sortais beaucoup à ce moment-là. Quand je rentrais, je me mettais à composer. Le texte me rappelle cette période. Benjamin sortait dans les mêmes endroits que moi, comme Le Baron. C'était un lieu sympa car il n'était pas réservé aux mannequins, mais davantage fréquenté par une jeunesse de comédiens. Cela ressemble justement aux nuits des centres-villes, la place Stanislas à Nancy, la place Victor-Hugo à Grenoble. Il y a une jeunesse qui vit et qui vibre.
La rumeur, vous la craignez ?
La rapidité des réseaux sociaux et le fait que tout le monde dit tout et n'importe quoi, je trouve ça dangereux. C'est surtout une chanson sur la présomption d'innocence qui n'existe plus aujourd'hui. Les réseaux sociaux, ça nous enlève des libertés sans compter le lynchage psychologique. J'ai 49 ans, je suis entre deux époques en quelque sorte. Mais j'ai l'impression d'être déjà d'un autre temps.
On ne vous connaît pas de frasques en même temps...
On parle de moi pour ma musique. Je n'ai jamais parlé à tort et à travers ou récupéré un sujet pour me mettre en avant. Les gens m'arrêtent seulement pour causer de mes chansons. J'ai voulu être un musicien reconnu et j'en suis fier. Lorsque j'étais même môme et qu'on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je sortais cette phrase totalement absurde : "Je veux être un chanteur célèbre ou alors bassiste pour Téléphone" (rires). Et là maintenant, Richard Kolinka, le batteur de Téléphone, m'invite à jouer avec son projet collectif des Aventuriers d'un nouveau monde.
Vous avez composé et réalisé l'album de Maëlle, victorieuse de The Voice en 2018. C'est votre muse ?
C'était incroyablement intéressant de travailler avec quelqu'un de la jeune génération. Cette fille a quelque chose d'à part, une voix singulière et une ressemblance physique avec Romy Schneider.
Plusieurs de vos chansons font le lien entre l'enfance et l'adulte. Une obsession ?
Je pense que l'enfant qui est en nous, il a cette fraîcheur, cette folie. Il est clown, jongleur, acrobate, il a des oiseaux dans la tête. Que ce soit l'école ou le foyer familial, on n'a pas à lui dire qu'il faut prendre un chemin plutôt qu'un autre. Je fais partie de ces gens qui ne comprennent pas la telle importance qu'on peut donner aux mathématiques à l'école. Savoir compter d'accord mais pourquoi les assommer avec des équations dont ils ne serviront jamais dans la vie, hormis pour quelques métiers. J'ai quatre enfants et je ne comprends pas cela.
Calogero Centre ville (Polydor) 2020
Site officiel / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube