Bénabar, chanteur populaire
Indocile heureux, le nouvel album de Bénabar, est un disque aux mélodies entêtantes. Le clown triste de la chanson française y croque le divorce, les plages du Finistère, les cuistres et les Dalton. Tout en revendiquant sa constante "indocilité". Rencontre.
RFI Musique : Indocile heureux est très soigné. Est-ce-que vous l’avez peaufiné pendant le confinement ?
Bénabar : C’est plus que ça. Normalement, cet album devait être terminé avant le confinement ! Pendant cette période étrange, j’ai préféré le reprendre plutôt que d’attendre. J’ai modifié des paroles, J’ai retiré des chansons, j’en ai fait deux nouvelles, Exigeons l’impossible et de Belles histoires, qui sont assez lumineuses. Donc il y avait aussi une envie d’évasion. En fait, c’est vraiment un album typique de l’année 2020 (Rires).
Oui et Alors invite à profiter du présent avec ceux qu’on aime ; c’était urgent d’écrire une "chanson carpe-diem" ?
Ça s’est imposé. J’avais ce besoin même avant la Covid. J’essaie de voir les choses du bon côté comme beaucoup de personnes tourmentées... Ce côté carpe-diem, c’est un de mes traits de caractère et l’âge aidant, je crois qu’il faut profiter de la vie. Dans ces temps troublants et angoissants, ça a peut-être encore plus de raison d’être.
Les filles de plus de quarante ans, Un lego dans la poche, Au nom du temps perdu. Il est beaucoup question du temps qui passe dans cet album…
C’est vrai… J’ai passé la cinquantaine, ça me travaille. Mais ce n’est pas horrible à vivre. Cela correspond aussi à l’envie de vivre avec son âge, de correspondre à ma vie sans essayer de courir après l’air du temps. Ma réalité, celle d’un mâle blanc, hétérosexuel de cinquante ans, se retrouve dans mes chansons (Rires).
Sur Tous les divorcés vous vous demandez quel est le plus important entre "le premier amour ou le plus récent". La séparation est-il un thème inéluctable à 50 ans ?
Oui, ça devient inéluctable dès qu’on parle d’amour. Je n’ai pas divorcé mais j’ai eu plusieurs histoires. Cela dit le divorce rend aussi des gens heureux !
William et Jack est une chanson sur deux des frères Dalton, personnages de la bande dessinée Lucky Luke…
J’ai remarqué que, comme beaucoup de gens, je ne connaissais pas le nom des frères du milieu parmi les quatre. J’ai trouvé cette image pour parler des gens qui n’apparaissent que sur les photos de groupe, pour aborder le sentiment de déclassement et l’impression d’être négligé que ressentent, légitimement, beaucoup de gens de la classe moyenne. J’avais envie de faire depuis longtemps une chanson sur ce milieu, dont je viens.
Vous percevez-vous comme un chanteur populaire ?
Ce qui m’étonne, c’est les gens qui ne veulent pas faire de la chanson populaire, ceux qui veulent faire de la chanson "élitiste" - comme c’est ignoble ce terme ! Pour moi, "populaire", c’est le plus beau des compliments. Dans ce disque, c’est peut-être plus assumé : c’est de la variété française, très interprétée, avec beaucoup de textes. C’est très mélodieux. Ce n’est pas du tout dans l’air du temps.
Au nom du temps perdu parle d’un homme qui assiste à l’enterrement d’un ancien ami qui lui avait ravi sa femme. Qu’est-ce qui vous l’a inspirée ?
C’était le sentiment intime et commun qu’il faut dire aux gens ce qu’on à leur dire avant d’être rattrapé par la mort. J’ai inventé cette situation pour m’éloigner de mon histoire personnelle. Même si le disque parle de moi, je ne voulais pas faire un album egocentré. Par pudeur et efficacité ; il faut trouver une zone libre entre l’auditeur et le chanteur où chacun puisse se retrouver.
Vous écrivez sur "le temps perdu qu’on ne rattrape pas" et là, on pense à Barbara. L’âme d’un poète semble être un écho à L’âme des poètes de Trenet par son titre et à Brassens par son esprit. Vous êtes amoureux des chansons des autres ?
Oui et c’est vraiment affectueux ! J’adore entendre des chansons en français. La langue française me séduit beaucoup. Je n’ai jamais compris pourquoi on dit que c’est moins chantant que l’anglais. Tout le répertoire rock, rap et chanson française prouve le contraire. J’essaie de faire de la poésie qui ne dit pas son nom, mais qu’on réécoute. Une chanson comme À Bicyclette est un poème, mine de rien, et ça m’enchante.
Dans Exigeons l’impossible vous citez Che Guevara ("Soyons réalistes exigeons l’impossible") et Paul Vaillant-Couturier ("Ce soir je veux croire aux lendemains qui chantent"), l’un des fondateurs du Parti communiste français. Vous y croyez toujours ?
Ouh là (Rires) ! Je n’ai jamais vraiment cru aux lendemains qui chantent mais c’est mon patrimoine familial. Un grand père immigré italien, tailleur de pierres tombales et communiste, ça laisse des traces ! J’ai baigné dans cette mythologie et je crois qu’il est bon de la défendre. C’est bien de se souhaiter, de s’autoriser le bonheur. On y a tous droit, même si on sait qu’on ne l’aura pas toujours. Un peu d’idéalisme, c’est une digue qui évite de basculer dans l’autre sens.
Vous sortez vos griffes sur les Indociles heureux. Trouvez-vous qu’il y a une suffisance agaçante des faux rebelles ?
Oh oui ! Et plus encore. C’est la prétendue rébellion des "anarchistes de ministères", de certains acteurs et journalistes qui tiennent de grands discours et donnent l’impression de vivre en se fichant de tout, alors que ce sont des grands bourgeois qui appellent la police dès qu’on frôle leur iPhone. Ces donneurs de leçon posent de façon un peu idiote et polluent le débat en prenant l’espace nécessaire à d’autres qui défendent de vrais combats. Eux, ils mettent de l’huile sur le feu. C’est un peu comme les clashes entre les petits chanteurs, ça rajoute au climat de violence alors qu’ils demeurent dans des vies très protégés. Et ce sont les enfants, les adolescents qui ressentent cette violence les premiers ! A contrario, j’aime les indociles. C’est moins spectaculaire, c’est constructif.
Bénabar Indocile heureux (RCA) 2021
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