Le monde de Sophie Rockwell
C’est l’une des autrices-compositrices les plus discrètes et singulières de la chanson française. Huit ans après Classique, Sophie Rockwell célèbre le piano et l’introspection dans Suite poèmes. Peut-être son album le plus mélancolique.
C’est une artiste pleine de contraste. Alors que sa musique nous donne souvent l’impression qu’elle vit sous la pluie comme une fiancée romantique, c’est finalement, sous le soleil du sud de la France tandis que des cigales chantent derrière elle, que l’on interroge Sophie Rockwell. De sa voix gracile, un brin timide, elle nous explique qu’elle se perçoit comme une "éternelle étudiante".
Dans ses chansons, Sophie Rockwell croque des états intérieurs - sombres, parfois teintés d’humour. Mais elle se renouvelle sur chacun de ses quatre albums avec l’inventivité de la première fois. Elle explore. Ainsi les valses brisées et la musique teintée d’orgue et de banjo de son premier album, Happy fête (2001) avaient-elles laissé la place à l’étonnant …et la chute (2009) sur lequel on pouvait notamment entendre des sons de clochettes. Un disque étrange enregistré en Suède, au Roth Händle Studio, pour se rapprocher, nous raconte-t-elle, "des pianos et des claviers électro-acoustiques nordiques".
Si elle aime innover dans la composition musicale, Sophie Rockwell revendique l’importance de la structure classique de ses chansons, notamment sur son album Classique (2013). Cette rigueur lui vient de la poésie. "Comme je n’ai pas appris la musique, c’est le texte qui cadre le reste, les mots débordent parfois, même si le travail sur la mélodie me prend beaucoup de temps", nous raconte-t-elle.
Collaboration avec Ignatus
Suite poèmes est donc son quatrième album. Le premier produit par le compositeur Ignatus, qui lui a proposé de laisser la place qu’elle souhaitait au piano. Cette amoureuse de Chopin, de Barbara et de Véronique Sanson a accepté : "cela me semblait incontournable d’être devant un piano pendant des heures".
Elle a appris l’instrument tardivement, de façon autodidacte. Cela s’entend. Cette fragilité crée un décalage dans la mélodie, qui convient bien à cette poésie, qui donne toujours l’impression qu’un grain de sable vient gripper la mécanique.
Mais de quoi parle les neuf chansons sensibles de Suite poèmes (que l’on peut aussi entendre comme un jeu de mots avec la prononciation de sweet ("doux" en anglais) ? Plusieurs célèbrent la passion (Poème en feu et Mon cœur crépite, en duo avec Ignatus) et la nécessité de l’exprimer "La violence des jours/ C’est ne jamais parler d’amour" (La violence des jours).
Les cordes somptueuses de Descendre en soi font l’éloge de l’introspection et de la poésie de Charles Juliet, tout en se moquant, mine de rien, des injonctions à aller bien. Quant à Il joue, sur lequel il est question de quelqu’un qui "joue / de loin en loin/ il tient le coup/sur l’incertain", c’est un hommage envoûtant à Véronique Sanson et à quelqu’un qu’elle aime.
Émotions fortes
Il y a quelque chose de Virginia Woolf et d’Emily Dickinson dans l’écriture de Sophie Rockwell, qui affirme qu’elle n’est "pas douée pour raconter des histoires". Cette lectrice de Marcel Proust et d’Annie Ernaux s’intéresse davantage aux impressions laissées par les souvenirs, à la recherche de "mots simples pour raconter des émotions très fortes".
Effectivement, ses textes mélancoliques, traversés par une interrogation sur la fuite infinie du temps, se lisent un peu comme des haïkus. "C’est prétentieux de dire qu’on fait de la poésie, mais la poésie est nécessaire pour moi. Elle m’aide beaucoup".
Sophie Rockwell est aussi passionnée par le théâtre. Ainsi a-t-elle coécrit avec Alain Klinger, Je ne suis pas narcissique (2019) pour Chloé Mons, à partir de slogans de magazines et d’interviews d’actrices. C’est pour elle une source d’inspiration. "J’y ai beaucoup appris, toujours dans la passion. On y voit des sentiments que l’on s’interdit de vivre". Elle en lit aussi. Notamment Racine, et Hugo "qui ne s’arrête jamais, c’est comme un océan alors que moi j’ai du mal à finir une phrase", plaisante-t-elle. Au théâtre aussi, la versification et ses contraintes la fascinent et élèvent ses chansons, par ailleurs toutes empreintes de cette "tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie" que célébrait Racine.
Sophie Rockwell Suite poèmes (Ignatub/Inouies distribution) 2021
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