L’envolée rock d’Emily Loizeau
La Franco-Anglaise Emily Loizeau revient avec Icare, un cinquième album, rock et engagé, réalisé au Pays de Galles par John Parish (célèbre pour ses collaborations avec PJ Harvey, Aldous Harding ou encore Arno).
RFI Musique : Pourquoi avoir attendu ce disque pour enregistrer en Grande-Bretagne ?
Emily Loizeau : J’attendais le bon moment. Cela faisait déjà des années que je voulais travailler avec John Parish et il se trouve que chacun de mes musiciens, Boris Boublil (claviers et basse), Csaba Palotaï (guitare) et Sacha Toorop (batterie), avait collaboré ou collabore avec lui. Dès le début, j’ai adoré sa façon de faire, simple, directe, sans snobisme. Avec une très grande douceur.
Vous mélangez le français et l’anglais, deux langues aux sonorités extrêmement différentes. Qu’apporte cette porosité à votre musique ?
Je cherche à rompre les frontières, notamment sonores entre ces langues. We can’t breathe (Nous ne pouvons plus respirer, ndlr), par exemple, allait de soi en anglais, puisque c’est une référence directe à l’Américain George Floyd. J’ai remplacé le "I" (Je) par "We" (Nous) car cette phrase me semblait emblématique de la période que nous traversons. Je voulais montrer que l’on ressent les mêmes choses. Et que l’on comprenne ces chansons que l’on soit anglophone ou francophone.
Pourquoi intituler cet album Icare ? On peut aussi bien l’entendre comme une référence au personnage ailé de la mythologie grecque, qui se brûle au contact du soleil et se noie, que comme une référence à votre langue maternelle, dans laquelle "I care" exprime que l’on se soucie de l’autre ?
La chanson éponyme est discrète, mais pour moi elle est la clé de voûte de l’album. J’ai été très touchée par le tableau de Brueghel La Chute d’Icare où l’on ne voit que le pied du personnage qui se noie dans un paysage tranquille, alors que tout le monde regarde ailleurs. Le parallèle avec notre époque m’est apparu très fortement. Et je me suis effectivement aperçue que si on sépare le "I" du "care", on obtient "I care" et ça correspond bien au disque.
Il y aussi quelque chose de marin dans cette chanson. Tout comme dans Listen et The Crossing deux morceaux instrumentaux, mais aussi dans Eldorado…
J’ai été élevée près de la mer, cela m’a beaucoup marquée. Il y a toujours quelque chose de la mer dans mes disques, comme un bateau qui tangue. Eldorado, qui parle de la traversée des réfugiés, est inspirée du roman éponyme de Laurent Gaudé, dont la lecture m’a bouleversée. Je voulais parler des départs forcés. C’est un sujet pour lequel je m’engage depuis plusieurs années. The Crossing, c’était une manière de parler de l’obligation de tout abandonner derrière soi, et de ce que l’on voit quand on regarde devant, comme en mer.
Pourquoi reprendre The Girl from the North de Bob Dylan, devenant sous votre plume Celle qui vit vers le Sud ?
C’est une sublime chanson d’amour où il demande à un ami : "Si tu vas vers le Nord, peux-tu vérifier que cette femme que j’ai tant aimée va bien ?". Et j’ai eu envie de rendre hommage à une jeune fille que je connais, qui a quitté la Guinée à 14 ans, grâce à sa maman restée au pays, pour fuir un mariage forcé. J’ai essayé de suivre mot à mot le texte de Bob Dylan, mais en inversant la géographie.
Que veut dire Oceti Sakawin ?
C’est le vrai nom des Sioux ! Je suis fascinée depuis l’enfance par cette tribu indienne à laquelle je voulais rendre hommage. J’admire leur respect profond de la nature et de l’écosystème. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux et de leur sagesse, notamment que l’humanité n’est rien sans la planète.
On entend aussi une urgence écologique dans We Can't Breathe, où vous vous mettez dans la peau d’adolescents. Elle a été inspirée par quoi ?
Par les manifestations des jeunes pour le climat. J’ai participé à beaucoup de marches et de concerts pour le climat. J’y ai rencontré beaucoup de jeunes qui quittent des voies toutes tracées pour ouvrir la possibilité d’un avenir. Ils sont incroyables de force et de résilience.
A qui s’adresse Renversé, où vous parlez d’un homme au fond d’un puits ?
À ma génération. Les gens de mon âge traînent souvent un peu la patte (Rires) alors que leurs enfants sont déjà debout ! C’est un appel au réveil. Cela devient urgent !
C’est la première fois que vous réalisez un disque qui fait la part belle aux rock…
C’est vrai. Cela planait déjà sur Mona, mais Icare a été enregistré en live, cela joue beaucoup. L’énergie de la basse, de la batterie et le piano acoustique, sur lequel on a mis des pédales, donne ce son très rock dont j’avais très envie. Cette énergie cathartique est un appel à se soulever.
Emily Loizeau Icare (Les Éditions de la Dernière Pluie/Pias) 2021
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