Brassens, un centenaire à Sète
À Sète, dans le sud de la France, ville natale de Georges Brassens, les festivités du centenaire de Georges Brassens sont pilotées par Jeanne Corporon, l’adjointe au maire chargée de la culture. Cette femme, née en 1957, a côtoyé Brassens en privé et pour cause : elle est la fille d’Henry Delpont, directeur du théâtre Molière de la ville, le meilleur ami du poète. Entretien.
RFI musique : L’épicentre des manifestations marquant ce centenaire de Brassens ont lieu sur un bateau phare que vous avez baptisé le Roqueroles. Pourquoi avoir choisi ce navire pour marquer cet événement ?
Jeanne Corporon : Cela peut surprendre sans doute un bateau phare, mais nous voulions bien marquer les esprits pour le centenaire, et il nous fallait trouver quelque chose de particulier, dont les gens puissent se souvenir. À Sète, nous avons déjà un musée consacré à Brassens. Il s’agit de l’Espace Brassens qui existe depuis 30 ans et qui est magnifique. Il retrace son parcours de façon très complète. Pour surprendre le public, nous nous sommes dit que ce bateau phare qui avait notamment été réhabilité en musée à Amsterdam était une bonne idée. Brassens, quand il était jeune, possédait un petit bateau en bois (il en a eu deux d’ailleurs) et il allait souvent sur le phare de Roqueroles, au début de l’étang de Thau, en sortant de Sète. Il amarrait là-bas son bateau pour plonger et s’amuser avec ses copains dans ce lieu un peu secret, à l’abri de tous les regards. Ce phare s’appelant Roqueroles, il était tout naturel de rebaptiser ainsi ce bateau.
Chaque étage a été spécialement aménagé et décoré pour ce centenaire…
Nous avons confié la décoration et la scénographie à Clémentine Deroudille qui avait monté une exposition sur Brassens en 2011 à la Cité de la musique à Paris. Clémentine, pour la petite histoire, est la petite fille du photographe Robert Doisneau, qui avait fait d’ailleurs de très jolis clichés en noir et blanc de Georges. À l’occasion du centenaire, nous lui avons demandé de faire revivre Brassens à travers plusieurs thématiques. Par exemple, ici, sur le pont supérieur, il y a une petite pièce que nous appelons "la boîte magique". On y trouve notamment déployés sur une petite table, des copies des manuscrits originaux de chansons. La "boîte magique" propose des allers et retours dans le temps et dans l’espace, au travers de photos inédites et des films tournés avec une caméra Super 8. On peut découvrir notamment les premières photos de jeunesse ou Georges aux côtés de mon père (Henry Delpont) qui était l’un de ses plus proches amis. Les films ont été tournés par Georges lui-même ou par mon père. Dès qu’ils en ont eu les moyens, ils ont en effet acheté une petite caméra. Brassens adorait se filmer et filmer les copains. On les voit s’amuser comme des enfants. Il avait un côté très espiègle et blagueur. Cela se voit bien sur ces documents.
À l’étage inférieur, vous avez aménagé un cabaret. C’est une sorte d’hommage à Patachou, star de l’époque, qui a joué un rôle déterminant dans la carrière de Brassens…
Georges Brassens, quand il a voulu vivre de son art, a tapé à toutes les portes des cabarets. Il a été refoulé partout. Cela ne convenait jamais. Il en a eu assez au bout d’un moment de traîner ses sandales partout dans les rues de Paris. Un jour, fatigué de tout cela, il est allé voir son copain Victor Laville qui commençait une jolie carrière à Paris Match. Georges lui expliqua être fatigué, découragé et sur le point de tout arrêter. Victor très ému d’entendre cela décida de lui présenter Patachou, une star de l’époque à laquelle Paris Match avait consacré un article peu de temps auparavant. Elle a été éblouie par la qualité de ces chansons. On connaît la suite. Georges est venu les interpréter lui-même dans son cabaret et c’est à partir de ce moment-là que les choses se sont enchaînées assez vite. Patachou a donc été primordiale dans la carrière de Brassens. Dans ce cabaret, il y a un clin d’œil appuyé à cette artiste, car au-dessus du comptoir du bar, vous pouvez voir toute une collection de cravates colorées… Patachou, c’est bien connu, coupait les cravates des messieurs qui n’applaudissaient pas lors des spectacles… Tous se prêtaient au jeu dans la bonne humeur. Nous avons voulu recréer cette ambiance. La salle accueille des concerts avec une jauge de 150 à 200 personnes, mais aussi des conférences autour de Brassens.
Comment est née l’amitié qui liait Georges Brassens à votre père ?
Ils se sont rencontrés à l’école. Ils avaient à peu près 5 ou 6 ans et ils sont restés amis jusqu’à la fin de leur vie. Mon père est parti un an avant Georges Brassens en décembre 1980. Il n’a donc pas pu porter les souvenirs et faire part de tout ce qu’ils avaient vécu. Ils ont toujours tout partagé. Dès l’enfance, ils avaient un goût commun pour les chanteurs et musiciens de l’époque (Ray Ventura, Jean Nohain, Mireille). Une fois sa carrière entamée, Brassens a voulu absolument faire venir mon père à Paris. Mon père y est allé, mais il avait déjà rencontré à Sète sa fiancée, ma maman. Cela a donc été difficile pour lui de rester là-haut. Il est revenu à Sète où il a été directeur du théâtre municipal Molière pendant une dizaine d’années. Mais malgré l’éloignement, lui et Georges sont restés très intimes. Ils se sont beaucoup écrit, et Georges l’appelait tous les jours au téléphone, à la même heure (un peu avant 13 heures). Toute leur vie, ils sont restés en contact très étroit. Quand Georges venait à Sète, il passait nous voir tous les matins, et quand nous allions à Paris en vacances, nous les passions dans la maison qu’il avait achetée à Crespières dans les Yvelines, un lieu magnifique. Je garde de lui l’image d’un homme qui vivait très simplement. Il aimait dans la journée jouer aux boules avec nous. Il nous emmenait aussi faire un tour sur son tracteur, ça l’amusait beaucoup, il me le prêtait quelquefois. Georges était aussi un grand enfant.