Bénabar, et de dix avec "On lâche pas l'affaire"

"On lâche pas l'affaire" est le 10e album studio de Bénabar. © Julot Bandit

Neuf mois après Indocile Heureux, Bénabar est de retour avec On lâche pas l'affaire, un dixième album solide où on trouve notamment un duo avec Renaud. Interview en studio.

Deux albums la même année ? On parle de Bénabar ou d’un rappeur français ? Blague à part, cette proximité entre Indocile heureux, paru fin janvier 2021, et ce dixième opus titré On lâche pas l'affaire, est le résultat d’une créativité débridée, exacerbée par le confinement et l’impossibilité de tourner.

Dans un studio parisien du quartier de Saint-Germain, avec pas loin Bertrand Lamblot, membre du cercle rapproché de Bénabar depuis quelque temps, l’artiste nous explique la trajectoire qui a mené à ce dixième album studio où l’on trouve aussi bien des morceaux uptempo comme À contre-nuit, des tranches de vie comme Monogame, des chansons émouvantes comme Telle quelle si belle, d’autres plus légères comme J'ai perdu le mot de passe et un duo détendu avec un Renaud qui n’avait pas chanté aussi bien depuis longtemps, Chez les Corses.

RFI Musique : Bonjour Bruno, commençons par la question la plus évidente, pourquoi deux albums la même année ?
Bénabar : C’est vrai que ça ne s’est pas trop fait dans mon style de musique, c’est très urbain comme façon de bosser ! L’album d’avant était fini avant le confinement. La sortie s’est bien passée, mais dans les conditions qu’on connaît, sans tournée et avec les magasins qui ont fermé une semaine après. Mais on s’est tous bien entendus. Il a été question de faire un additif pour une réédition, comme ça se fait beaucoup pour exister un peu plus sur les plateformes, mais ça me gêne toujours. Comme on commençait à avoir pas mal de chansons, j’ai proposé qu’on fasse la suite. On a refait ça avec exactement la même équipe, ça n’était pas la suite, car on s’est vite aperçu que c’était une impasse, et c’est devenu un autre album.

L’écriture a été aussi rapide que l’enregistrement ?
Il y avait des chansons qui traînaient depuis un moment, des bouts de textes à gauche à droite. On a beaucoup travaillé. J’ai pris un mois pour être sûr que j’avais des titres qui méritaient de faire un album et une fois rassuré, ça a été vite. Et comme je ne tournais pas et que j’étais hyperactif, ça s’est fait de façon détendue. C’est un album curieusement collectif et personnel.

Vous avez collaboré avec d’autres auteurs ?
Oui. Monogame est un texte de Pierre-Yves Lemaire. C’est la première fois que je chante un texte que je n’ai pas écrit, j’ai fait la musique. Les autres, ça part d’idées à moi. On a été plus loin dans ce processus. C’est intime de partager des chansons. On a voulu que ça soit plus concis, plus efficace dans les émotions. Ce qui ne m’a pas empêché de faire des morceaux de dix couplets comme Vanessa, parce que j’adore ça.

Comment a été conçu Chez les Corses, le duo avec Renaud ?
J’avais une chanson qui s’appelait Viens on va chez les Corses et j’en avais parlé à Pierre-Yves, qui ne comprenait pas. Il se trouve qu’on travaillait chez moi dans le Sud et qu’il y a un restaurant corse où je l’ai emmené déjeuner pour qu’il comprenne le truc. Ma femme a dit que ça pourrait être un duo, et puis je me suis dit que ça pourrait être un mec déprimé qui va voir quelqu’un encore plus déprimé. J’ai dit ça en studio, Bertrand m’a dit "Bon, qui l’appelle ?", parce qu’on pensait tous à la même personne, évidemment (rire). En plus c’est Renaud qui m’a présenté les Corses, donc c’était une évidence. Après, on a retravaillé le morceau avec Pierre-Yves. Et je lui en suis reconnaissant parce que ça demande du métier, et aussi une humilité d’auteur pour accepter ce truc-là, travailler sur les idées de l’autre. J’avoue que je n’étais pas fier face à Renaud : comme on est plutôt proches, je ne voulais pas qu’il ait l’impression que j’essaie de gratter de la visibilité avec lui. Parce que tout le monde aimerait bien faire un duo avec Renaud, et beaucoup de duos sont faits pour avoir deux entrées de plus sur Spotify. Parfois c’est bon, mais quand ça n’est pas réussi, les duos de maison de disques à la va-vite, c’est vraiment dégueulasse. Mais ça l’a fait marrer à la première écoute. Et puis le pitch du truc, le deuxième degré, ça s’est fait naturellement. Comme devraient se faire tous les duos.

Votre écriture comporte beaucoup de ratures…
Oui, je suis très laborieux dans le bon sens du terme. Je réécris, je réécris. Grâce à ma formation de scénariste et notamment de gagman à Canal +, je n’ai pas de problème à virer un couplet, à refaire, et ça c’est précieux. Je passe un temps inouï sur la structure. Il y a une frange de chansons françaises très, comment dire, impressionnistes, des "bashungueries", des trucs comme ça -quand c’est réussi c’est sublime d’ailleurs, ça n’est pas un jugement de valeur- et puis il y en a des très académiques, Charles Aznavour, Renaud, très structurées, avec idéalement une chute, un troisième couplet, voire un quatrième, mais on assiste en ce moment, pour mon plus grand malheur, à l’enterrement de première classe du troisième couplet. Il y en a de moins en moins. Ça me déprime, parce que j’adore ça, les chansons qui évoluent, où il se passe quelque chose d’autre dans le troisième couplet. Il n’y a pas forcément qu’une seule idée dans une chanson.

La musique de À contre-nuit fait penser à Eye Of The Tiger...
Je n’ai pas peur des références, ça ne me pose aucun problème contrairement à beaucoup de mes confrères. Sur l’album d’avant, Les Divorcés faisait penser à Close To Me de The Cure ou Take On Me de A-Ha. Les chœurs de fin à la ABBA, j’assume à fond, je fais même partie de ceux qui pensent qu’il faut souligner les références. Je ne fais pas partie de ceux qui les dissimulent et qui, une fois qu’ils se font choper, disent que c’était un hommage. Ça n’est jamais rétrospectif un hommage, ça ne marche pas comme ça.

Un des titres forts, c’est Reviens me quitter
Au début, c’était un exercice de style sur les saisons, ça n’allait pas très loin, j’ai proposé la deuxième partie, et on a gardé le texte écrit dans la cabine, devant le micro. C’est la première fois que je faisais ça, juste sur l’émotion. Je me méfie de mon émotion à moi. D’ailleurs, il y a des trucs qu’on a refaits parce que je me laisse un peu emporter et ça s’entend trop. Le pathos, c’est quelque chose que je déteste. Comme pour les comiques, c’est toujours très déplaisant quand ils rigolent de leurs propres vannes. C’est le public qui doit rire, et ici c’est le public qui doit pleurer. On surveille le pathos, ça peut desservir la chanson. Là, c’est une bonne surprise, elle touche tous les gens qui l’ont écoutée, mais parfois, tu as l’inverse. Tu as l’impression que tu as Mistral gagnant et en fait, personne n’en à rien à foutre. Ça marche dans les deux sens. Et tu ne peux pas le savoir avant.

Bénabar On lâche pas l’affaire (Sony Music) 2021

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