Gilbert Bécaud, ils reviennent le chercher !

Il fut en France, "la première idole des jeunes", nous affirme Jacques Pessis. Celui pour qui, en 1955, bien avant Johnny Hallyday, les admirateurs cassaient les fauteuils – 439 à l’Olympia de Paris, cette année-là. Dès lors celui qui pouvait, nous raconte son biographe, "donner trois cents concerts par an et chanter deux ou trois fois le même jour sans problème" remplit les salles de concerts.

Nombreux parmi nous avons appris à l’école Quand il est mort le poète (qu’il dédia à Jean Coteau, l’un de ses fervents défenseurs), pourrions fredonner L’important c’est la rose ou avons pleuré sur le déchirant Et maintenant. Pourtant leur interprète, l’homme aux iconiques cravates à pois et costumes bleus, semble un peu oublié dans le paysage artistique français.

Exploitation du catalogue

Grand absent des soirées télévisées, il ne passe plus guère en radio non plus. L’exploitation de son catalogue, pourtant riche de plusieurs centaines de chansons et de 890 titres déposés à la SACEM en tant que compositeur, est discrète, pour ne pas dire confidentielle. Comment expliquer un tel silence ?

Pour Jacques Pessis, c’est dû aux maisons de disques. "Il y a dix ans, l’intégrale Bécaud, constituée de 23 CDs, s’est vendue en quelques semaines. Il a donc toujours un public mais pas de soutien ! Trenet disait : comment peut-on être directeur et artistique ? Les maisons de disques aujourd’hui ne se soucient pas du catalogue. Elles sont dirigées par des chefs de produit, à la recherche du tube qui leur permettra de boucler leur budget", déplore-t-il.

Par ailleurs, on sait que la succession du chanteur, père de cinq enfants de trois mères différentes, fut complexe. En effet, le procès (achevé en 2016), qui opposa plusieurs de ses descendants quant à la détention du droit moral de leur père, semble avoir laissé des séquelles et des contraintes (Léna Lutaud, "Comme Gilbert Bécaud a-t-il pu être oublié ?" Le Figaro, 17/11/21) pour l’exploitation. Alors que, même s’ils le connaissent peu, le chanteur plaît aux jeunes, affirme Jacques Pessis. "Anne Sila, gagnante de The Voice a repris Et maintenant et dit que Gilbert Bécaud est son idole".

Il faut dire que Gilbert Bécaud est un formidable mélodiste. Sa carrière, est marquée par de grandes tournées internationales, notamment en Amérique. Ses chansons y seront reprises par les plus grandes vedettes. Ainsi Et Maintenant (What Now My Love), fut-elle chantée entre autres par Shirley Bassey, Aretha Franklin et Frank Sinatra, Je t’appartiens (Let It Be Me) par Nina Simone et Bob Dylan.

Comment expliquer cet engouement ? Jacques Pessis lève le voile, soulignant que Gilbert Bécaud (qui enregistra aussi une maquette avec Stevie Wonder pour un projet de comédie musicale qui ne vit pas le jour faute de temps) s’inscrivait dans la même veine que Gershwin et ses pairs de Broadway.

"Il a découvert le swing et le jazz dès 1943 par son frère, qui était dans la Résistance. Dans les derniers mois du Débarquement, Bécaud s’est retrouvé avec des GIs, des soldats américains et jouait de la musique avec eux" nous précise-t-il.

Musique classique

Mais Gilbert Bécaud ne fut pas seulement le compositeur et l’interprète de standards devenus célèbres en Amérique. Il composa également de la musique classique. "Il aurait pu être le Beethoven d’aujourd’hui ! s’exclame le biographe. Il rêvait du classique. Il considérait L’Opéra d’Aran (créé en 1962 au Théâtre des Champs-Élysées) qui est encore joué aujourd’hui à l’internationale, comme l’œuvre de sa vie".

Il composa également en 1960, L’Enfant à l’étoile, une cantate de Noël. Il l’enregistra avec le directeur musical de l’Opéra de Paris de l’époque, deux cents musiciens de l’Orchestre philharmonique, la Maîtrise et les chœurs de la Radiodiffusion-télévision.

Sans occulter l’histoire de ses succès et la biographie contrastée d’un épicurien timide, les deux auteurs racontent aussi que l’homme qui cachait tant ses émotions versa une larme, après cet enregistrement. On revient te chercher est sa première biographie. Il y avait urgence à le réhabiliter, disent Jacques Pessis et Claude Lemesle. Le premier hommage de taille à un artiste à la carrière exceptionnelle.

Jacques Pessis et Claude Lemesle Bécaud On revient te chercher (Édition de l'Archipel) 2021